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Idées italiennes sur quelques tableaux célèbres
REMARQUABLE EXEMPLAIRE AYANT APPARTENU AU SCULPTEUR BENGT-ERLAND FOGELBERG, L’UNE DES DERNIÈRES GRANDES AMITIÉS ET AMDIRATIONS DE STENDHAL.
CET EXEMPLAIRE EST EN OUTRE PARTICULIÈREMENT ÉNIGMATIQUE DE PAR SON ASPECT STENDHALIEN : INTERFOLIÉ DE FEUILLETS BLANCS ET RELIÉ EN VÉLIN VERT.
ÉDITION ORIGINALE
In-8 (230 x 153mm)
ILLUSTRATION : eau-forte intitulée “Maison de la Fornarina” placée en frontispice
RELIURE STRICTEMENT DE L’ÉPOQUE. Vélin vert, nom d’auteur et titre calligraphiés à l’encre au dos, coins de vélin, feuillets blancs inter-foliés
PROVENANCE : Bengt-Erland Fogelberg (1786-1854 ; ex-libris manuscrit)
Le dernier livre imprimé de Stendhal.
Cet ouvrage, reconnu au XXe siècle comme une oeuvre à part entière de Stendhal, fut publié sous le nom d'auteur d'Abraham Constantin. Ce peintre genevois, ami d'Ingres et de Gérard, résida en Italie pendant près de vingt ans. Stendhal et Constantin se sont rencontrés à Paris en 1826, date à laquelle il apparaît pour la première fois dans le Journal (cf. Oeuvres intimes, Pléiade, II, p. 83)
"Abraham Constantin, peintre sur émail et sur porcelaine, fort estimé et même célèbre en son temps, était né à Genève en 1785. Il avait donc environ trois ans de moins que Stendhal qui durant les quinze dernières années de sa vie eut avec lui le commerce le plus aimæable et le plus régulier. A Rome, ils habitaient ensemble et passaient toutes leurs soirées de compagnie… L'appartement de la Via dei Condotti n'avait pas seulement vu la maladie et la déchéance de Stendhal. Il avait vu aussi la collaboration des deux amis. Ils avaient eu ensemble l'idée d'un guide pour les amateurs de peinture qui visitent l'Italie. Constantin y devait consigner toutes ses observations techniques tandis que Stendhal répandrait à profusion sur le plat de consistance le sel de ses théories générales sur l'homme et les beaux-arts… Cette estime, cette amitié, cette confiance ne faiblirent jamais et l'on sait que Stendhal avait, dans plusieurs de ses testaments, laissé à Constantin ce qu'il possédait à Rome et entre autres manuscrits l'un des plus précieux : La Vie de Henri Brulard." (Henri Martineau, préface à la deuxième édition des Idées italiennes ; le manuscrit de Henri Brulard est à la Bibliothèque municipale de Grenoble).
Sur ce leg, le Dictionnaire de Stendhal offre quelques précisions puisqu'il y ajoute les manuscrits de Souvenirs d'égotisme (Grenoble) et de Une position sociale dans la vie (Grenoble). C'est dire que Constantin fut associé de très près au grand projet autobiographique des années 1830. Compliment suprême sous la plume de l'écrivain, Stendhal écrira de Constantin qu'il fut "l'homme de ce temps qui a le mieux connu Raphaël et qui l'a le mieux reproduit". Pour dernière preuve d'intimité, ce sont Romain Colomb et Abraham Constantin qui signeront l'acte de sépulture de Stendhal en 1842.
L'éditeur Rusconi retrouva par la suite le manuscrit de Idées italiennes et les épreuves corrigées au fonds Vieusseux dans le cabinet de Florence portant le même nom. Stendhal en avait corrigé les épreuves en y ajoutant des phrases, "des fines pensées, des observations savoureuses et étonnantes, des pages entières et transformé la prose monotone en un pétillement lumineux, original, stendhalien en un mot" (Rusconi).
Un exemplaire stendhalien.
Stendhal avait pour habitude de créer ses propres exemplaires de relecture en vue de nouvelles éditions : il faisait interfolier des feuillets blancs avec les feuillets imprimés de l’édition originale. Ces exemplaires interfoliés lui permettaient de noter pêle-mêle, dans les marges ou sur les feuillets blancs, des idées artistiques ou littéraires, et des considérations personnelles proches du journal. Ce fut par exemple le cas pour La Chartreuse de Parme (cf. vente Pierre Berès, 20 juin 2006, n° 91).
On connaît un autre exemplaire d’Idées italiennes interfolié à l’identique de celui-ci. Stendhal le couvrit de plus de deux cent notes à l’encre et au crayon, développant, corrigeant et améliorant le texte en vue d’une seconde édition. Il fut retrouvé à son domicile de Civita-Veccia. Si Stendhal ne vit pas cette seconde édition d’Idées italiennes (qui ne fut publiée qu'en 1931), il y travaillait au moment de sa mort.
La reliure en vélin vert de cet exemplaire d’Idées italiennes est typiquement stendhalienne. Elle est similaire à celle recouvrant le manuscrit du Tour d'Italie en 1811 par M. de Léry. Le type de peau et le vert très particulier de ce vélin sont exactement les mêmes. Aucun des deux ouvrages ne porte une pièce de titre au dos, mais un titre manuscrit, à l’encre noire.
“Fogelberg, le premier sculpteur” (Stendhal, lettre du 24 janvier 1840).
Cet exemplaire porte la signature ex-libris d’un certain Bengt-Erland Fogelberg (1786-1854), sculpteur suédois, que Stendhal tenait pour l’un des plus importants artistes contemporains vivants à Rome. Fogelberg était arrivé à Rome en 1821, soit onze ans avant que Stendhal ne soit nommé consul de Civitavecchia. Fogelberg et lui entretinrent immédiatement d’aimables relations, fondées avant tout sur leurs échanges concernant l’esthétique : “il aime le beau, comme moi, avec passion, folie, bêtise” (lettre à di Fiore du 14 janvier 1832). Fogelberg et Stendhal avaient en outre un ami commun, Donato Bucci (1898–1870), antiquaire à Civitavecchia, qui menait de nombreuses fouilles archéologiques auxquelles Stendhal participait. Quand de passage à Misène, Stendhal eut acquis au cours d’une fouille son fameux buste qu’il considérait comme être celui de Tibère, et dont il s’enorgueillait, il confia à Fogelberg la tâche importante de le restaurer. Celui-ci remplaça notamment le nez manquant.
Le titre au dos de cet exemplaire d’Idées italiennes a certainement été écrit par Bengt-Erland Fogelberg. Stendhal a pu faire relier et interfolier plusieurs exemplaires d’Idées italiennes (au moins deux, celui annoté et celui-ci) pour la relecture. Il aurait alors offert un de ces deux exemplaires au sculpteur admiré. L’exemplaire a aussi pu être offert à Fogelberg par Donato Bucci, l’une des dernières grandes amitiés de Stendhal qui joua un rôle essentiel dans sa postérité intellectuelle. Stendhal lui légua sa bibliothèque personnelle de Civitavecchia. Celle-ci contenait beaucoup d’ouvrages uniques, annotés de la main de Stendhal, dont ses plus grands livres : Armance, Promenades dans Rome, Le Rouge et le Noir, La Chartreuse de Parme, Mémoires d’un Touriste qui portent tous de précieuses inscriptions de l’auteur. Il y avait aussi de nombreux autres livres que Stendhal avait couverts de notes lors de ses lectures. Il n’est donc pas impossible que cet exemplaire d’Idées italiennes ait été offert par Bucci à Fogelberg après la mort de Stendhal puisqu’il a toutes les caractéristiques d’un exemplaire qui aurait pu se trouver dans la bibliothèque de Stendhal à Civitavecchia. L’amitié de Donato Bucci et de Fogelberg est en outre connue par les nombreuses lettres que l’antiquaire écrivit au sculpteur.
Stendhal détestait le réalisme parisien et privilégiait l’œuvre romaine de Fogelberg, plus moderne que celle de ses contemporains. Il découvrait un réel attrait dans cet art septentrional ayant évolué à Rome. Le rejet du néo-clacissisme de Fogelberg est en accord absolu avec l’un des principaux préceptes de Stendhal qui défend d’imiter servilement l’antiquité et recommande, en revanche, d’exprimer les aspirations de son époque. Dans une longue et enthousiaste lettre que publia Le Siècle, le 28 juin 1839, Stendhal décrit Fogelberg et se réjouit de deux statues qu’il tient pour des chefs d’œuvre :
« M. de Fokelberg [sic], le grand sculpteur suédois vient de terminer deux statues qui ont fait l’admiration de Rome. L’auteur est un homme encore jeune, fort maigre, qui a de grands yeux bleus et les manières les plus distinguées, c’est absolument le contraire des charlatans qui abondent ici. On ne le voit jamais dans le monde, et il n’a pas la plus petite croix, tandis que tous les charlatans de Rome en sont chargés. C’est un talent réfléchi, qui s’occupe sérieusement de son art, qui sans cesse a des scrupules, et qui veut toujours perfectionner ses œuvres. Il y a plus de six ans, nous a-t-il dit, qu’il travaille à ces deux statues, Apollon et Vénus. Tous les jours les artistes, les amateurs et les dames de la haute société allaient revoir ces deux êtres divins. Figurez-vous le style le plus élevé et en même temps le plus naïf ; c’est beau, c’est beau comme l’art grec… Tous les gens de goût que nous avons consultés sont d’avis que depuis trente ans Rome n’a rien produit de comparable à cet Apollon et à cette Vénus ».
La suite de la lettre ne tarit pas d’éloge sur l’art de Fogelberg, « rempli de grâce », « magnifique d’expression et de beauté », comparable aux fragments du Parthénon, étant à lui seul ce que « Rome fournit de plus intéressant et de plus nouveau ».
Dans une autre lettre, datée du 24 janvier 1840 (année de la parution d’Idées italiennes), Stendhal déclare que « Rome n’a que deux artistes après M. Ingres : MM. Fogelberg et Tenerami ». Il rappelle au passage que « M. Constantin est fort lié avec M. Ingres ». Le sculpteur Bengt-Erland Fogelberg et le peintre Abraham Constantin, tous deux très proches de Stendhal, se sont très certainement fréquentés, ce qui place à nouveau cet exemplaire d’Idées italiennes au coeur du dernier cercle des relations de Stendhal.
Stendhal projetait d’ajouter le nom de Fogelberg dans les éditions futures de certains de ses livres, notamment dans la nouvelle édition d’Idées italiennes qu’il préparait. Celle-ci vit finalement le jour en 1931, publiée aux éditions du Divan (sous la direction d’Henri Martineau) à partir des notes que Stendhal avait laissées à Abraham Constantin. Fogelberg apparaît effectivement à deux reprises dans l’ouvrage : à la page 40, Stendhal compare « la tête de la Vénus de Milo à la tête de la célèbre Vénus de Fogelberg ». Et plus loin, à la page 258, il évoque encore l’art de Fogelberg : « Voilà l’histoire de l’idéal en peinture et en sculpture : l’homme habile pour arriver à l’idéal, par exemple M. Fogelberg faisant une Vénus, supprime dans un certain but les détails qu’il connaît ». Dans un exemplaire des Promenades dans Rome (1829), celui de Tavernier, Stendhal a, selon Victor Del Litto (La Vie intellectuelle de Stendhal), ajouté, à la main, le nom de Fogelberg à la suite de ceux de Thorwaldsen et de Finelli.
Dernière coïncidence liant Fogelberg au coeur des dernières préoccupations artistiques de Stendhal : le sculpteur suédois décora le Palais Crescenzi, célèbre famille romaine et nom que porte le mari de Clélia, dans La Chartreuse de Parme (1839).
« Stendhal et Fogelberg. Les relations scandinaves de Henri Beyle », in Le Divan, d'octobre-décembre 1952, n° 284, pp. 488-491 – Stendhal, Correspondance générale, sous la direction de V. Del Litto, Paris, Honoré Champion, 1999, VI, p. 197 -- Bulletin du bibliophile, 1923, p. 168-183 -- Dictionnaire de Stendhal. Paris, Honoré Champion, 2003, art. Constantin [par H. de Jacquelot] -- Victor De Litto, La Vie intellectuelle de Stendhal, Paris, PUF, 1962, p. 1744