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MONNIER, Adrienne

Préface du Catalogue de “La Maison des Amis des Livres”

Paris, La Maison des Amis des Livres, 1918

MANUSCRIT AUTOGRAPHE SIGNÉ DE LA PRÉFACE DU CATALOGUE DE LIVRES DE LA LA LIBRAIRIE D’ADRIENNE MONNIER, ÉDITRICE DE JAMES JOYCE EN FRANCE (1929).

AVEC UN EXEMPLAIRE IMPRIMÉ SUR GRAND PAPIER.

UN HYMNE À LA LIBRAIRIE ET À LA LECTURE. TEXTE FONDATEUR DE “LA MAISON DES AMIS DES LIVRES”.

EXEMPLAIRE PIERRE BERGÉ

MANUSCRIT AUTOGRAPHE de la préface, signé et daté de 1918

21 pages à l’encre bleue, sur un cahier d’écolier (222 x 176mm)

JOINT : Catalogue critique de la Bibliothèque de prêt qu’elle a composée entre 1915 et 1932. I. Littérature française et culture générale. Paris, La Maison des Amis des Livres, 1932.

ÉDITION ORIGINALE. Un tiré à part de la préface seule parut en 1920.
In-8 (237 x 183mm).
TIRAGE unique à vingt exemplaires hors commerce, sur papier Lafuma. Celui-ci numéroté 13.
ENVOI autographe signé, à l’encre noire, sur le faux-titre : “À Charles de La Morandière, en amical hommage, Adrienne Monnier. Octobre 1932”.
BROCHÉ, tel que paru. Boîte.
PROVENANCE : Charles de La Morandière, historien, et l’un des abonnés à la bibliothèque de prêt d’Adrienne Monnier (envoi) -- vendu par nos soins à Pierre Bergé et racheté dans l’une de ses ventes

Adrienne Monnier écrivit ce texte en 1918, à l’âge de vingt-six ans, trois ans après qu’elle eut ouvert sa “Maison des Amis des Livres” en pleine guerre. Ce récit constitue une véritable profession de foi du métier de libraire :

“nous pensons, d’abord, que la foi que nous mettons à vendre des livres, on peut la mettre dans tous les actes de la vie quotidienne ; on peut exercer n’importe quel commerce, n’importe quelle profession avec une satisfaction qui est, à certains moments, du véritable lyrisme” (pages 3).

Ce texte-manifeste deviendra la préface du Catalogue critique de la Bibliothèque de prêt qui, sans cesse enrichi, ne paraîtra qu’en 1932, à un petit nombre d’exemplaires.

La préface s’établit sur deux niveaux : l’histoire factuelle et concrète de la création de tout commerce – en particulier, de sa librairie, et une réflexion sur le sens du métier de libraire :

“Le commerce, pour nous, a un sens émouvant et profond. Une boutique nous paraît une véritable chambre magique : à cet instant où le passant franchit le seuil de la porte que tout le monde peut ouvrir et fermer, où il pénètre dans ce lieu impersonnel, semble-t-il, nulle contrainte ne change l’air de son visage, le ton de ses paroles ; il accomplit dans un sentiment d’entière liberté un acte qu’il croit sans conséquences ; il y a une correspondance parfaite entre son attitude extérieure et son moi profond, et si nous savons l’observer à cet instant où il n’est qu’un inconnu, nous pouvons, maintenant et pour toujours, le connaître dans sa vérité… Cette connaissance immédiate, intuitive, ce fixage furtif de l’âme, qu’ils sont faciles dans une boutique, lieu de transition entre la rue et la maison.”

Adrienne Monnier rappelle les débuts sans argent, mais plein d’enthousiasme, de cette aventure :

“Il y a trois ans que nous avons fondé notre librairie. Nous n’avions, alors, aucune expérience du commerce, nous ne connaissions même pas la comptabilité, et avec cela, nous avions si peur de passer pour des commerçants mesquins que nous affections sans cesse de négliger nos intérêts – ce qui était, d’ailleurs de l’enfantillage -. On croit, volontiers que la vie éteint l’enthousiasme, déçoit le rêve, déforme les conceptions premières et réalise un peu au hasard ce qu’on, lui propose nous avions très peu d’argent et c’est ce détail qui nous poussa à nous spécialiser dans la littérature moderne ; si nous avions eu beaucoup d’argent, il est certain que nous aurions voulu acheter tout ce qui existe en fait de livres et réaliser une manière de Bibliothèque nationale” (page 6).

Le lien qui se crée alors entre le libraire et la personne qui a poussé la porte de la librairie en fait un lieu de dialogue lumineux, sorte d’humanisme littéraire sans snobisme : cette “maison” est ouverte sur la rue. Adrienne Monnier évoque sa première journée de libraire et l’arrivée cocasse de la toute première cliente, dont la venue l’intimida tellement qu’elle n’osa d’abord pas sortir de son arrière-boutique. Elle décrit ensuite les matins de silence et le soleil d’hiver sur les étagères, les boites et les tréteaux :

“Certains matins, seuls dans notre librairie, entourés seulement des livres rangés dans leurs casiers, nous sommes restés de longs moments à les contempler ; nos yeux les fixant, au bout d’un moment, ne voyaient plus que les lignes verticales et obliques marquant les limites de leurs dos, sages lignes appliquées sur le mur gris comme des « bâtons » tracés par la main inhabile d’un écolier. Devant cette apparence élémentaire que charge une âme faite de toutes les idées et de toutes les images, nous étions transis d’une émotion si puissante qu’il nous semblait parfois qu’écrire, exprimer, nous soulagerait, mais au moment où notre main cherchait la plume, le papier, quelqu’un entrait, d’autres gens venaient après, et les figures de la journée absorbaient le grand élan du matin”.

Au cœur du récit se trouvent deux listes d’auteurs proposés par la “librairie-bibliothèque” : les écrivains reconnus du tournant du siècle et les jeunes auteurs. La seconde liste comprend ceux qui feront la notoriété du 7 rue de l’Odéon : Léon-Paul Fargue, Valéry Larbaud, Apollinaire, Proust, André Salmon, et d’autres. Joyce n’y figure pas : cette préface fut écrite en 1918, or l’auteur de Ulysses ne poussera la porte de Sylvia Beach qu’en 1922.

La précision et l’équilibre du style de cette préface, l’enthousiasme, et la sincérité qui la sous-tendent, émerveillent. L’intelligence en certains passages devient lyrique, à la fois est clairvoyante et aérienne :

“Tous ceux qui vous approchent vous apportent des forces et des certitudes, vous pouvez tirer d’eux le savoir et la puissance, mais sentant que vous leur devez tout, que vous recevez d’eux plus qu’ils ne reçoivent de vous, vous êtes préservés de l’orgueil détestable qui arrête toute évolution parce qu’il se fonde sur la comparaison avec l’inférieur et stabilise, au lieu de laisser toujours tendre vers ce qui nous dépasse infiniment”.

Cette préface placée en tête du Catalogue critique de la Bibliothèque de prêt édité en 1932 présente quelques variantes par rapport au texte imprimé. Un second volume du Catalogue pour la Littérature étrangère, était annoncé mais ne parut jamais. Dans ce premier volume, le seul publié, se trouvent tous les grands auteurs de la langue française – dont l’œuvre intégrale de Proust, mais aussi des grandes traductions étrangères, reflétant le rôle majeur que joua cette discrète et amicale librairie de l’entre-deux-guerres.

Les archives de La Maison des Amis des Livres représentent 45 boîtes, conservées à l’IMEC.