





Acheter
Estimation d'un livre ou d'un manuscrit
Album Primo-Avrilesque
LE MANIFESTE DU MONOCHROME.
RARE ET BEL EXEMPLAIRE
ÉDITION ORIGINALE
In-12 oblong (127 x 186mm). 26 pp. (la couverture compte dans la pagination)
CONTENU et ILLUSTRATION : une préface par l'auteur, sept aplats monochromes noir, bleu, vert, jaune, rouge, gris, blanc (le blanc est collé), une seconde préface, une marche funèbre
BROCHÉ, sous sa couverture imprimée en rouge et noir, agrafe centrale d’origine. Le prix original imprimé sur la couverture “1 franc” a été recouvert par un nouveau prix “1 fr. 50”
RARETÉ : aucun exemplaire n’a été proposé depuis trente ans en vente aux enchères. Un seul exemplaire en France, à la Bibliothèque nationale de France, celui de la donation Trutat faite il y a quelques années. Un exemplaire a été acquis par la Pierpont Morgan en 2023. Un seul autre exemplaire aux USA, selon Vialibri, est conservé à University of Chicago. L’Album primo-avrilesque manque à la Bibliothèque du Congrès, à la Huntington Library, à la New York Public Library, à la Newberry Library. Le Getty, Harvard, Yale et Princeton se contentent d’un facsimilé
Les Arts Incohérents prolongent et couronnent divers mouvements artistiques, au tournant des années 1870-1880, ayant en commun de dénoncer, sous le couvert du rire et de la dérision, l'art et les mœurs de leur époque. Se succèdent les Hydropathes, les Hirsutes, les Fumistes, le Chat Noir et les Arts Incohérents. La réussite des Incohérents est préparée par ces laboratoires qu’ont été ces multiples groupuscules littéraires et artistiques. Le mot d’ordre commun à ces groupes est le “chahut de l’esprit” (M. Partouche) ; leur force réside dans l’action commune. Un grand nombre d’artistes appartiennent à ces différents mouvements. Ils se réunissent dans les cafés, les théâtres, les appartements, créent des revues, dessinent des affiches, organisent des expositions et des bals. Ils prennent en charge toute la chaîne de diffusion de leur travail et de sa promotion, à l’instar des futurs Surréalistes : campagnes publicitaires savamment orchestrées, publications, presse, lieux habilement choisis. Le public, amusé, emboîte le pas.
Une des origines de ces groupes se trouve dix ans plus tôt, dans le Cercle Zutique, créé à l’automne 1871. Plusieurs noms de l’entourage de Rimbaud se retrouveront plus tard dans ces mouvements de la fin du siècle : Charles Cros, Jean Richepin, Raoul Ponchon, Félicien Champsaur, Germain Nouveau. À ces noms déjà anciens sont venus s’ajouter ceux de nouveaux initiateurs et agitateurs au premier rang desquels Émile Goudeau, Jules Lévy, Rodolphe Salis et Alphonse Allais. Au cours de la décennie, la visibilité de ces mouvements se fait de plus en plus grande. Les Zutistes se réunissaient de façon confidentielle dans l’entresol d’un hôtel et copiaient leurs poèmes dans un album qui par miracle a survécu ; les Incohérents se font connaître du tout Paris en organisant des manifestations et en publiant des catalogues. Aussi, la poésie s’est ouverte à d’autres formes d’art, notamment la peinture.
En 1882 a lieu la première exposition des Arts Incohérents organisée par Jules Lévy et dont le noyau est formé par les ex-Hydropathes et la tribu du Chat Noir. Presque tous y exposent dont Émile Goudeau, Rodolphe Salis, Henri Rivière, Alphonse Allais. L’ensemble de ces œuvres témoigne d’une grande liberté de ton, de formes et de genres. Le sérieux est désigné comme l’ennemi. Parodies d'œuvres célèbres, satires politiques et sociales, calembours graphiques (mots pris au pied de la lettre, homonymies ou homophonies), détournements d'objets du quotidien et de tableaux célèbres en constituent la base. On trouve en plus des dessins, peintures et sculptures ce qu’on appellera plus tard des “performances” et des “installations”. Félix Galipaux, par exemple, l’un des acteurs alors les plus en vue, expose en 1883 une assiette de lentilles sous-titrée : “Original authentique de la cession du droit d’aînesse d’Ésaü” ; une toile de 1,80 mètres de haut et 10 centimètres de large signée de Georges Moynet représente un ver de terre amoureux d’une étoile ; Eugène Bertol-Graivil annonce en 1884, une Peinture intentionniste qui restera effectivement au stade d’une intention. Si les Incohérents synthétisent les formes qui, avant eux, commençaient à mélanger le majeur et le mineur, les arts et le spectacle, ils renouvellent l’art en expérimentant des formes visuelles qui seront largement reprises par les avant-gardes du début du siècle suivant.
La révélation majeure du premier Salon des Arts Incohérents est une toile peinte en noir par l’écrivain Paul Bilhaud (1854-1933) intitulée Combats de nègres dans une cave, pendant la nuit. Pour Alphonse Allais, la découverte de la monochromie est une révélation : “ma destinée m’apparut brusquement en lettres de flamme”, raconte-t-il avec humour dans la préface de son Album primo-avrilesque. Il réalise en 1883 son premier monochrome : Première communion de jeunes filles chlorotiques par un temps de neige. Sa réalisation est réduite à la plus grande simplicité, une feuille blanche de papier bristol : “Lorsque Allais s’essaye au procédé à son tour, c’est un coup de maître” (Marc Partouche). Il produira six autres toiles monochromes bleu, vert, jaune, rouge, gris, noir qui seront exposées aux expositions suivantes des Arts Incohérents. Allais systématise l’effet de comique par l’invention de titres désopilants. La même année 1883, il présente également sa Marche funèbre composée pour les funérailles d’un grand homme sourd, un morceau à interpréter lento rigolando (sic) sans jouer aucune note puisque “les grandes douleurs sont muettes”. La partition vierge annonce le 4’33 de Cage.
En 1897, alors que les Arts Incohérents touchent à leur fin, Alphonse Allais décide de réunir ses peintures monochromes et sa Marche funèbre en un Album primo-avrilesque. À sa suite, le procédé sera repris en 1910 par Émile Cohl qui intercale des scènes totalement monochromes dans un dessin animé intitulé Le Peintre néo-impressionniste (l’une est noire et représente des “nègres fabriquant du cirage sous un tunnel”).
On attribue également à Alphonse Allais l’inspiration d’une des toiles les plus célèbres de Kazimir Malevich. La galerie Tretiakov à Moscou conserve un des trois Carré noir sur fond blanc (1915). En 2015, une analyse aux rayons X révéla une inscription, sous la peinture, peut-être de la main de Malevich : “Nègres se battant dans une cave”. Pour Irina Vakar, spécialiste du peintre russe, Malevitch aurait cité Alphonse Allais.
Érik Satie et Marcel Duchamp avaient également une grande connaissance des Arts Incohérents. Bien avant Duchamp, la Joconde avait été affublée d’une pipe par Arthur Sapeck (1887). Les actes artistiques des Incohérents ont été refaits comme tels dans les années 1960 par des artistes conceptuels. Le monochrome fera bien sûr la fortune d’Yves Klein. Pourtant, “les admirateurs de Klein et de Ryman préfèrent jeter un voile pudique sur les monochromes comiques de la fin du XIXe siècle”, ceux d’Alphonse Allais en tête (propos de Denys Riout, La Peinture monochrome, cité par Partouche).
Comment se fait-il que cet ouvrage d’Alphonse Allais soit resté si longtemps confidentiel, connu et admiré principalement par les artistes les plus à la pointe des nouvelle avant-gardes (André Breton en possédait un exemplaire) ? Les esprits, à la fin du XIXe siècle n’étaient pas prêts. Ils ne virent que l’aspect ludique et satyrique de ces œuvres. Les Incohérents étaient bien conscient de ce décalage entre la réalisation d’une œuvre et sa compréhension. Ils dénonçaient cet écueil dès les débuts du mouvement, dans le Catalogue illustré de l’exposition des arts incohérents de 1884 :
“On s’est mépris avec une bonne foi charmante ; on a affecté de croire que les Incohérents se prenaient au sérieux et qu’ils voulaient élever autel contre autel. On a dit qu’ils étaient incapables d’autre chose que de mauvaises plaisanteries ; comme si parmi les Incohérents ne se trouvaient pas des artistes véritables, dont les preuves ne sont plus à faire, et qui brillent au premier rang”.
L’aspect comique de ces œuvres a longtemps dissimulé leur importance : “ce refus de l’esprit de sérieux n’exclut pas que l’on s’y applique sérieusement avec la volonté profonde d’agir sur le monde et de lutter contre l’ordre moral dominant, en une sorte de pessimisme retourné, cette folie intérieure se traduisant au-dehors par d’imperturbables bouffonneries” (M. Partouche).
L’autre raison pour laquelle les Incohérents ne furent pas pris au sérieux tient au fait qu’ils ne se sont jamais placés dans le champ de l’art officiel mais toujours en marge – à l’inverse par exemple de l’extraordinaire rejet que suscita Le Déjeuner sur l’herbe (1863) de Manet du fait qu’il portait une attaque à la peinture depuis l’intérieur :
“on comprend pourquoi la “guerre” des Incohérents, conduite de l’extérieur par des individus qui, eux, ne faisaient pas partie de ce système, n’a pas pu être “récupérée” comme le sera, en son temps, Dada. L’une des raisons du rejet dont ils ont été victimes et du long silence qui les entoure tient sans doute à cette particularité des Incohérents : attaque portée en dehors du système, par des individus ne s’en revendiquant pas” (M. Partouche).
La crise qu’ouvrent les meilleurs artistes parmi les Incohérents est pourtant profonde puisqu’il s’agit d’une remise en cause radicale de la représentation et du statut de l’œuvre d’art. L’Album primo-avrilesque, première systématisation d’une longue lignée de monochromes, apparaît comme une “avant-avant-garde” (M. Partouche). Les monochromes d’Alphonse Allais inaugurent en ce sens l’une des principales problématiques artistiques du XXe siècle :
“Les Incohérents, dès leurs premières manifestations, se sont placés sur le terrain de la dissidence. Exploitant la parodie et les mécanismes du langage, ils ont été conduits à l’ironie tous azimuts des ères de ruptures. Pour la première fois, les productions d’un groupe débouchaient sur une désagrégation, voire un déni de la représentation” (Ibid.)
Émile Goudeau, Dix ans de bohème, Paris, 1888 -- Daniel Grojnowski, Aux commencements du rire moderne, Paris, 1997 -- Marc Partouche, La Lignée oubliée, Romainville, 2004 -- Album primo-avrilesque. De Alphonse Allais. Postface de Marc Partouche, Romainville, 2005 -- Irina Vakar, Kazimir Malevich. “Chernyi kvadrat”. [Kazimir Malevich : Le Carré Noir]. Moscou, Gos. Tret’iakovskaia galereia, 2015 -- Johann Naldi (sous la dir. de), Arts incohérents - Découvertes et nouvelles perspectives, Paris, 2022
WEBOGRAPHIE : exemplaire conservé à la Bibliothèque nationale de France (cote RES 8-Z TRUTAT-21) : https://gallica.bnf.fr/ark :/12148/btv1b86263801/f5.item -- exemplaire d’André Breton : https://www.andrebreton.fr/work/56600100796531