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Claude Monet – A. Rodin
MOMENT ESSENTIEL DANS L’HISTOIRE DE LA SCULPTURE ET DE LA PEINTURE.
CATALOGUE DE LA FAMEUSE EXPOSITION CONJOINTE DE CLAUDE MONET ET D’AUGUSTE RODIN À L’ÉTÉ 1889.
IMPORTANTES PRÉSENTATIONS DE MONET PAR OCTAVE MIRBEAU ET DE RODIN PAR GUSTAVE GEFFROY : TEXTES MAJEURS DE L’HISTOIRE DE L’ART.
“UN MOI AUX PRISES AVEC LA NATURE” (GUSTAVE GEFFROY).
EXEMPLAIRE DE TÊTE SUR PAPIER DU JAPON
ÉDITION ORIGINALE
In-8 (247 x 160 mm). Textes d’Octave Mirbeau et de Gustave Geffroy
COLLATION : (1) f., 89 pp., (1) f.
CONTENU : Claude Monet d’Octave Mirbeau (pp. 5-26), Tableaux par Claude Monet (pp. 27-43), Augustin Rodin de Gustave Geffroy (pp. 47-84), Sculptures par Augustin Rodin (pp. 85-89)
TIRAGE : un des 20 EXEMPLAIRES DE TÊTE sur papier du Japon, celui-ci numéroté 20
RELIURE SIGNÉE DE STROOBANTS. Cartonnage de papier bis, dos à la bradel, couverture et dos conservés, non rogné. La couverture des exemplaires de tête est sur feutre du Japon
PROVENANCE : ex-libris non identifié, partiellement recouvert par le suivant -- Jacques Rodolphe-Rousseau (1893-1973 ; ex-libris à la devise “Libro justitiaque servo”)
Claude Monet et Auguste Rodin, tous les deux nés en novembre 1840, à deux jours d’intervalle, exposaient régulièrement à la galerie Georges Petit, au 8 rue de Sèze (IXe arrondissement), ouverte en 1882. En 1886, des œuvres de Monet et de Renoir étaient exposées chez Petit à côté de sculptures de Rodin. “Les trois artistes se retrouvent en 1887, à l’occasion de la sixième exposition internationale, entourés de Raffaëlli, Pissarro, Sisley, Morisot et Whistler [… ] Le terrain est donc mûr pour ce qui sera, avec l’Exposition universelle, l’événement de l’été 1889” (Musée Rodin). Cet événement, qui devait réunir au sein d’une même exposition des œuvres de Monet, Rodin, Renoir et Whistler fut refusé par Petit. C’est une autre exposition qui se dessine alors, “mais rien que vous et moi”, écrivit Monet à Rodin en février 1889. L’exposition conjointe était amorcée. Octave Mirbeau et Gustave Geffroy furent sollicités pour préfacer le catalogue.
Monet avait remercié Mirbeau d’un article élogieux paru dans Le Figaro du 10 mars 1889. Mirbeau lui répondit vers le 25 mars :
“Vous ne me devez rien du tout. C’est le rachat de notre sale métier de journaliste, que de faire, de temps en temps, une œuvre utile et juste. Quant à la préface en compagnie de Geffroy, vous pouvez compter sur moi, et de grand cœur. [… ] Donnez l’épée dans les reins de Rodin. Il a besoin d’être stimulé. Je vais lui écrire un de ces jours. L’occasion est unique pour tous les deux. Il ne faut pas qu’elle vous échappe.”
Le 4 mars, Monet s’était en effet impatienté auprès de Geffroy de n’avoir pas de réponse de ce “sacré Rodin”. Mirbeau écrivit à Geffroy le 27 mars :
“J’ai écrit à Monet que c’était entendu pour la préface. Seulement, je voudrais bien que vous me disiez à quelle époque il faut la faire et quelle longueur lui donner. Entre les deux mon cœur balance : tous les deux ils sont admirables à faire. Or voici ce que je viens d’imaginer. Alice a mis dans un chapeau les deux noms de Rodin et de Monet… Monet m’a été adjugé. Mais si pour une raison quelconque vous le préférez à Rodin, prenez-le [… ]”
Enfin, le 12 avril, Monet écrira à la fois à Mirbeau et à Geffroy pour leur dire de s’entendre directement. Geffroy reprit finalement l’article sur Rodin qu’il avait publié dans la Revue des Lettres et des Arts et l’augmenta.
La préparation de l’exposition ne se déroula pas sans heurts. Rodin, absorbé par sa Porte de l’Enfer, répondit à Geffroy : “je ne pourrai exposer que très peu de chose, presque rien, mon nom sera avec Monet, voilà tout”. La veille du vernissage, Geffroy et Petit pressèrent Rodin par télégramme de venir apporter ses œuvres afin de les placer. Rodin vint le soir même. Les sculptures furent installées sans consulter Monet, dont toutes les toiles étaient déjà arrangées. Certaines masquaient les tableaux, ce qui conduisit Monet à s’en inquiéter le lendemain auprès de Georges Petit :
“Je suis venu ce matin à la galerie où j’ai pu constater ce que j’appréhendais, que mon panneau du fond, le meilleur de mon exposition, est absolument perdu depuis le placement du groupe de Rodin. Le mal est fait… c’est désolant pour moi. Si Rodin avait compris qu’exposant tous deux, nous devions nous entendre pour le placement, s’il avait compté avec moi et fait un peu de cas de mes œuvres, il eût été bien facile d’arriver à un bel arrangement sans nous nuire. Bref, je suis sorti de la galerie complètement navré, résolu à me désintéresser de mon exposition et à n’y pas paraître. J’ai eu du mal à me contenir hier en voyant l’étrange conduite de Rodin. Je n’aspire qu’à une chose, c’est prendre le chemin de Giverny et y trouver le calme… ”
Edmond de Goncourt rapporta dans son Journal la réaction violente de Rodin : “il s’est passé, à ce qu’il paraît, des scènes terribles où le doux Rodin, sortant tout à coup un Rodin inconnu à ses amis, s’est écrié : ‘Je me fous de Monet, je me fous de tout le monde, je ne m’occupe que de moi !’” La tension entre les deux artistes se dissipa une fois l’exposition ouverte. L’inauguration eut lieu le vendredi 21 juin 1889, de deux à six heures. Elle avait été organisée de manière à coïncider avec la dixième Exposition universelle de Paris (5 mai-31 octobre 1889).
Le catalogue liste chronologiquement 145 toiles de Monet, exécutées entre 1864 et 1889, et 36 sculptures de Rodin. Pour Monet, il s’agit là de la première rétrospective d’ampleur sur sa peinture. Parmi les œuvres présentées, dont les propriétaires sont parfois mentionnés, on trouve le célèbre Impression de Monet (n° 16 du catalogue). La toile ne portait pas encore le titre que nous lui connaissons. Elle appartenait alors au médecin roumain Georges de Bellio qui l’avait acquise auprès d’Ernest Hoschedé pour 210 francs. Le Penseur ; le Poète de Rodin, décrit comme “fragment de porte”, figure sous le n° 27 : “les coudes aux genoux, le menton dans les mains, les orteils crispés, porte un caractère de grandeur farouche qui fait penser à Michel-Ange. La statutaire ne saurait aller plus loin dans la souffrance et dans le rêve” (C. Frémine).
Deux jours après l’inauguration, dans un article du Rappel, par le journaliste et poète Charles Frémine, membres des Hydropathes, ami de Rodin et de Maurice Rollinat, on lit :
“Ils devaient se regrouper. L’un semble compléter l’autre. Rodin ne pouvait trouver de meilleur cadre à sa sculpture que la peinture de Claude Monet. [… ] À première vue, on voit que les deux artistes ne relèvent que d’eux-mêmes. On est bien réellement chez eux, et la nature y est bien chez elle. C’est à elle seule qu’ils se sont adressés, bannissant impitoyablement toute réminiscence étrangère. Résultat : étonnement, nouveauté, originalité. L’un s’est jeté en pleine campagne, son pinceau à la main ; l’autre s’est enfermé dans son atelier face à face avec la machine humaine.”
Mirbeau lui-même prit la plume dans L’Écho de Paris, le 25 mars, pour en rendre compte, marteler un peu plus encore son admiration, à sa manière, de son ton si reconnaissable, en s’attardant alors davantage sur l’art de Rodin, ce qu’il n’avait pu faire dans la préface consacrée à Monet :
“L’Exposition qui vient de s’ouvrir [… ] a été un colossal, un écrasant succès pour les deux merveilleux artistes à qui nous la devons : Claude Monet, Auguste Rodin. Non-seulement elle les met à leur rang, mais elle les place hors de pairs [sic]. Ce sont eux qui, dans ce siècle, incarnent le plus glorieusement, le plus définitivement, ces deux arts magnifiques : la peinture et la sculpture. À cela, il n’y a pas de doute possible. [… ] J’ai tenté d’ailleurs d’exprimer mon admiration pour l’unique, l’immense œuvre de M. Claude Monet. Je voudrais tenter d’exprimer, même dans le cadre du journal, l’admiration que m’inspire l’œuvre extraordinaire de M. Auguste Rodin. Je ne puis malheureusement que la résumer en notations écourtées, en impressions décousues. [… ] Je voudrais multiplier les exemples, car quelle est la douleur intérieure, quelle est la beauté vivante de la nature, quel est l’inassouvi des possessions charnelles, quelle est la tristesse des luxures, quel est aussi l’héroïsme des embrassements humains que n’ait point rendus Auguste Rodin. Mais je dois me borner aujourd’hui à une constatation.”
L’exposition vit également un rapprochement entre Monet et Rodin : de simples connaissances qui s’estimaient mutuellement, les deux artistes devinrent amis et maintinrent une correspondance régulière, jusqu'à la mort de Rodin en novembre 1917.
Deux autres grandes expositions conjointes firent suite à celle-ci : en 1940, pour le centenaire de la naissance de Monet et Rodin, au musée de l’Orangerie, au profit de l’entraide des artistes ; la seconde, en 1989, pour le centenaire de l’exposition, au musée Rodin. Un très court film de cinquante secondes (voir lien infra) des archives de l’INA montre quelques images des œuvres exposées à l’Orangerie en 1940.
Cet exemplaire du catalogue a appartenu à Jacques Rodolphe-Rousseau (1893-1973), docteur en droit, avocat à la cour d’appel de Paris et vice-président du Conseil des Prud’hommes de la Seine (de 1932 à 1950). Également homme du livre, il fut éditeur dès 1920, puis, à partir de 1953, président du Syndicat national des éditeurs ainsi que président du Cercle de la Librairie.
C. Frémine, “Claude Monet et Auguste Rodin”, Le Rappel, n° 7044, dimanche 23 juin 1889, p. 2 -- O. Mirbeau, “Auguste Rodin”, L’Écho de Paris, n° 1873, mardi 25 juin 1889, p. 1 -- Claude Monet-Auguste Rodin. Centenaire de l’exposition de 1889, Paris, 1989 -- E. de Goncourt, Journal. 1887-1896, III, Paris, 1989, p. 285 -- O. Mirbeau, Correspondance avec Claude Monet, Tusson, 1990, P. Michel et J.-F. Nivet éds. -- P. Michel, Les Combats d’Octave Mirbeau, Paris, 1995, pp. 145-146 -- O. Mirbeau, Correspondance générale, II, Lausanne, 2005, lettres n° 623-624, pp. 64-67 -- sur Jacques Rodolphe-Rousseau : L’Entreprise, n° 8, 15 juillet 1953, p. 33
WEBOGRAPHIE : sur les relations entre Monet et Rodin : https://www.musee-rodin.fr/ressources/rodin-et-artistes/claude-monet -- “Exposition du centenaire de Monet et Rodin” : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/afe85000262/exposition-du-centenaire-de-monet-et-rodin