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Perhinderion
L’IMAGE POUR L’IMAGE, ET RIEN DE PLUS.
LA REVUE ARTISTIQUE, ÉPHÉMÈRE ET SOLITAIRE D’ALFRED JARRY : COLLECTION COMPLÈTE DU PERHINDERION
ÉDITIONS ORIGINALES
2 fascicules reliés en un volume in-folio (432 x 323 mm)
COLLATION : n° 1 : (15) ff. ; n° 2 : (11) ff.
TIRAGE : exemplaires sur vergé d’Arches
CONTENU et ILLUSTRATION :
– N° 1 : 3 grandes gravures sur bois d’Albrecht Dürer ; 4 grandes images d’Épinal en couleurs à doubles pages ; extraits du cinquième livre de la Cosmographie universelle de Sebastian Münster (1552) avec 8 gravures sur bois (4 pp.) ; texte d’Alfred Jarry, “Premier son de la messe” (1 p.) ; feuillet de table, abonnements et annonces sur papier mauve (2 pp.)
– N° 2 : 2 gravures sur bois d’Albrecht Dürer (1 grande et 1 petite) ; texte d’Alfred Jarry “Considérations pour servir à l’intelligence de la précédente image” (1 p.) ; 2 grandes images d’Épinal en couleurs à doubles pages ; texte de Félix Fénéon, “D’art”, extrait d’un article de 1888 sur l’avant-première d’une exposition de Louis Anquetin (1 p.) ; 1 lithographie originale d’Émile Bernard, “Christ en croix” ou “La Passion”, rehaussée à l’aquarelle par l’artiste ; 1 gravure sur bois extraite du Gran Simulacro dell’Arte e dell’Uso della Scherma, traité d’escrime de Ridolfo Capo Ferro publié à Sienne en 1629 ; feuillet de sommaire, abonnements et annonces sur papier mauve (2 pp.)
RELIURE : vélin ivoire rigide, dos à la bradel, titre calligraphié en rouge sur le dos, couvertures parcheminées illustrées conservées, entièrement non rognés. Étui
Après sa brouille avec Remy de Gourmont et l’aventure abandonnée de la revue de L’Ymagier à l’automne 1895, Alfred Jarry créa quelques semaines plus tard sa propre revue d’art concurrente. Le Perhinderion, dans le même esprit de juxtaposition d’images anciennes et populaires, pousse plus loin encore l’aspect graphique, au point que Jarry souhaite n’y introduire ni littérature ni aucune glose, à l’exception d’un petit éditorial dans le numéro 1, “Premier son de la messe”, faisant office de note d’intention. L’image est au centre de l’entreprise :
“Perhinderion est un mot breton qui veut dire Pardon au sens de Pèlerinage. Comme sur les places entourées d’un talus, au pied des sanctuaires, les colporteurs viennent à des dates, aux doigts appendues les images rares, six fois l’an en Perhinderion ressusciteront les anciennes ou naîtront les nouvelles estampes. Les reproductions des vieilles planches seront photogravées sur des originaux, sans en réduire la dimension, et tirées – quant à l’édition ordinaire – sur le papier vergé le plus pareil aux papiers anciens. On a retrouvé pour nous les poinçons des beaux caractères du quinzième siècle, avec les lettres abréviées, dont nous ne donnons qu’un exemple imparfait avec nos deux chapitres de Sébastian Munster, mais qui seront fondues avec le plus grand soin et serviront spécialement à nos textes à partir du fascicule II. Les bois taillés par Georgin, publiés depuis un siècle à Épinal, sont fournis ou reconstitués par la maison Pellerin et Cie, spécialement pour Perhinderion. Notre format permettra de ne pas plier ces images. Planche à planche nous donnerons toute l’œuvre d’Albert Dürer, et singulièrement toute la Grande Passion, dont voici aujourd’hui Jésus présenté au peuple.” (Alfred Jarry)
L’opération fut bien plus luxueuse que L’Ymagier : format in-folio cavalier, papiers de luxe, reproductions non réduites les plus fidèles possibles aux estampes originales, caractères typographiques imités des éditions anciennes spécialement fondus pour la revue, etc. Le “phynancement” du Perhinderion (particulièrement la fonte des caractères Mazarin corps 12) mettra Jarry à mal, déjà très peu en fonds. Il ne se faisait d'ailleurs aucune illusion quant à la “rentabilité” de l'entreprise. La confrontation des images rend la publication particulière. On y voit ainsi dialoguer Dürer, l’imagier d’Épinal Georgin et Émile Bernard. La composition de ce dernier étant la seule œuvre contemporaine (dont une première version avait déjà paru dans l’édition de luxe de L’Ymagier n° 6, en janvier 1896).
Les choix de Jarry “relèvent en réalité du montage” : il “affirme ainsi discrètement sa présence de créateur, d’organisateur – ou de manipulateur – du regard.” (Patrick Besnier). En cela, Jarry opte pour une nouvelle perception, une subversion esthétique de l’image – et de l’imagerie – populaire, laquelle “n’est plus tenue pour un document mais pour une œuvre d’art”. “Elle n’est plus jugée séparément, comme un art mineur, mais selon les critères même de l’art tout court” (Emmanuel Pernoud). En se plaçant en héritier des anciens colporteurs, en recyclant l’érudition en excentricité, Jarry “érige en système l’anachronisme et la discontinuité” (Emmanuel Pernoud). Il exhorte à libérer l’œuvre d’art des “lisières du temps”, de se “faire éternelle tout de suite”, selon les propres formules qu’il employa dans “Le temps dans l’art”, conférence qu’il donna en 1902 au Salon des Indépendants. L’imagerie n’est alors en quelque sorte plus archaïque mais légendaire. À la même époque, les recherches artistiques d’Émile Bernard trouvent des voies similaires (cf. son article sur l’art mystique de janvier 1895 dans le Mercure de France). Il y a une disparition de la notion d’auteur, d’artiste. Ne vaut que l’image, pour l’image, et pour montrer cette autonomie visuelle de l’art, Jarry s’appuie sur les arts dits primitifs ou populaires qui, précisément, sont sans auteur. En ce sens, Jarry annonce Duchamp, inévitablement.
La revue ne comporta que deux livraisons, mars et juin 1896. Mais l’esprit du Perhinderion continuera d’animer Jarry, puisque les caractères dits “du Perhinderion” serviront pour l’impression d’Ubu Roi au Mercure de France la même année, annoncé à paraître au verso du dernier feuillet du numéro 2.
É. Bernard, “Ce que c’est que l’art mystique”, Mercure de France, t. XIII, janvier 1895, n° 61, pp. 28-39 -- A. Jarry, Œuvres complètes, Paris, 1972, t. I, éd. M. Arrivé, pp. XXXV, 995-997, 1269-1270 ; t. II, éd. H. Bordillon, p. 641 -- E. Pernoud, “De l’image à l’ymage. Les revues d’Alfred Jarry et Remy de Gourmont”, Revue de l’Art, 1997, n° 115, pp. 59-65 -- P. Besnier, Alfred Jarry, Paris, 2005, pp. 215-220