




Acheter
Estimation d'un livre ou d'un manuscrit
[Lettre autographe signée à Guillaume Apollinaire]
TRÈS RARE LETTRE AUTOGRAPHE SIGNÉE DE PABLO PICASSO, GRANDE, AU FORMAT IN-QUARTO : PAS UN PETIT BILLET AVEC UN DESSIN DE QUELQUES COULEURS MAIS UNE VRAIE LETTRE.
CETTE LETTRE EST INÉDITE.
ELLE EST ADRESSÉE À GUILLAUME APOLLINAIRE, ÉCRITE DE CÉRET LORS DU PREMIÈRE SÉJOUR DE PABLO PICASSO DANS CETTE VILLE QUI CONNUT L’INVENTION DU CUBISME AVEC GEORGES BRAQUE.
CÉRET, OU “LA MECQUE DU CUBISME” SELON LE POÈTE ET CRITIQUE D’ART ANDRÉ SALMON.
1911, GRANDE ANNÉE POUR PICASSO ET APOLLINAIRE, QUI A PUBLIÉ EN MARS LE BESTIAIRE OU CORTÈGE D’ORPHÉE.
À PARIS, PABLO PICASSO A TROUVÉ UN RELIEUR DE GÉNIE POUR LE BESTIAIRE ET POUR L’ENCHANTEUR POURRISSANT (1909).
À CÉRET, IL PEINT “L’HOMME À LA PIPE” CONSERVÉ AU KIMBELL ART MUSEUM
2 pages in-4 (270 x 215 cm), en-tête Grand Café de Céret Michel Justafré (marques de plis avec petites fentes, marque d’un trombonne dans la marge extérieure) :
“Mon cher Guillaume
Tu ne m’aimes plus tu ne
me ecris plus depuis longtemps et pourtant
je t’ai envoyé de très belles cartes la Fontaine d’amour et Catalane
aux repos. Et Marie Laurencin
ne reçois pas mes letres l’adresse
32 rue Lafontaine et à suivre.
Ce pauvre Max [Jacob] a eu son livre
des vieux poemes refusé chez Stock
je suis désolée.
Je te l’ai déjà dit que je ai
trouvé ta nouvelle au Matin1 je
ne saurais te dire combien belle
je l’ai gardé dans ma malle.
Fernande [Olivier] part demain Dimanche de
Paris et lundi elle sera ici elle me donneré
des nouvelles de toi et de Marie.
Je suis en train de faire relier l’enchanteur
pourrissant et le Bestiere d’Orfee [Le Bestiaire ou Cortège d’Orphée] par un
relieur celebre j’ai tres peur que
ce soit tres mal
je l’ai donné toute
liberté à son genie et tu sais que est ce
que ce les genies.
Écris moi mon cher ami
ye vous embrasse Marie
et toi Vôtre et à toi
Picasso
Hôtel du Canigou
Maison Armand
Céret
Pyr-Or”
Avec l’enveloppe publicitaire de la Grande Chartreuse (112 x 140mm), à en-tête du Grand Café, Michel Justafré, avec timbre et suscription autographe de Pablo Picasso, ouverte sur le côté par Guillaume Apollinaire
Monsieur Guillaume Apolinaire
37 rue Gros
Paris-Passy
1. Il s’agit de L’Œil bleu, paru dans Le Matin du 31 juillet
On connaît le grand intérêt qu’Apollinaire portait à la peinture (Et moi aussi je suis peintre devait être le titre d’un premier projet avorté par la guerre qui deviendra finalement Calligrammes) et particulièrement à celle de Picasso. Des poèmes lui seront dédiés, comme “Fiançailles” (Alcools) et des sujets de Picasso deviendront ceux d’Apollinaire, comme les saltimbanques et les bohémiens. L’éclatement de la forme (vers libres, rimes fausses) et les calligrammes témoignent de cette influence. Apollinaire forgea le mot “cubisme” pour définir la peinture de son ami, et lui consacra des articles vantant “la lumière sans limites” de Picasso :
“Apollinaire explique, commente, défend Picasso tout au long de sa carrière de chroniqueur, de poète ou d’écrivain d’art […] Apollinaire, dans une certaine mesure et à certaines périodes, construit son œuvre avec Picasso ou contre lui, selon les cas” (Pierre Caizergues).
Michel Décaudin précise de son côté :
“Tout ce que nous savons ou devinons de l’Espagnol et de l’Italo-Polonais (...) nous incite à supposer entre les deux hommes quelque chose comme une complicité grave aux profondes racines affectives qui innerve certaines de leurs options artistique” (“Apollinaire et Picasso”, in Esprit, Nouvelle série, n° 61, janvier 1982, p. 80).
La correspondance Picasso-Apollinaire fournit la principale source d’information sur les relations du peintre et du poète. Cette correspondance aujourd’hui connue est divisée en deux groupes de lettres : celles éditées en volume, en 1992, sous le titre Correspondance Picasso/Apollinaire et dont les lettres sont très majoritairement conservées dans les archives du Musée Picasso, à Paris ; celles, très peu nombreuses, qu’avait conservées Bernard Poissonnier et restées inédites. Cette lettre-ci fait partie du deuxième groupe.
Les livres et le peintre
On découvre, à la lecture de ces lettres, des projets de livres communs mais qui n’aboutirent pas. On connaît des dessins d’animaux gravés et dessinés par Pablo Picasso en 1906-1907 en vue d’un Bestiaire qui fut finalement illustré par Raoul Dufy (“les machins de Dufy”, écrira nonchalamment Apollinaire à Picasso, dans une lettre du 7 août 1910). Une autre lettre mentionne un projet d’Odes illustré par Picasso (lettre du13 août 1913). Apollinaire et Picasso eurent même le projet de traduire ensemble une des Nouvelles exemplaires de Cervantès, Le Licencié de verre. Deux mois avant sa mort, Apollinaire écrit à Picasso : “Je vais t’envoyer Perceval le Gallois que j’ai fait paraître, très beau roman ancien. Je fais des poèmes et vais bientôt t’envoyer les premiers pour que tu puisses graver” (lettre 151). On ne sait rien de ces poèmes qu’Apollinaire projetait de faire illustrer par Picasso.
Il suffit, pour souligner l’importance de Picasso pour Apollinaire, de rappeler simplement deux portraits que réalisa Picasso de son ami et figurant en tête de ses deux grands livres de poèmes : un portrait cubiste pour Alcools, un portrait de facture plus classique pour les grands papiers de Calligrammes (en plus d’un autre, commun à tous les exemplaires).
Connaissance par les lettres
La Correspondance Picasso/Apollinaire recense cent-soixante-cinq pièces de correspondance échangées entre le peintre (cent-treize) et le poète (cinquante-et-une. LLa première lettre connue date d’avril 1905. Elle est adressée par Apollinaire à Picasso, lequel occupe le Bateau-Lavoir depuis un an. La dernière lettre date de septembre 1918. La plus grande partie de cet échange se trouve désormais conservé au Musée Picasso. Les éditeurs de cette correspondance signalent, en 1992, ne connaître que quelques lettres en mains privées : “pour autant que nous le sachions, six missives de Picasso [éditées dans la Correspondance] demeurent aujourd’hui dans des collections privées” ; cette lettre-ci, demeurée inédite, n’en fait pas partie. Elle est restée inconnue des éditeurs de la Correspondance.
Une partie de la correspondance que possédait Bernard Poissonnier fut confiée au Musée Picasso, et publiée en 1992. Une autre partie, dont fait partie celle-ci, avait été conservée par le collectionneur. Elle est donc restée inconnue des éditeurs, ou, tout au moins, furent-ils tenus au secret de ne pas révéler son existence.
Il ne fait aucun doute qu’Apollinaire admirait Picasso et voulait faire des livres avec lui. Quel est à l’inverse le lien qu’entretenait Picasso avec les livres et le poésie ? La correspondance constitue la seule source d’information concernant les livres d’Apollinaire que possédait Picasso. Pourtant, la majorité des lettres aujourd’hui connues, échangées entre les deux hommes, nous renseignent peu sur leur relation artistique mais témoignent essentiellement d’une amitié du quotidien. Quand elles abordent les choses de l’esprit, on note un déséquilibre notable entre les lettres des deux amis, Apollinaire étant plus enclin à analyser poèmes et tableaux que ne l’est Picasso. Les lettres où Picasso mentionne l’œuvre de son ami sont d’autant plus précieuses. Picasso, qui ne maîtrise pas bien la langue française, suit les aventures littéraires d’Apollinaire : il lit les articles et les livres qu’il lui adresse ou conseille. Apollinaire envoya régulièrement ses poèmes à Picasso, soit sous forme de livres, soit sous forme manuscrite dans des lettres, soit sous forme de revues, comme c’est le cas par exemple pour “La lettre-océan”, premier calligramme d’Apollinaire paru dans le n° 25 des Soirées de Paris en juin 1914.
La Correspondance Picasso/Apollinaire et la correspondance inédite conservée jusqu’à une date récente par Bernard Poissonnier mentionnent les titres suivants d’ouvrages d’Apollinaire :
- Le 5 août 1909, Picasso à Apollinaire : “je te remercie mille fois de tes livres” (vente B. Poissonnier, lot 25).
- Le 7 août 1910, Apollinaire à Picasso : “Le bestiaire [sic] paraîtra en 8bre avec les machins de Dufy. – L’hérésiarque et Cie pr 7bre” (Correspondance P/A, lettre 46).
- À l’automne, Picasso s’impatiente de n’avoir pas encore reçu d’exemplaire de L’Hérésiarque, ignorant qu’il n’avait pas encore paru : “Je ne ai reçu ton livre encore” (Correspondance P/A, lettre 50).
- Le 1er décembre 1910, Picasso écrit à Apollinaire : “J’ai vu Kahnweiler, il m’a dit le peu d’espérance que tu as pour le prix Goncourt ” [pour L’Hérésiarque et Cie] (vente B. Poissonnier, lot 28).
- Le 29 mai 1913, Picasso remercie Apollinaire pour l’envoi de son livre : “j’ai reçu ton livre Alcools. Tu sais comme je t’aime et tu sais la joie que j’ai. Lisant tes vers je suis bien heureux” (Correspondance P/A, lettre 83)
- 20 octobre 1916, Picasso à Apollinaire : “Depuis que j’ai lu ton livre [Le Poète assassiné] je t’aime encore plus” (vente B. Poissonnier, lot 40).
- Le 22 mars 1917, Apollinaire, à propos de Calligrammes : “tu auras ton exemplaire luxueux” (Correspondance P/A, lettre121) ; puis, dix jours plus tard, le 4 avril : “tu auras ton exemplaire sur vélin (avec les 2 portraits)” (ibid., lettre 123).
- Avril 1917, Picasso à Apollinaire : “Je suis d’accord pour tous les travaux que tu me proposes, nous ferons la traduction de Cervantès [Le Licencié de verre] et je ferai les gravures que tu dis pour ton livre [Calligrammes]” (vente B. Poissonnier, lot 43).
L’Enchanteur, Le Bestiaire et le relieur
À ces lettres s’ajoute celle-ci, datée de Céret, le 12 août 1911. Pablo Picasso part seul pour Céret entre le 5 et le 11 juillet 1911. Fernande l’y rejoindra après le 15 août. Leur retour à Paris s’effectue probablement le 4 septembre suivant, à cause de la révélation dans Paris-Journal (29 août 1911) du vol au Louvre en mars 1907 des deux sculptures ibériques par Géry Pieret. Picasso, qui avait acheté les deux têtes ibériques, les remit à Paris-Journal le 5 septembre. Apollinaire, accusé de recel, fut incarcéré à la Santé du 7 au 12 septembre 1911. Cet épisode carcéral fut la source d’inspiration de quelques poèmes d’Alcools.
Cette lettre du 12 août 1911 se singularise des quelques autres connues par les informations capitales qu’elle recèle. D’abord, elle est la seule à mentionner les exemplaires de L’Enchanteur pourrissant et du Bestiaire ayant appartenu à Picasso. Il ne faisait aucun doute que Picasso possédait un exemplaire de L’Enchanteur pourrissant, étant donné que Daniel-Henry Kahnweiler, qui publia le livre, était alors le marchand du peintre. Mais l’exemplaire ayant disparu, cette lettre en est la seule preuve de son existence matérielle.
Cette lettre apporte également un autre élément, unique dans toute la correspondance connue entre le peintre et le poète : Picasso prenait soin de ses exemplaires, tout au moins de certains d’entre eux. Non seulement il fit relier ses exemplaires de L’Enchanteur pourrissant et du Bestiaire mais il les confia au “relieur célèbre”, plus loin qualifié de “génie” de son temps. Tout ce que nous connaissons aujourd’hui de ces deux premiers livres d’Apollinaire (le premier en prose, le second en vers) ayant appartenu à Picasso est donc contenu dans ces quelques lignes si précieuses du peintre.
Les exemplaires de Picasso
Que savons-nous de ce “relieur célèbre”, et, plus largement, des livres que possédait Picasso ? Françoise Gilot rapporte :
“Pablo possédait des lettres inédites et des manuscrits, des poèmes, des dessins et d’autres souvenirs de cette amitié. Certaines de ces pièces se trouvaient rue des Grands-Augustins, beaucoup d’autres dans l’appartement de la rue de La Boétie” (cité dans La Correspondance Picasso/Apollinaire).
Ces “autres souvenirs” et “pièces” comprenaient peut-être les livres qu’Apollinaire avait offerts à Picasso.
Les archives de Pablo Picasso furent données, en plusieurs étapes, au Musée Picasso qui précise bien que “ses livres” en faisaient partie :
“le fonds des archives écrites comprend plus de 100.000 documents. Provenant des différentes demeures de Picasso, ce sont ses écrits, ses papiers personnels, ses comptes, ses livres, ses catalogues d’exposition mais aussi des correspondances, des manuscrits d’auteurs, des maquettes d’ouvrages, des tracts, des cartons d’invitation, des coupures de presse, etc. : le palimpseste d’une vie, car Picasso est réputé pour tout garder” (site du Musée Picasso).
Nous n’en savons pas plus sur les livres ayant appartenu à Pablo Picasso. Les éditeurs de La Correspondance Picasso/Apollinaire ne signalent qu’un seul livre avec envoi, celui qu’Apollinaire porta sur Lesonze mille verges, en forme d’acrostiche formant le nom de Picasso (voir Correspondance Picasso/Apollinaire, Annexes II, p. 198). Si cet envoi est le seul reproduit dans la Correspondance – et que les éditeurs de cette Correspondance ont pu avoir accès aux archives conservées au Musée Picasso pour en retranscrire et les lettres et l’envoi -, pourquoi ne mentionnent-ils pas l’existence d’autres exemplaires avec envoi ? Soit, ils n’ont pas eu accès aux livres figurant dans ces archives, soit les livres qu’Apollinaire offrit à Picasso n’y figuraient pas. Le public des amateurs de Picasso reste dans une ignorance complète de la destinée des livres précieux de Picasso.
Nous pensons qu’André Mare (1885-1932) est le relieur mentionné par Picasso dans cette lettre. Il fut peintre, décorateur, architecte d’intérieur et relieur. Il présenta ses premières reliures au Salon d’Automne de 1909. On sait qu’il a relié des livres d’Apollinaire, en particulier un Enchanteur pourrissant (ancienne collection Jacques Guérin, Paris, Tajan, 4 juin 1986, n° 59). Lui seul nous pense pouvoir être “célèbre” en août 1911.
Michel Décaudin, “Apollinaire et Picasso”, Esprit, Nouvelle série, n° 61, janvier 1982, pp. 80-84 -- Picasso/Apollinaire, Correspondance (éd. Pierre Caizergues et Hélène Seckel), Paris, 1992
WEBOGRAPHIE : pour une lettre du 24 avril 1915 de Picasso à Apollinaire, cf. https://www.christies.com/en/lot/lot-4911610