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L’Indifférent
WATTEAU ET CLAUDEL : PEINTURE ET POÉSIE.
ADMIRABLE DÉFINITION DU POÈTE, “MESSAGER DE NACRE”, PAR CLAUDEL À TRAVERS LA DESCRIPTION D’UN CÉLÈBRE PERSONNAGE DE WATTEAU.
MANUSCRIT AUTOGRAPHE COMPLET ET SIGNÉ
Deux pages in-4 (269 x 207mm), à l’encre noire, sur deux feuillets
EN FEUILLES. Chemise
“Non, non ce n'est pas qu'il soit indifférent, ce messager de nacre, cet avant-courrier de l'Aurore, disons plutôt qu'il balance entre l'essor et la marche, et ce n'est pas que déjà il danse, mais l'un de ses bras étendu et l'autre avec ampleur déployant l'aile lyrique, il suspend un équilibre dont le poids, plus qu'à demi conjuré, ne forme que le moindre élément. Il est en position de départ et d'entrée, il écoute, il attend le moment juste, il le cherche dans nos yeux, de la pointe frémissante de ses doigts, à l'extrémité de ce bras étendu il compte, et l'autre bras volatil avec l'ample cape se prépare à seconder le jarret. Moitié faon et moitié oiseau, moitié sensibilité et moitié discours, moitié aplomb et moitié déjà la détente ! sylphe, prestige, et la plume vertigineuse qui se prépare au paragraphe ! L'archet a déjà commencé cette longue tenue sur la corde, et toute la raison d'être du personnage est dans l'élan mesuré qu'il se prépare à prendre, effacé, anéanti dans son propre tourbillon. Ainsi le poète ambigu, inventeur de sa propre prosodie, dont on ne sait s'il vole ou s'il marche, son pied, ou cette aile quand il le veut déployée, à aucun élément étranger, que ce soit la terre, ou l'air, ou le feu, ou cette eau pour y nager que l'on appelle éther !”
L’Indifférent fut volé au Louvre en 1939 puis restitué deux mois plus tard par son « emprunteur » qui entendait le restaurer : « J’ai toujours aimé Watteau. Je ne pouvais pas supporter de le voir au Louvre dans un tel état. ». Ce vol succède à celui de la Joconde en 1911 (qui impliqua Apollinaire).
Le mouvement retenu de ce « messager de nacre… moitié faon moitié oiseau », pris « entre l’essor et la marche », « l’aplomb et la détente », établit l’éternelle figure orphique du poète. Cet Hermès qui balance entre son aile et son pied n’est qu’une nouvelle – et admirable – appellation du poète, déjà « voyant » et “funambule” (Rimbaud), “mendieur d’Azur” (Mallarmé) “Prince des nuées” (Baudelaire) etc. La conclusion de ce court texte lyrique n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’albatros de Baudelaire : « Ainsi le poète ambigu… dont on ne sait s’il vole ou s’il marche ».
Ce texte de Claudel parut en 1946 dans la revue L’Œil écoute.