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BRETON, André

Clair de terre. Avec un portrait de l'auteur par Picasso

Paris, Presses du Montparnasse, 1923

EXEMPLAIRE D’ANDRÉ BRETON : L’UN DES TROIS SUR PAPIER DE CHINE, AVEC L'EAU-FORTE ORIGINALE DE PABLO PICASSO SIGNÉE AU CRAYON. 

EXEMPLAIRE AUQUEL ANDRÉ BRETON A LUI-MÊME JOINT UN PRÉCIEUX ENCART PUBLICITAIRE AVEC UN LETTRAGE EN RÉSERVE DE BLANC SUR FOND NOIR.

BRETON LE CORRIGEA DE SA MAIN À L’ENCRE NOIRE, INVENTANT AINSI, PAR CET ESSAI AUTO-(TYPO)-GRAPHIQUE EN “LETTRAGE DESSINÉ”, LA SI CÉLÈBRE COUVERTURE DE CLAIR DE TERRE

ÉDITION ORIGINALE

In-8 (285mm x 200mm)
COLLATION : 7 ff. n. ch. (feuillet liminaire blanc, 1 f. avec au verso la liste des livres du même auteur, faux-titre et justification, frontispice, frontispice barré, titre, épigraphe, dédicace, [13]-78 pp., 1 f. blanc.
TIRAGE : un des 3 EXEMPLAIRES DE TÊTE sur chine, celui-ci numéroté II, signé à la justification par André Breton au crayon bleu
ILLUSTRATION : l’eau-forte originale de Pablo Picasso représentant André Breton, SIGNÉE AU CRAYON PAR PABLO PICASSO
ILLUSTRATION AJOUTÉE : la même eau-forte originale de Pablo Picasso mais rayée dans la planche et non signée

PIÈCE JOINTE : un encart publicitaire (79 x 140mm) portant, au recto, l’inscription "turin romano" imprimée en réserve de blanc sur fond noir dans une technique typographique similaire au titre et à la couverture de Clair de terre ; les lettres ont été modifiées à l'encre noire par André Breton, formant un nouveau message demeuré mystérieux. Au verso, est imprimé un rébus en partie recouvert par des résidus de carton bleu sur lequel le coupon devait être collé
EXPOSITION : cet encart a été exposé au Centre Pompidou en 1991 et reproduit dans le catalogue André Breton. La beauté convulsive (Centre Pompidou, 1991, p. 113). Légende : “Lettrage de Clair de terre, dessiné le 6 novembre 1923 (coll. part.)”. Et, p. 115 du catalogue, dans la chronologie, 6 novembre : “Ce même jour, Breton passe toute la matinée à dessiner lui-même les lettres destinées à la couverture de Clair de terre” (lettre à Simone, 6 novembre 1923)

BROCHÉ, couverture crème imprimée
PROVENANCE : André Breton et Simone Collinet, conservé par André Breton après le divorce de 1929 -- Aube Breton -- Galerie 1900-2000 (juin 2024)

CENSUS des exemplaires notables de Clair de terre :

1. Exemplaire avec envoi à Jacques Doucet, n° I sur chine. Bibliothèque littéraire Jacques Doucet
2. Exemplaire de Paul Éluard (ex-libris), n° III sur chine, sans envoi. Bibliothèque Paul Destribats (Paris, 3 juillet 2019, n° 139, 118 750 €). L’exemplaire était relié par Jacques-Anthoine Legrain (280 x 185mm) et donc plus court de marges que notre exemplaire sur chine
3. Exemplaire avec envoi à Paul Éluard daté du 14 décembre 1923, sur papier géranium, et avec l’eau-forte signée par Picasso, relié par M. Hugon (282 x 192mm). Ancienne collection Renaud Gillet (Londres, 27 octobre 1999, n° 78, £ 30.000)
4. Exemplaire avec envoi à Robert Desnos daté du 17 décembre 1923, sur japon, avec l’eau-forte signée. Ancienne collection Jean-Paul Kahn (Paris, 11 juillet 2019, n° 102, 26 500 €)
5. Exemplaire avec envoi à Louis Aragon, sur japon, avec l’eau-forte signée et l’eau-forte barrée, broché. Londres, Sims Reed, 1996, £ 24.000 (fichier Berès)
6. Exemplaire de Benjamin Péret, avec un envoi daté de 1923, sur japon, broché, avec l’eau-forte non signée. Ancienne collection Bernard Loliée (15 novembre 2017, n° 78, 31 000 €)
7. Exemplaire de René Char, avec un envoi daté de février 1930, sur hollande, relié par Pierre-Lucien Martin, avec l’eau-forte non signée. Ancienne collection Edmée Maus (Paris, 26 avril 2016, n° 74, 81 000 €)
8. Exemplaire de René Gaffé, un des 10 sur japon ancien, relié par Paul Bonet (Paris, 26 avril 1956, n° 29)
9. Exemplaire de Marcel Duchamp, avec un envoi daté de 1923, sur Offset, conservé à la Beinecke, Yale
10. Exemplaire de Nush, avec un envoi daté de 1935, sur Offset, conservé à la BnF
11. Exemplaire de Sonia Delaunay, avec un envoi daté du 14 décembre 1923, sur Offset
12. Exemplaire de Daniel-Henry Kahnweiler avec un envoi daté du 14 décembre 1923, sur Offset
13. Moma : exemplaire sur hollande avec l’eau-forte non signée, broché
14. Getty : exemplaire sur Offset
15. Aucun exemplaire à Harvard, ni à Austin Texas, ni à la Pierpont Morgan Library

Le 6 novembre 1923, André Breton confie à Simone Collinet, sa femme, qu’il a “pass[é] toute la matinée à dessiner” lui-même les lettres destinées à la couverture de Clair de terre. Il est sur le point de publier un recueil de textes poétiques après avoir voulu, quelques mois plus tôt, abandonner toute activité d’écriture. Le 18 septembre, il a demandé à Pablo Picasso de graver son portrait pour que Clair de terre “s’ouvre sur un portrait de moi par vous-même”. Les deux hommes se connaissent depuis 1918 mais n’ont encore jamais travaillé ensemble. André Breton, en faisant cette demande à Picasso, ouvre la lignée des frontispices surréalistes, c’est à dire des gravures originales d’un peintre renommé placées en tête des exemplaires de tête. Picasso a déjà gravé deux portraits pour des amis poètes avant celui d’André Breton : ceux de Guillaume Apollinaire et de Pierre Reverdy pour les grands papiers de Calligrammes (1918) et de Cravate de chanvre (1922). On connaît l’importance de ces deux poètes dans la vocation de Breton et l’invention du surréalisme. Breton, en demandant à Picasso de réaliser son portrait, signifie par là qu’il est leur successeur et contemporain. Une pose assise de trois quarts est commune aux portraits des trois poètes.

Le fait que Breton dessine lui-même les caractères du titre va dans le sens d’une activité créatrice pleinement retrouvée. L’encart publicitaire qu’André Breton a joint à son exemplaire sur chine de Clair de terre constitue le témoin principal de ces essais de lettrage pour la couverture. Sa main a tracé des caractères à la plume sur les caractères préexistants d’un encart publicitaire portant l’inscription “turin romano”. Au verso de cet encart se trouve une sorte de rébus mystérieux. L’importance de cet encart dessiné par Breton est telle qu’il fut présenté lors de l’exposition André Breton. La beauté convulsive (Centre Pompidou, 1991) et reproduit au catalogue avec la légende suivante : “Lettrage de Clair de terre, dessiné le 6 novembre 1923 (coll. part.)”. Le terme de “lettrage” indique bien le geste de la main dessinant la lettre.

Le titre garde trace de ce passage à vide que fut la première partie de l’année 1923 pour André Breton : le livre s’intitule “clair de terre” là où l’on attendrait “clair de lune”. Cette inversion se trouve dans la matière même du titre par un “renversement typographique du rapport de la lettre à son support” (Marguerite Bonnet). Les caractères typographiques ne sont pas imprimés mais existent par défaut, en réserve de blanc sur un fond noir. Ces lettres du titre forment des ouvertures dans ce fond noir. Marguerite Bonnet souligne l’importance des évasions dans les poèmes de Clair de terre : “Au On ne part pas de Rimbaud répond chez Breton un On s’évade… c’est la prison qui se fissure”.

Au début de l’année 1923, André Breton traverse donc une “crise de confiance générale” (Marguerite Bonnet) qui aurait pu mettre un terme à son activité littéraire. Il arrête les expériences des sommeils jugées dangereuses. Il explique sa décision dans un entretien intitulé “André Breton n’écrira plus” (accordé à Roger Vitrac pour Le Journal du peuple, le 7 avril). L’auteur des Champs magnétiques rappelle l’exigence que revêt pour lui la poésie, dans la lignée de “Rimbaud, Lautréamont, Jarry, Vaché”, soit, des poètes qui écrivent contre la littérature et le néo-classicisme :

“La littérature permet de ne rien échanger ; elle donne l’illusion d’être, elle aussi, une série d’échanges et il n’en est rien, c’est pourquoi je n’ai jamais cherché autre chose, je le répète, que ruiner la littérature. Quant à ceux qu’elle porte, ceux qui réussissent, ils sont les véritables ratés… ”

La véritable poésie, selon lui, ne s’écrit que par la “ruine” du langage. Aragon, reprenant une formule du dernier poème de Maïakovski (1930), remarquait qu’en 1918 déjà, Breton cherchait “à mettre le pied sur la gorge de sa propre chanson”.

En avril 1923, Breton décide donc de se taire : “Désormais je désire tout ignorer : revues, livres, journaux, etc. Je n’aurai aucune activité littéraire. Littérature ne paraîtra plus”. À la question “comment comptez-vous vivre ?” que lui pose Roger Vitrac, Breton répond par les mots de Rimbaud : “Je ne veux pas travailler. Il ne faut pas travailler. Je crois que l’abrutissement est dans le travail” (on se souvient de “l’abrutissement simple” dans Une saison en enfer) ; et prône, quelques lignes plus loin, “l’amour le plus déréglé”.

Le basculement eut lieu pendant l’été : “Les rafales d’une activité poétique intense balaient en ces mois la volonté de silence… Une renaissance se produit par et pour la poésie” (Marguerite Bonnet).

Une énergie de la renaissance parcourt donc Clair de terre : “Qu’importe si c’est par le chemin des mots que nous avons cru pouvoir revenir à l’innocence première ?”, écrira-t-il en 1925. Le 15 novembre paraît Clair de terre dans lequel André Breton a rassemblé cinq récits de rêves suivis de poèmes automatiques écrits entre 1920 et 1923.

René Gaffé dut se contenter d’un simple exemplaire sur japon qu’il fit relier par Paul Bonet. Quant aux quelques autres témoins de la genèse de Clair de terre, les épreuves de la couverture furent présentées lors de l’exposition André Breton. La beauté convulsive (Centre Pompidou, 1991) ; la plaque de cuivre rayée du frontispice fut proposée à la vente Breton en 2003 (lot 4007) et de nombreux manuscrits du recueil sont conservés à la bibliothèque littéraire Jacques Doucet

Nous remercions Monsieur Étienne-Alain Hubert pour son aide précieuse

BIBLIOGRAPHIE : 

André Breton, Œuvres complètes (dir. Marguerite Bonnet), I, Paris, 1988, pp. 1181 et suiv. -- André Breton, Lettres à Simone Kahn, 1920-1960, Paris, 2016 -- Aragon parle avec Dominique Arban, Paris, 1970, p. 65