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FÉLIBIEN, André

Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes

Paris, Sébastien Mabre-Cramoisy, 1685

LE MANIFESTE DU CLASSICISME FRANÇAIS.

AVEC FÉLIBIEN ET SES ENTRETIENS, “L’HISTOIRE DE L’ART, AU SENS MODERNE DU TERME, EST ENFIN NÉE EN FRANCE” (JACQUES THUILLIER).

SUPERBE EXEMPLAIRE EN MAROQUIN AUX ARMES DE JÉRÔME PHÉLYPEAUX DE PONTCHARTRAIN, MINISTRE DE LOUIS XIV.

EN FRANÇAIS DANS LE TEXTE (EXPOSITION DE LA BNF), N° 104

PREMIÈRE ÉDITION COLLECTIVE, appelée sur les pages de titre Seconde édition

Elle est dédiée à Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), marquis de Seignelay, contrôleur général des finances et, surtout, pour ce qui regarde ce livre, “Surintendant & Ordonnateur Général des Bâtiments, Arts & Manufactures de France” depuis 1664

Les Entretiens ont d’abord été publiés séparément à cinq dates différentes, en cinq volumes in-4, au fil de leur rédaction. Le 9 octobre 1663, Félibien avait pris un privilège pour un Traité sur l’origine de la Peinture donné pour “l’espace de vingt années”. Le premier volume des Entretiens fut publié chez Pierre Le Petit en 1666. Dédié par ce même texte au grand Colbert, il présente les deux premiers Entretiens. La Seconde partie, offrant les Entretiens III et IV, paraît chez Sébastien Mabre-Cramoisy en 1672 encore sous le privilège de 1663. La Troisième partie voit le jour chez Jean-Baptiste Coignard en 1679 avec les Entretiens V et VI. La Quatrième partie apparaît chez Mabre-Cramoisy à la date de 1685 quoiqu’imprimée en octobre 1684, toujours avec ce même privilège de 1663. On y trouve les Entretiens VII et VIII, le sixième donnant la célèbre Vie de Poussin. La Cinquième partie, avec les Entretiens IX et X, est publiée encore chez Mabre-Cramoisy et achevée d’imprimer le 17 février 1688, toujours et encore sous le vieux privilège de 1663. La présente première édition collective est datée 1685 (pour 1686) et 1688. Elle fut réalisée grâce à un nouveau privilège spécifique que Félibien obtint le 23 septembre 1686 pour “rimprimer en un ou plusieurs volumes, un Livre intitulé Entretiens”. L’achevé d’imprimer du premier volume est daté du 25 novembre 1686, celui du volume II est daté du 30 mars 1688, soit un mois après la publication de la Cinquième partie. L’œuvre obéit bien à une logique de tables gigognes

2 volumes in-4 (250 x 180mm)
Marque typographique gravée sur bois imprimée sur chacune des pages de titres, nombreux bandeaux, initiales et culs-de-lampe gravés sur cuivre,
COLLATION : (vol. 1) : a-e-i-o4, A-Z 2A-Z 3A-Z 4A-Z 5A-E4 ; (vol. 2) : a2 A-Z 2A-Z 3A-Z 4A-V44X2
CONTENU : a1r faux-titre, a2r titre, a3r dédicace à Jean-Baptiste Colbert marquis de Seignelay, e4r Préface, A1r : “Premier entretien”, K3r : “Second entretien”, 2N1r : “Troisième Entretien”, 3L4r : “Quatrième entretien”, 4G2r : “Cinquième entretien”, A1r : “Sixième entretien”, Q1r : “Septième entretien”, 2Q2r : “Huitième entretien” avec la très fameuse Vie de Nicolas Poussin, 3K2r : “Neuvième entretien”, 4B3r : “Dixième entretien”, 4R1r : “Le Songe de Polymathe”, 4V2r : Table
ILLUSTRATION : 4 gravures sur cuivre imprimées à pleine page illustrant le clair-obscur et les théories de la lumière (t. I, p. 633, 637, 644, 647)

RELIURES DE L’ÉPOQUE (avant 1709). Maroquin rouge, décor doré, armes au centre des plats et encadrement à la Du Seuil, dos ornés et dorés avec pièces d’armes, tranches dorées
PROVENANCE :
1. Jérôme Phélypeaux de Pontchartrain (1674-1747), comte de Pontchartrain et de Palluau, baron de Maurepas, fils unique de Louis Phélypeaux, chancelier de France et de Marie de Maupeou, reçu conseiller au Parlement en 1693, secrétaire d’État à la Marine en 1699, commandeur des Ordes du Roi en 1709 (armes et pièces d’armes, Olivier-Hermal-de Rotton, Manuel de l’amateur de livres armoriées, planche 2263, fer 1, et Guigard, Armorial du bibliophile, t. II, p. 396). Phélypeaux ayant quatorze ans au moment de la parution du Félibien, la reliure a nécessairement dû être réalisée plus tard. Le fer 2 de la planche 2263 porte le collier du Saint-Esprit obtenu en 1709, absent sur le fer de notre reliure, donne cette année comme terminus ad quem
2. comtesse Martine de Béhague (1870-1939 ; ex-libris)
3. Hubert marquis de Ganay (1888-1974 ; ex-libris)

“Félibien représente un moment d’équilibre et de confiance, cette belle confiance des années 1660, dont la préface aux Entretiens (1666) est un éclatant manifeste”. (Jacques Thuillier, “Pour André Félibien”, XVIIe siècle, 1983, n° 138, p. 85)

André Félibien naquit en 1619, soit la même année que Jean-Baptiste Colbert et Charles Le Brun. Il était fils d’un échevin de Chartres et appartenait à cette bourgeoisie d’office frisant la noblesse, fortement teintée de jansénisme et de protestantisme. La famille du célèbre janséniste Pierre Nicole était, elle aussi, originaire de Chartres et cousine de celle de Félibien. Étudiant à Paris, il se lia d’amitié avec un peintre d’origine protestante, Louis Du Guernier, auquel il rend hommage dans l’Entretien X.

Comme il le raconte dans sa préface, Félibien passe deux ans à Rome (1647-1649) comme secrétaire de l’ambassadeur de France, le marquis de Fontaine-Mareuil. Il devient l’un des amis les plus proches de Poussin. À son retour en France, et au début des années 1650, ses talents d’écrivain et son expérience romaine le rapprochent de l’univers de la Préciosité. Il fréquente Valentin Conrart, les salons de Madeleine de Scudéry et de madame de Rambouillet, et bien entendu Fouquet. Il écrit alors et publie trois lettres sur Vaux qui sont admirées par le public heureux d’entendre l’un des meilleurs représentants de cette nouvelle langue et de la nouvelle esthétique. À la chute du glorieux Surintendant des Finances en 1661, Colbert ne laissa pas ce talent sans emploi. Il l’insérera dans ses équipes, lui procurant une place d’Historiographe du Roi et de ses Bâtiments, des Arts et Manufactures de France (1666). À la mort de Colbert, Louvois, prenant en main la politique culturelle du pays, se sépara de Perrault mais replace Félibien qui mourut, au service du Roi, en 1695.

Histoire d’un texte

Depuis l’édition de 1666, les Entretiens s’ouvrent sur une dédicace à Colbert qui remplaçait celle adressée à Fouquet dans la première version de De l’origine de la peinture (1660). Colbert y est maintenant loué pour sa politique et son action en faveur des arts. Félibien le remercie de l’intérêt qu’il porte à son œuvre et pour sa nomination de 1666.

Si c’est bien chez Félibien qu’il faut “aller chercher l’expression la plus complète de la pensée artistique du XVIIe siècle” (J. Thuillier), l’organisation même des différents Entretiens, dont l’idée est antérieure à 1660, s’avère compliquée à saisir tant le projet, étendu sur plus de vingt ans, changea plusieurs fois d’axe.

Félibien avait rapporté de Rome une copie du Traité de la peinture de Léonard de Vinci dont le manuscrit était conservé dans la bibliothèque des Barberini à Rome. Il ne voulut pas faire concurrence à la traduction de Fréart de Chambray publiée en 1651. Jacques Thuillier remarque que son “succès resta limité”, principalement à cause de la forme rigide et savante du Traité de Vinci. La traduction de Fréart de Chambray ne trouva donc qu’un écho modeste.

Constatant qu’il n’existait pas d’histoire des arts à la française, Félibien choisit de privilégier la forme de l’Entretien et de la Conversation qu’avaient déjà adoptée avant lui Chapelain, Sarasin, Madeleine de Scudéry dans Clélie, ou surtout Galilée avec ses Dialogo et Honoré d’Urfé dans l’Astrée. Le texte De l’origine de la peinture, avec le sous-titre Dialogues (1660), offre sans doute la première version imprimée du projet. Ce dernier devait s’articuler autour de deux parties égales consacrées l’une aux maîtres anciens, l’autre aux peintres modernes, sur le modèle des Vite de Vasari. Félibien reprend le projet en 1666 et publie les deux premiers Entretiens. Il est alors “décidé à introduire des développements plus importants sur les préceptes de l’art : ils prendront une place considérable dès les Entretiens III et IV (1672). D’autre part, le dessein historique s’élargit (…) Félibien songe à étendre la partie moderne sur six ou huit Entretiens, le dernier devant être consacré à Poussin (…) l’honneur et la gloire de notre nation” (art. cit., p. 88).

Cette Vie de Poussin par Félibien est la troisième grande biographie du peintre disparu, après celles de Giovanni Bellori (1672) et de Joachim von Sandrart (1675). Selon Jacques Thuillier, elle est “le premier exemple d’une monographie moderne unissant la biographie à un catalogue critique” (En Français dans le texte).

À ce moment-là, Félibien découvre la nécessité d’ouvrir son projet à l’ensemble de l’art européen, de dépasser le strict cadre français pour traiter aussi des peintures du Nord et de l’Italie. En même temps, le couronnement de l’ouvrage n’est plus la seule Vie de Poussin mais bien celles des artistes de l’entourage du peintre et de ses héritiers français. Ce seront les Entretiens IX et X publiés en 1688 au bout desquels, à la fin, Félibien “plaque de façon un peu artificielle, ce fronton poétique que constitue le Songe de Polymathe” (J. Thuillier). Ces changements d’axe conduiront Félibien à réfléchir à une nouvelle présentation de son œuvre, sous une forme complète, compacte et définitive. Ce sera cette première édition collective en deux volumes pour laquelle il prend un privilège le 23 septembre 1686, celui de 1663 ayant expiré.

Importance du texte

Pour la souligner, rien ne remplace la notice de Jacques Thuillier publiée dans En Français dans le texte :

“Peu de livre, davantage que les Entretiens de Félibien, procèdent de la rencontre opportune entre la demande d’une époque et la personnalité d’un auteur. Le XVIe siècle français s’était passionné pour les arts (…) Lorsque, le drame des guerres civiles effacé, dans l’entourage de Marie de Médicis, puis de Richelieu, le mécénat et le goût de collectionner reprirent de plus belle, amateurs et gens du monde ne disposaient toujours d’aucun ouvrage français leur apportant quelques lumières sur les arts et leur histoire. Il fallait se reporter aux ouvrages italiens ou nordiques, bornés à la production locale. Le génie de Félibien fut de répondre à cette demande (…) en proposant pour la première fois un livre à valeur universelle, qui fît sa juste place à l’art de chaque pays, dans une langue claire, sans tomber dans les récentes techniques ni la glose pédante. Il était seul en pouvoir de l’écrire.”

Enfin, le style de l’auteur a toujours été reconnu par ses pairs, par la haute administration et par la Cour, comme l’un des meilleurs de son temps. Sa Vie de Poussin récemment republiée, se lit comme un délice de classicisme.

Rareté

Cette structure gigogne a rendu extrêmement rare l’apparition d’exemplaires de choix de ce texte fondamental. Nous ne connaissons pas aujourd’hui d’exemplaire en maroquin d’époque relié uniformément des cinq parties publiées séparément sur vingt-deux ans, ni dans le marché des ventes aux enchères, ni dans celui des exemplaires passés dans le commerce (fichier Berès), ni dans les collections publiques. De la première édition collective en deux volumes, cet exemplaire est le seul aujourd’hui connu en maroquin aux armes d’un personnage de premier plan, à la fois ministre et mécène (sources : RBH, Gazette de Drouot, ABPC, fichier Berès, Vialibri).

Cet exemplaire a été luxueusement relié pour Jérôme Phélypeaux de Pontchartrain (1674-1747). Il cumula les postes de secrétaire d’État à la Marine et de la Maison du Roi. Il était fils de Louis Phélypeaux, Chancelier et Gardes des Sceaux. Jérôme Phélypeaux appartient à l’une des lignées les plus prestigieuses de la monarchie administrative française qui, de 1610 à 1781, comptera onze ministres. Après les morts de Colbert en 1683 et de Louvois en 1691, c’est le clan Phélypeaux qui occupa jusqu’en 1715 le devant de la scène dans le système de Cour et tint les rênes de l’administration. Les hommes de pouvoir, ou hantant les allées du pouvoir, étaient en effet “moins des individualités que des membres de familles, de lignages, enserrés par des liens de clientèle et de fidélité” (Denis Richet, La France moderne : l’esprit des institutions, Paris, 1973, p. 80).

Saint-Simon, toujours aussi partial et délicieux, a employé l’expression vinaigrée “le bonheur de s’appeler Phélypeaux” à propos de Jérôme de Pontchartrain, si vilipendé dans ses Mémoires. “Cet ex-bacha si rude et si superbe” (Saint-Simon) fut disgracié sans ménagement par le Régent et la réaction aristocratique de 1715.

Il était donc bien normal qu’il possédât un exemplaire luxueux des Entretiens d’André Félibien. Phélypeaux fut aussi un amateur d’art important et sa collection fut vendue à sa mort par Mariette : Catalogue des tableaux, des bustes et autres ouvrages de sculpture en marbre, et des bronzes du cabinet de M. le Comte de Pontchartrain dont la vente se fera au plus offrant et dernier enchérisseur à l'Hôtel de Pontchartrain, rue Neuve des Petits-Champs (Paris, 1747).

BIBLIOGRAPHIE : 

En Français dans le texte, Bnf, 1990, n° 104, remarquable notice de Jacques Thuillier -- en partie issue de son article célèbre, “Pour André Félibien”, XVIIe siècle, n° 138, 1983, pp. 67-95 -- Colbert (1919-1683), Paris, 1983, cat. n° 514 -- C. Frostrin, Les Pontchartrain. Ministres de Louis XIV, Rennes, 2006