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Office de la Vierge à l’usage de Troyes ; Office des morts à l’usage de Troyes ; Calendrier à l’usage de Troyes
FAMEUX MANUSCRIT DE LA VIERGE À LA LICORNE CONSIDÉRÉ PAR SCHWERDT COMME L’UN DE SES FLEURONS.
MAIS DEUX MINIATURES ONT ÉTÉ PEINTES VERS 1900, DONT CELLE DE LA VIERGE À LA LICORNE, PLACÉE PAR LUI EN FRONTISPICE DE SON CATALOGUE
Petit in-4 (177 x 126 mm)
COLLATION : 99 ff., précédés et suivis de deux feuillets de garde de papier, manuscrit lacunaire, relié en partie dans le désordre, cahiers de 8 feuillets (collation actuelle, nombreux feuillets remontés sur onglets : i6, ii6, iii4, iv6, v4, vi4, vii5, viii4, ix4, x7, xi8, xii8, xiii8, xiv8, xv4, xvi8, xvii4),
PEINTURE : avec 4 grandes enluminures à la partie supérieure de forme cintrée : 2 miniatures du XVe siècle au ff. 33, 42v (cercle du Maître du Michault de Guyot II Le Peley) et 2 miniatures modernes surpeintes par un faussaire sur des feuillets avec bordures enluminées du XVe siècle (ff. 13 et 32v).
- f. 13 : trois chasseurs à cheval, l’un sonnant un olifant, suivis d’autres chausseurs en arrière-plan. Vierge assise avec licorne se reposant sur ses genoux. À noter, le recto de ce feuillet est réglé blanc [miniature fin XIXe siècle, artiste faussaire].
- f. 32v : famille agenouillée en prière dans une chapelle devant des livres ouverts : un homme, chasseur portant un olifant et une épée, son épouse et leurs deux enfants [miniature fin XIXe siècle, artiste faussaire].
- f. 33 : Nativité [miniature originale du XVe siècle].
- f. 42 : Adoration des rois mages [miniature originale du XVe siècle].
ORNEMENTATION : écriture gothique à l’encre brun foncé, 16 lignes par page, quelques fioritures calligraphiques/initiales cadelées (par exemple f. 71, f. 91, avec tête de profil coiffée d’un chapeau), capitales dans le texte rehaussées de jaune pâle, rubriques en rouge, bout-de-lignes en rose foncé et bleu avec rehauts blancs et besants à l’or bruni, nombreuses initiales 1- à 2 lignes de hauteur à l’or bruni sur fonds rose foncé et bleu avec rehauts blancs, grandes initiales introduisant les grandes divisions textuelles en bleu avec rehauts blancs, serties d’un décor de feuilles de vigne colorées sur fonds à l’or bruni (4 lignes de hauteur), calendrier à l’encre rouge et brun foncé, initiales KL à l’or bruni sur fonds rose foncé et bleu avec rehauts blancs, bordures enluminées dans la marge extérieure (un feuillet sur deux) avec feuilles d’acanthes colorées, rinceaux, feuilles de vigne à l’or bruni et petits motifs floraux de couleur sur fonds réservés, mêmes bordures sur tous les quatre côtés (avec en plus des créatures hybrides zoomorphes et des oiseaux qui paraissent bien du XVe siècle et sont d’origine ; deux figures zoomorphes tiennent des armoiries aux ff. 32v et 33), encadrant les feuillets avec miniatures (ff. 13, 32v, 33, 42v ; une bordure sur quatre côtés au fol. 16v)
TEXTE :
ff. 1-12v : Calendrier, en français, encre rouge et brune ; signalons les saints suivants : saint Parre (6 janvier) ; saint Frobert [fondateur de l’abbaye de Montier-la-Celle] (7 janvier) ; saint Rémi (en rouge, 13 janvier ; en brun, 1er octobre) ; saint Maur (en rouge, 15 janvier) ; saint Savinien [ou Sabinien, martyr de Rilly ; premier apôtre du christianisme dans le diocèse de Troyes] (en rouge, 24 janvier) ; sainte Savine [« sœur consanguine de saint Savinien »] (29 janvier) ; saint Nicier [saint Nizier de Lyon] (2 avril) ; sainte Croix (deux fois : en rouge, 3 mai et 14 septembre) ; sainte Hélène (en rouge, 4 mai) ; sainte Mastie (Mastidie) [Mathie, sainte patronne de Troyes] (en rouge, 7 mai) ; saint Nicolas (9 mai ; en rouge, 6 décembre) ; saint Falle [saint Phal ou Fidolus] (16 mai) ; saint Lyé (25 mai) ; sainte Syre [on connait deux saintes Syre : l’une saint Syre de Troyes ou de Rilly et l’autre sainte Syre de Châlons ou de Meaux] (7 juin) ; La Couronne Dieu (11 août) ; saint Mammert (17 août) ; saint Fiacre [fondateur d’un monastère près de Meaux, dépendant de l’abbaye de Sainte-Croix] (30 août) ; saint Loup (1er septembre) ; saint Virilien (13 septembre) ; saint Liénard (6 novembre) ; saint Audry (en rouge, 30 novembre)
ff. 13-16 : Prière, Obsecro te [texte complet], forme féminine : « … Et michi famule tue… » (fol. 15)
ff. 16v : O intemerata [lacunaire, manque la fin], explicit : « [… ] atque misteriis celestibus ultra omnes inibitus… »
ff. 17-44 : Office de la Vierge, très lacunaire avec des feuillets parfois reliés dans le désordre, néanmoins à l’usage liturgique de Troyes, mêlées aux Heures de la Croix (manque dans sa totalité) et Heures du Saint-Esprit (seuls sont présents deux feuillets). Heures de la Vierge : matines, ff. 17-23 et f. 70 ; laudes, ff. 24-30 ; prime, ff. 33-37 ; tierce, ff. 40-42 ; sexte, ff. 42v-44 ; manquent none et complies. Heures du Saint-Esprit : ff. 38-39.
Relevons fol. 30 : antienne, « Dignare me », capitule, « Felix namque » (laudes des Heures de la Vierge, usage de Troyes) ; fol. 37 : antienne, « Ave Maria gratia plena », capitule, « Hec est virgo sancta » (prime des Heures de la Vierge, usage de Troyes) ; fol. 41-41v, antienne, « Tota pulcra es » ; capitule, « Paradisi porta » (tierce des Heures de la Vierge, usage de Troyes). Ces relevés confirment bien un usage de Troyes pour ces Heures
ff. 45-59v : Psaumes de la pénitence (lacunaire) suivis des litanies (ff. 55v-58v) [relevons : Savinien ; Quentin ; Loup ; Nicolas ; Rémi ; Hilaire ; Hélène ; Mastidie ; Hoyldis [sainte Hoïlde] ; Aldegonde ; Gertrude ; Foy, Savinia ; Syre] et prières
ff. 60-99v : Office des morts (lacunaire), à l’usage de Troyes, avec les répons suivants : (I) Credo quod ; (II) Qui Lazarum ; (III) Requiem eternam ; (IV) Absolve domine ; (V) Domine secundum ; (VI) Tuam deus piissime ; (VII) Ne intres in iudicium ; (VIII) Peccantem me ; (IX) Libera me [voir Paris, BnF, MS NAL 3163, no. 160, « relevé Leroquais »]
RELIURE DU DÉBUT DU XVIIIe. Maroquin rouge, décor doré, triple filet en encadrement, dos à nerfs, gardes de papier marbré peigné, tranches dorées. Boîte
PROVENANCE :
1. Manuscrit copié à l’usage liturgique de Troyes, comme le confirme les quelques relevés possibles aux Heures de la Vierge. Le calendrier et les litanies confirment cet usage troyen par de nombreux saints honorés dans le diocèse de Troyes. On signalera que certains saints au calendrier et dans les litanies présentent un lien avec la petite ville de Rilly (Rilly-Sainte-Syre, dept. Aube)
2. Heures sans doute copiées pour une femme si l’on en croit la formulation au féminin « mihi famule tue » dans la prière Obsecro te (fol. 15).
3. Armoiries peintes dans les marges inférieures des feuillets 32v et 33 : d’or au chevron d’azur accompagné en pointe d’une ancre de sable au chef d’azur chargé de trois étoiles (ou molets ?) d’or. L’examen de ces armoiries ne fait pas apparaître qu’elles aient pu être rajoutées à posteriori. Elles semblent bien peintes au XVe siècle et devaient faire partie du manuscrit d’origine
Ces armoiries semblent être celles de la famille Péricard, seigneur de Palteau et de Paron, aussi possessionnée dans le Maine, la Normandie et la Champagne. On conserve ces armoiries dans un vitrail maintenant au Musée de Troyes. Voir : L. Le Clert, Armorial historique de l'Aube, Marseille : Laffitte, 1976 [reprint de Paris, 1912], p. 244, no. 1319 : « Nicolas Péricard, de Troyes, fut anobli par lettres patentes en 1433 » (armoiries aussi décrites dans A. Dey, Armorial historique de l’Yonne, Sens, 1862, p. 16). On connaît au XVIe siècle un François de Péricard, évêque d’Avranches, partisan de la Ligue, fils de Jean de Péricard, Procureur au Parlement de Normandie. Nous remercions François Avril pour la confirmation de cette attribution
4. Jacques Rosenthal (1845-1937), important libraire établi à Munich (Buch und Kunst-Antiquariat, Karlstrasse 10, Munich). Il fonda son entreprise en 1895 et la revendit en 1935. Jacques Rosenthal, dont le nom de naissance était Jakob, est né en Bavière et grandit dans une famille de marchands d'art et de livres. En 1874, à l'âge de dix-neuf ans, il rejoint l'entreprise que son frère aîné Ludwig avait fondée à Munich. En 1878, il est envoyé en mission commerciale à Paris, où il développe ses connaissances des livres rares auprès du bibliothécaire Léopold Delisle et du libraire Anatole Claudin. L'année qu'il y passe fut une expérience qui le changea profondément : étant devenu un véritable francophile, il change même son prénom pour « Jacques ». Le manuscrit figure dans son catalogue L’art du livre au Moyen Âge et dans les temps modernes jusqu’àu seizième siècle (Cat. 27, vers 1900), n° 45, p. 21 et planche 4 :
« Heures à l’usage d’une église (de Tours ? de Reims ?). Très beau manuscrit exécuté en France au XVe siècle. Il est écrit en rouge et noir sur vélin et orné de quatre grandes miniatures des plus intéressantes… Deux des bordures renferment un blason : d’or au chevron d’azur accompagné en pointe d’un ancre, au chef d’azur, chargé de trois étoiles d’or (Cramoisy ?)… Manuscrit beau et remarquable par ses miniatures. La première représente la chasse mystique de la Licorne qui se réfugie dans le giron de la Vierge ; la seconde la famille de l’ancien possesseur. Le père de famille en habit de chasse est à genoux au premier plan, derrière lui sa femme richement habillée avec un fils et une fille, la bordure qui entoure cette miniature fait voir le blason ci-dessus mentionné. Les deux autres miniatures représentent la Nativité et les trois rois Mages. Très bien conservé ».
5. Charles Francis George Richard Schwerdt (1862-1939). Vignette ex-libris armoriée, contrecollée sur le recto de la première garde, « Ex-libris Schwerdt ». Hunting, hawking, shooting : illustrated in a catalogue of books, manuscripts, prints and drawings, 1928-1937 (reprint 1996), vol. II : « Horae. Prayerbook of a Hunter. [c. 1400] (sic !)… An exquisite little document of a unique kind ». Schwerdt lui-même a retenu la miniature figurant les trois chasseurs et la Vierge à la licorne pour illustrer le frontispice du vol. I de son catalogue personnel
6. Sotheby’s, Londres, The Schwerdt Collection – Fifth Portion, n°. 2218, partie de la série de ventes : The Schwerdt collection : catalogue of the renowned collection of books of C. F. G. R. Schwerdt, 1939. Nous n'avons pas pu consulter ce catalogue, dont la référence est fournie par la Schoenberg Database of Manuscripts.
7. Sotheby’s, Londres, Western Manuscripts and Miniatures…, 12 Juin 1988, lot 56. Le manuscrit a alors été catalogué comme partiellement peint au XIXe siècle, avec deux miniatures originales et deux miniatures décrites comme « forgeries ». Vendu à Tenschert, 6380 £ (estimation 2500-3500 £). Notice rédigée par Christopher de Hamel. Le nom Péricard pour les armoiries est aussi suggéré en 1988
8. Ramsen (Suisse), Antiquariat Tenschert. Leuchtendes Mittelalter : 89 libri manu scripti…, 1989, n° 89A
9. Allemagne. Reiss & Sohn, Buch- und Kunstantiquariat. Auktion 118. Wertvolle Bücher – Handschriften, 22-23 avril 2008, lot 636
Ce manuscrit associe deux miniatures originales, peintes dans l’entourage du Maître du Michault de Guyot II Le Peley, artiste troyen, et deux miniatures peintes par un faussaire des plus talentueux, qui sut faire des pastiches convaincants. Le manuscrit devint ainsi des Heures à la thématique cynégétique, qui trouvait toute sa place au sein de l’incroyable collection Schwerdt.
Dans ce manuscrit, deux miniatures sont datables du XVe siècle et appartiennent au cycle d’illustration primitif. L’origine troyenne de ce manuscrit est aussi confirmée sur le plan stylistique puisque la Nativité (fol. 33) et L’Adoration des rois mages (fol. 42v) sont à rapprocher des œuvres attribuées à un artiste du cercle d’un artiste champenois connu : le Maître du Michault de Guyot II Le Peley. Ses œuvres ont été récemment étudiées dans le cadre de l’exposition Très riches heures de Champagne (2007, cat. 26-34). Il s’agit d’un artiste actif à Troyes entre les années 1460 et 1480, qui bénéficia de la protection de Louis Raguier, évêque de Troyes (1450-1483) mais aussi de Guyot II Le Peley, riche négociant troyen. L’artiste est nommé d’après un manuscrit du poète moraliste Pierre Michault, Le Doctrinal du temps présent et La Danse aux aveugles (Paris, BnF, français 1654 ; datable vers 1475-1480), commandité par Guyot II Le Peley. Il peint de nombreux livres d’heures et délègue une partie de cette production à son cercle et son atelier. Si l’identification du premier commanditaire de ces Heures se confirme, à savoir un membre de la famille Péricard, ce manuscrit est intéressant car il rajoute une famille parmi les clients de l’officine de ce Maître.
Comme bien remarqué par Sotheby’s en 1988, ce manuscrit contient par contre deux autres miniatures qui sont peintes dans le style des deux peintures originales, mais s’en distinguent clairement. Nous avons affaire à deux miniatures insérées et peintes par un faussaire, de la fin du XIXe siècle, certainement contemporain du célèbre Spanish Forger ou Faussaire espagnol. Dans son catalogue consacré à l’étude et au recensement des œuvres du Spanish Forger (1978), W. Voelkle a classé les présentes Heures parmi les « Other Related Forgeries », conscient que les miniatures n’étaient pas de la main du Faussaire espagnol mais se rapprochaient de cette production. Voelkle ne fait pas de distinction entre les deux miniatures originales et les deux miniatures XIXe, très certainement parce qu’il n’avait pas accès au manuscrit, dont il précise la « localisation inconnue » dans sa notice.
Il apparaît effectivement que les deux « fausses » miniatures sont l’œuvre d’un artiste très talentueux, qui pousse très loin son art, jusqu’à imiter les fonds, les paysages, les architectures. On remarque par exemple le traitement à l’identique de la tour coiffée d’un petit dôme. Cette caractéristique se retrouve dans des miniatures originales du Maître du Michault de Guyot II Le Peley, comme par exemple dans le manuscrit des Heures dites de Croÿ (Paris, Bibl. de l’Assemblée nationale, MS 11, cf. Très riches heures de Champagne, 2007, cat. 31, p. 155). Même les traits de la Vierge à la licorne reprennent bien fidèlement le style des Vierges visibles dans les miniatures originales de ce maître. On comprend que le faussaire a scrupuleusement étudié les miniatures originales du présent manuscrit (Nativité et Adoration des rois mages). Le travail d’enluminures pastiches a dû être fait avant 1900-1901, date à laquelle il est catalogué par le libraire Jacques Rosenthal dont la notice précise bien qu’il est composé de quatre miniatures.
Dans son excellent article le plus récent portant sur le Faussaire Espagnol, W.M. Voelkle publie une miniature par le Faussaire rajoutée dans un Antiphonaire du XVe siècle [New York, The Pierpont Morgan Library, MS M. 786a, fol. 64]. La légende l'intitule : "The Hunt of the Unicorn Annunciation". La représentation de la Vierge à la licorne est donc bien un modèle qui circulait parmi les faussaires en France en ce début de XXe siècle. Voir : W. M. Voelkle, "The Spanish Forger. Master of Manuscript Chicanery", in The Revival of Medieval Illumination : Nineteenth-Century Belgium Manuscripts and Illuminations from a European Perspective, T. Coomans et J. De Maeyer dir., Leuven, 2007, p. 211, fig. 11.3.
W. Voelkle, The Spanish Forger. Exhibition, New York, Pierpont Morgan Library, 19 May to 29 July 1978, New York, 1978 -- F. Avril, Bibolet, F., Hermant, M. Très riches heures de Champagne : l'enluminure en Champagne à la fin du Moyen âge, Paris, 2007
PUBLICATION : W. Voelkle. The Spanish Forger. Exhibition, New York, Pierpont Morgan Library, 19 May to 29 July 1978, New York, 1978, OM3, fig. 298, p. 67 : « Location unknown, with 4 miniatures added by a forger ». Ce manuscrit fut inclus dans la section : « Other related forgeries » : « In addition to the works by the Forger or his shop, we have aslo included a section dealing with other and perhaps related forgeries, which are distinguished by OP (other painting), OM (other manuscript), or OL (other leaf) numbers. Since these are rarely reproduced, we feel it is important and appropriate to do so here, for they provide useful yardsticks by which questionable works may be measured and around which other forgeries may be grouped » (Voelkle, 1978, p. 16)