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KLEIN, Yves

Peintures. Lingots d’or

[Paris], [1959]

TRÈS RARE MANUSCRIT AUTOGRAPHE D’YVES KLEIN SUR LA DÉCOUVERTE DE SON BLEU IKB.

“J’AI RÉPONDU À LA COULEUR DU CIEL, À LA COULEUR DE L’ÉQUILIBRE ENTRE LE JOUR ET LA NUIT, À LA COULEUR DE LA VIE, DE L’ÂME.”

MANUSCRIT AUTOGRAPHE de 8 pp. in-8 (210 x 205mm ou 290 x 210mm pour deux d’entre elles)

PAPIER de récupération soit blanc soit jaune, comme un tract de Van Hoeydonck daté de “Tervuren, I.III.1959” émis par la galerie d’Anvers (Atelier) lors de l’exposition de monochromes blanc du peintre et sculpteur Paul Van Hoeydonck, de mars à mai 1959. Certains feuillets portent l’en-tête : material librairie jürgen dahl krefeld allemagne. La revue Material fut fondé par le libraire Jürgen Dahm (1929-2001), libraire, philosophe, jardinier et militant écologiste

TEXTE :

“Peintures. Lingots d’or.

Champion de Judo… [illisible]

La virtuelle flamme était immatérielle invisible.
C’est alors que je me suis aperçu que mes tableaux n’étaient que les cendres de mon art.

Ma peinture donc était tantôt sous l’influence de mon père figurative, tantôt sous l’influence de ma mère, abstraite, et pendant ce temps, sur les surfaces monochromes que j’exécutais régulièrement à part, pour moi tout seul, et auxquelles je n’attribuais qu’une valeur individuelle, devenaient de plus en plus attirantes, et me faisaient signe pour m’indiquer le chemin de la liberté.

Un jour, j’ai dit “pourquoi pas”, et j’ai exposé ces surfaces monochromes. Chaque tableau, d’une seule couleur rigoureusement unie, était accroché à côté d’un autre sur la cimaise, l’un vert, l’autre rouge, l’autre bleu etc.

L’exposition eut du succès, bien que très controversée en profondeur dans le fond de la sensibilité qui est en nous tous humains, je crois, et qui, elle, n’est plus du tout en rapport avec nos cinq sens : la vue, le toucher, l’ouïe et l’odorat.

J’ai donc peint des monochromes et je les ai exposés. Mais, si chaque tableau n’était peint que d’une seule couleur, je m’occupais cependant de plusieurs couleurs, du bleu, du rouge, du vert, de l’orange etc.

C’est alors que le bleu m’a appelé. Et j’ai répondu à la couleur du ciel, à la couleur de l’équilibre entre le jour et la nuit, à la couleur de la vie, de l’âme, et j’ai présenté mon époque Bleu.

Mais aussitôt l’amateur montre presque d’un coup toutes ses possibilités de déploiement et de développement. Le public, devant mon nom qui présentait deux ou trois monochromes à la fois, reconstituait les éléments d’une polychromie décorative en fonction, au lieu de se mettre en présence de chacune des peintures individuellement. C’est ainsi que, dans cette exposition, deux événements se produisirent dans ma vie qui allait devenir celle de “Yves le monochrome”. L’un fut l’appel du Bleu que j’aperçus au milieu des autres couleurs de mon exposition, et l’autre fut la ferme décision de m’engager dans la lutte contre l’optique apprise du public qui veut “voir”, voir et composer ou voir une composition au lieu de vivre et d’être avec l’œuvre.

C’est ainsi qu’est née l’époque Bleu, ma seconde grande exposition à Milan et à Paris. Tous les tableaux exposés étaient bleus du même format et du même ton uni. Tous se ressemblaient en apparence visuelle, tous étaient différents à un tel degré que les amateurs choisirent avec une remarquable précision chacun le leur et les payèrent à des prix considérablement différents.

Mon époque Bleu m’a alors ouvert définitivement les yeux sur le non visuel, sur “l’indéfinissable” de Delacroix, sur la qualité en soi qui fait que deux tableaux rigoureusement identiques, un Vermeer par exemple et un Van Meegeren, l’un est le Vrai, l’autre le Faux, bien qu’en tous points semblables en apparence visuelle. “L’indéfinissable”, la vérité de l’œuvre qui dénonce sa vie propre créée et en fonction, est dans le Vermeer et non dans le Van Meegeren1. C’est à la recherche de cette qualité réelle et pourtant invisible que je me suis lancé dans une course éperdue et acharnée.

Le succès total cette fois de cette entreprise me troubla au point de relire cette fois illuminé, bien conscient et maître de la situation, ce que Delacroix recopiait dans son Journal : “le mérite du tableau, c’est l’indéfinissable”. C’est depuis cette époque que je puis dire que pour moi la peinture n’est plus en fonction de l’œil comme elle l’a toujours été pour tous les artistes. La vraie valeur, la vraie vie, la vraie nature de la peinture se trouve au-delà de nos cinq sens, dans la seule chose qui nous appartient encore au-delà de ces terribles limites personnelles des cinq sens, “la sensibilité”. Après, c’est la vie elle-même, elle ne nous appartient pas !

Donc voilà, c’est la sensibilité elle-même qui m’intéresse, et me voici au cœur du problème, et je ne peux plus reculer. C’est bien le bon chemin et en avril dernier, j’ai présenté à la galerie chez Iris Clert à Paris2, mon époque dite “Pneumatique”, la sensibilité picturale à l’état matière première.

1. Hans van Meegeren (1889-1947), célèbre faussaire de Vermeer qui trompa les nazis
2. L’exposition chez Iris Clert eut lieu en avril 1958

PROVENANCE : Sotheby’s Londres, 5 juin 2007, lot 122 : £5.400, soit 8.000€ -- ancienne collection Paul Destribats

Les huit pages de ce manuscrit autographe d’Yves Klein (1928-1962) constituent à plusieurs titres un texte tout à fait exceptionnel.

Par son insigne rareté d’abord, Yves Klein étant mort à trente-quatre ans. En outre, la quasi-totalité de ses papiers fait aujourd’hui partie des Archives de l’artiste conservées par la Fondation Yves Klein. Ses textes se présentent de surcroît la plupart du temps sous forme dactylographiée. Les manuscrits autographes d’Yves Klein sont ainsi devenus particulièrement rares.

Par son intérêt artistique et philosophique ensuite. La puissante portée de ce texte manuscrit le fait participer à l’œuvre vivante de Klein. En effet, il se révèle être rien moins, à l’état de brouillon de travail formé par ces lignes jetés sur le papier comme un feu incandescent, que le noyau central de ses Écrits devenus à présents mythiques. On y retrouve la plupart des formules choc qui brilleront dans ces textes majeurs que sont L’Aventure monochrome et Le Dépassement de la problématique de l’art.

Tracées au verso de feuillets détachés d’un exemplaire du catalogue “Vision in motion” (Anvers, mars à mai 1959), ce manuscrit peut être daté de cette même année reconnue unanimement par la critique comme le sommet de la mise en mots de sa démarche créatrice.

BIBLIOGRAPHIE : 

voir aussi, pour seulement deux pages autographes, Binoche et Giquello, 7 avril 2011, lot 57, 12.000€ sans les frais : https://www.giquelloetassocies.fr/lot/9732/1808160-klein-yves-19281962peintre-frasort=num&