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BELLMER, Hans

Oracles et Spectacles [manuscrit autographe signé]

Paris, [1967]

MANUSCRIT AUTOGRAPHE COMPLET D'UN DES RARES LIVRES PUBLIÉS PAR BELLMER.

SUR LES NOUVEAUX MODES DE CRÉATION DANS LA POÉSIE D'UNICA ZÜRN.

Manuscrit autographe, 3 pp. in-4 (270 x 210mm), encre noire, en français, mise au net
PUBLICATION : Paris, Georges Visat, 1967
TRANSCRIPTION :

ORACLES ET SPECTACLES

A propos des poèmes-anagrammes de Unica Zürn

Les ANAGRAMMES sont des mots ou des phrases obtenus par une permutation des lettres, dont se compose un mot ou une phrase donnée. Il est étonnant que – depuis l’intérêt renaissant, consacré aux créations verbales des aliénés, des médiums et des enfants – l’on n’ait guère pensé à cette interprétation anagrammatique du mare de café des lettres de notre alphabet. – Nous ne savons pas grand’chose de la naissance et de l’anatomie de « l’image ». En vérité, l’être humain connaît moins encore son langage qu’il ne connaît son corps : la phrase est comparable à un corps, qui nous inviterait à le désarticuler, pour que se recomposent, à travers une série d’anagrammes sans fins, ses contenus véritables.

L’anagramme naît, si l’on regarde de très près, d’un conflit violent, paradoxal. Elle suppose une tension maximale de la volonté imaginative et, à la fois, l’exclusion de toute invention préconçue, parce qu’elle serait stérile. Le résultat semble, d’une façon un peu insolite, être dû à l’intervention d’une conscience « autre », plutôt qu’à la propre conscience. Le sentiment d’une responsabilité étrangère et à la fois celui de la limitation technique des moyens disponibles – seulement les lettres données peuvent être utilisées, aucune autre ne peut être appelée à l’aide – ce sentiment conduit à un « flair » élevé en puissance, à un certain automatisme. Le hasard semble largement participer à la solution, comme si, en son absence, aucune réalité verbale ne puisse être authentique et valable. Car ce n’est qu’à la fin, « après », que l’on s’aperçoit que le résultat était étrangement nécessaire, qu’aucun autre résultat n’aurait pu en tenir lieu. Celui qui, jour par jour, inscrirait une anagramme dans son calendrier, posséderait à la fin de l’année, un schéma météorologique de son MOI.

Il s’agit ici d’une unité toute nouvelle de la forme, du sens et du climat émotionnel des images verbales, qui ne peuvent pas être inventées ou laborieusement échafaudées. Elles entrent dans leurs correspondances sans avertissement et, chargées d’une réalité particulière, elles rayonnent vers de nombreuses interprétations, entrelaçant des nœuds avec des significations et avec des échos avoisinants, facétieuses comme un polyèdre miroitant, comme un objet nouveau. Beil (hache) devient Lieb’ (amour) et Leib (corps), quand la diligente main de pierre glisse par-dessus ; le prodige nous saisit et nous emporte en chevauchant le balai. Le processus demeure énigmatique. Proférant des oracles, spectacles parfois tintamarrants, un lutin zélé et caché derrière le moi, y ajoute beaucoup du sien pour qu’ainsi imagination et condensation soient. Un génie sans doute agréablement irrespectueux, qui ne chante de tout cœur que la gloire de l’improbable, de l’erreur et du hasard. Tout comme si l’illogisme était un réconfort, comme si le rire était permis à la pensée, comme si l’erreur était une route et le hasard une preuve d’éternité.

Unica Zürn fist est venue au surréalisme en 1953, alors qu'elle avait déjà trente-sept ans. Auparavant, elle avait mené une carrière pendant vingt ans à Berlin, travaillant comme monteur, archiviste et conseiller artistique pour la société cinématographique allemande UFA (Universum Film AG). Elle a également été écrivain indépendant : plus d'une centaine de ses nouvelles - des contes modernes dans un style expressionniste - ont été publiées dans des journaux berlinois entre 1949 et 1955. En 1953, sa vie va changer radicalement. Elle rencontre Hans Bellmer, de passage à Berlin pour une exposition de ses œuvres. Zürn décide de l'accompagner lors de son retour à Paris, où il vit en exil depuis 1938. Là, elle assiste aux réunions du groupe surréaliste, fait la connaissance de nombreux surréalistes, dont André Breton, Max Ernst, Man Ray, Marcel Duchamp et Hans Harp, et commence à explorer les possibilités du dessin automatique et des anagrammes.

C'est par l'intermédiaire de Bellmer qu'elle s'est familiarisée avec l'invention d'anagrammes. Entre 1953 et 1964, Zürn a composé quelque cent vingt quatre poèmes anagrammes. Selon Bellmer, Unica a rapidement acquis "une telle habileté et une telle amplitude" qu'il a demandé à son ami Rudolf Springer de publier un livre. Le recueil parut en décembre 1954 sous le titre Hexentexte. Il contient dix anagrammes et autant de dessins. Bellmer rédige la postface, dans laquelle il affirme que "ce n'est qu'à la fin, après coup, que l'on se rend compte que le résultat a été étrangement nécessaire, qu'aucun autre résultat n'aurait été possible. Celui qui, jour après jour, inscrit une anagramme dans son calendrier, possède, à la fin de l'année, une carte météorologique de son propre MOI". En 1967, une nouvelle édition de quatorze anagrammes et huit gravures est parue sous le titre Oracles et spectacles. Zürn définit les règles strictes de la forme anagramme comme suit :

"Les anagrammes sont des mots et des phrases qui sont créés en réorganisant les lettres d'un mot ou d'une phrase donnés. Seules les lettres données peuvent être utilisées et aucune autre ne peut servir d'aide" (in L'Homme de jasmin, 1966). La fragmentation du langage, du moi et du monde peut constituer l'apogée esthétique des anagrammes de Zürn, mais elles ont également un potentiel destructeur pour elle-même en tant qu'individu. Elle est devenue maniaque de l'invention d'anagrammes et cette activité a développé un lien désastreux avec sa maladie. Dans L'Homme de jasmin, elle parle de "la dangereuse fièvre familière des anagrammes".

BIBLIOGRAPHIE : 

Unica Zürn, Panama Musées, exposition à la Halle Saint-Pierre, 2006, pp. 23-60 -- Obliques, numéro spécial Hans Bellmer, Paris, 1975, p. 111