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[Chroniques. Premier livre]
LES CHRONIQUES D’ENGUERRAND DE MONSTRELET : L’UN DES DEUX PLUS ANCIENS MANUSCRITS CONNUS.
PRÉCIEUX LIVRE MÉDIÉVAL RÉALISÉ SANS DOUTE À TOURNAI, DONT ON CONNAÎT :
1. LE NOM DU COPISTE : « THOMAS DE LENOGHE NATIF DE CAMBRAY »,
2. LA DATE DE RÉDACTION : « LE 29 JUILLET 1464 »,
3. FAIT REMARQUABLE, LE NOM DU RELIEUR : « CAPELIER »
In-folio (395 x 280mm)
Manuscrit à l’encre brune, non titré, non paginé, calligraphié sur deux colonnes d’environ 45 lignes à la page. Manuscrit en langue française dans son inflexion picarde marquée entre autres par l’usage de l’article neutre « che »
COLLATION : 1-2712 286 : 330 feuillets sur papier, ce sont des bifolium cousus par cahiers de 6
FILIGRANES : le principal filigrane est ici celui d’une ancre surmontée d’une croisette (parfois non). Ce filigrane à l’ancre, attesté par Briquet entre 1391 et 1484, est très répandu en France au XVe siècle, et spécialement dans les anciens Pays-Bas (Charles-Moïse Briquet, Les Filigranes : dictionnaire historique des marques du papier dès leur apparition vers 1282 jusqu'en 1600, Leipzig, 1923, Vol I, p. 36). On remarquera l’homogénéité du stock de papier. La garde blanche inférieure de la reliure provient de ce même stock. Il est donc certain que le manuscrit fut relié là où il a été rédigé, et réciproquement
ORNEMENTATION : nombreuses initiales à l’encre rouge, petites ou grandes ; titres des chapitres à l’encre rouge, fréquents soulignages à l’encre rouge
CONTENU : 1/1 et 1/2 : blanc, 1/3r : « Selonc ce que dit Salluste », 1/3v : début de la table des matières, 1/12 : blanc 2/1r : début du texte : « Pour l’an mil et quatre cens. Premier chapitre »… sur les 268 de ce livre I, le texte est comparable au deuxième des sept manuscrits de la première classe (celle qui ne compte que le Livre I) appartenant à la BnF (Suppl. Fr. 93) et recensés par Louis Douët d’Arcq dans son édition des Chroniques (Paris, Veuve de J. Renouard, 1857-1862, 6 vol., t. I, p. xiii). Il avait été rédigé à Lille par un certain Olivet du Quesne. Les deux manuscrits sont complets. La collation du nôtre suit de près celle du manuscrit de la Bnf. La formule latine du colophon, assez répandue, est ici également reprise
COPISTE : le copiste a signé son oeuvre à la fin : « Je Thomas de Lenoghe natif de Cambray ville seans en l’empire d’Allemaigne accomplis de coppier le present livre le xixe jour de juillet l’an 1464. Scriptor qui scripsit cum Christo vivere possit. Amen ».
RELIURE SIGNÉE À L’ÉPOQUE PAR UN RELIEUR NOMMÉ “CAPELIER”. Parchemin teinté sur ais, décor estampé à froid, fer rectangulaire portant la signature du relieur : “Capelier”, plusieurs fers carrés dont l’un à la fleur-de-lys, restes de fermoirs métalliques
PROVENANCE :
Plusieurs ex-libris manuscrits des XVe et XVIe siècles, apposés sur les gardes de la reliure, peuvent être ainsi regroupés :
1. La famille de Clermès. La mention la plus ancienne est : « Ce livre est à Jehan de Clermès de Canteraine ». Elle est répétée une seconde fois : « Ce livre est à Jehan de Clermès ». Les « de Clermès » sont une famille importante de la bourgeoisie tournaisienne ayant exercé des charges importantes depuis le XIVe siècle : grand prévost ou échevin ; plusieurs de ses membres sont magistrats. On connaît un Jean de Clermès, né en 1424, qui eut lui-même un fils aussi nommé Jean vivant dans la seconde moitié du XVe siècle et époux d’une Françoise Dennetière, fille de Jacques, seigneur du Donq (Annuaire de la noblesse de Belgique, 1867, vol. 20, p. 111)
2. La famille d’Ennetières : sur les feuillets de garde, on peut aussi lire, au début : « Jherosme Dentière », « Appertient à Jacques Dennetière », avec d’autres mots qui semblent de la même main : « Spes mea Deus », « Dieu est mon espoir », « Godt es myn hoope », « Ama deum, time Deum », « Ayme Dieu et crainde Dieu », « Ce livre apertient Jasques Dennetier, ayme Dieu et crainde Dieu », « Jeromme Dennetières 1544 », « Hermes », « Ce livre apertena Jaques Danter quy… … », « Cateline Dennetier, de cœur entier à tout jamais sans… … », « Par bon amour / le cueur entyer / Chateline Dennetier », « Arnoult », « Autre ne vaie » ; sur les feuillets de garde à la fin : « Cestuy qui a fait ce livre je prie et tous ceulx qui la verront, quilz veullent prier pour son âme », « de Landas » (peut-être « A de Landas » ?), « Dennetière ». Ces personnes (Jérôme Dennetière, Jacques Dennetière, Catharine Dennetière, ect.) sont à l’évidence membres de la même famille -- le livre est, après le début du XIXe siècle, entré dans l’une des bibliothèques de la Maison de Mérode
Enguerrand de Monstrelet était, pense-t-on, bâtard de bonne maison. Il naquit autour de 1390 dans le Ponthieu, près de Doullens, dans la partie occidentale de la Picardie, et mourut en 1453. En 1430, il est attaché comme bailli de Compiègne au service de Jean de Luxembourg. Cette même année 1430, au mois de mai, Jean de Luxembourg devient le premier geôlier de Jeanne d’Arc, celui qui la vend aux Anglais. L’auteur des Chroniques assista à la rencontre entre la Pucelle et le duc de Bourgogne, Philippe le Bon. Monstrelet, homme de Jean de Luxembourg, appartient donc par nature et par origine, par conviction aussi, au clan Anglo-Bourguignon. En 1444, il devient Prévost de la riche cité archi-épiscopale de Cambrai séante en l'empire d'Allemagne, puis bailli de Walincourt (situé au sud-est de Cambrai). Il se nomme souvent Enguerrand de Monstrelet, jadis demeurant à Cambrai en Cambraisis.
Le métier d’historien
C’est à Cambrai qu’il aurait écrit cette grande et célèbre chronique dont le succès ne s’est jamais démenti. Il se dit lui-même, dans le prologue, le successeur de Jean Froissart, dont l’œuvre couvre les années 1327-1400. Monstrelet la prolonge à partir de 1400 et écrit deux livres. Le premier livre traite de la période qui s’étend de 1400 jusqu’à la fin du règne de Charles VI (1400-1422) ; le deuxième offre le tableau d’une période de l’histoire de France (1422 à 1444) qui s’achève par la trêve de Tours. L’auteur a même commencé à rédiger un troisième livre qui couvre les années s’étendant de 1444 à la mort de Philippe le Bon en 1467 (ou un peu plus tard selon les manuscrits).
La grande nouveauté de Monstrelet repose surtout dans la fiabilité de ses sources ; elle en fit un modèle pour ses successeurs. Au début de ses Chroniques, il propose au lecteur une sorte de pacte historiographique attestant de la naissance d’un véritable métier d’historien. Il devrait rendre indissociable l’écriture de l’histoire de la collation et de la mise en contradiction des sources. Monstrelet, comme Thucydide, écrit l’histoire de son temps ; il n’y a rien de là de plus contemporain (cf. A. Grafton, What was history ? The Art of History in Early Modern Europe, Cambridge, 2007). L’auteur met en garde le lecteur contre les erreurs qu'il a pu commettre :
Et me suis, dit-il, par maintes fois en moi-mesme à penser comment se povet faire, et (…) ay esté enclin à voir et oir telles et semblables hystoires, et y prins voulentiers peine et labeur en continuant à se faire selon mon petit entendement jusques au temps de mon plus mûr asge, pour la vérité d'icelles enquérir par maintes diligences, dont je me suis informé des premiers poins d'icelui livre jusques au dernier, tant aux nobles gens (…) comme aussi au plus vérifiable que j'ay sceu digne des renommez de foy (…) justes et diligens enquêreurs, bien instruis et vrais rélateurs ; sur la récitacion et relacion desquellez (…) en mectait arrière tous rappors que je ay doubté ou espéré estre non prouvables par continuacion pour jamais acteindre le cas, après que sur eulx ay eu plusieurs considéracions et grans dilacions de moi informé comme dessus, et prins mon arrest en la déclaration et rapport des plus vénérables, et les grosser au bout d'un an, et non devant. Je me suis déterminé et conclud de poursuivre ma dessus-dicte matière depuis le commencement de mon livre jusques enfin d'icellui, et ainsi l'ay faict, sans favoriser à quelque parti, ains, à mon povoir, ay voulu, comme raison donne, rendre à chascune partie vraye déclaracion ne sont faite selon ma cognoissance.
Texte
Ce premier livre de la Chronique couvre les années 1400 à 1422. Le prologue, sans rubrique, démarre brusquement :
Selonc ce que dist Saluste au commencement d’un sien livre nommé Cathilinaire où il racompte aulcuns merveilleux fais darmes des Romains et de leurs adverses parties, tout homme doibt fuir oiseuse et soy exerciter en bonnes oeuvres affin qu’il ne soit pareil aulx bestes…
L’historien se présente alors lui-même :
Je Enguerran de Monstrelet yssus de noble generation residens du temps de la compilation de che present livre en la noble cité de Cambray ville seans en lempire d’Allemaigne me suis entremis et occupes de en faire & composer ung livre ou histoire en prose jasoit ce que la matiere requist bien plus hault & soubtil engien que le mien par ce que plusieurs choses y recitées font à peser sicomme les Royalles majestez haultesses & puissances des princes excellence & noblesse en armes dont icelluy sera composé…
Après le sommaire détaillé des deux cent soixante-huit chapitres, la chronique commence à Pâques 1400 :
auquel an finit le darrennier volume de che que fist et composa en son temps che prudent et tres renommé historien maistre Jehan Froissart natif de Vallenciennes en Haynault duquel par ses notables oeuvres la renommée durrera par longtems. Et finira cestui premier livre au trespas du Roy de France de tres noble memoire Charles le bien amé sixieme de che nom lequel expira sa vie en son hostel de Saint-Pol à Paris le xxiie jour d’octobre l’an de grasse mil iiiic & xxii
Ce manuscrit présente plusieurs qualités hors du remarquables. On connaît le nom de son copiste, la date de sa rédaction, le nom de son relieur ; il présente une chaîne interrompue de provenance d’époque qui le rattache à une même région, le Hainault et sa capitale Tournai.
Le copiste et la date
Fait rare, le copiste a signé et daté le texte du manuscrit dans le colophon :
Je Thomas de Lenoghe, natif de Cambray, ville séans en l'Empire d'Allemaigne acomplie de coppijer che present livre le XIXe jour de juillet l'an 1464. Scriptor qui scripsit cum Christo vivere possit. Amen
Thomas de Lenoghe se dit natif de Cambrai. On ne connaît de lui aucun autre manuscrit. Il semble mimer la formule même utilisée par Enguerrand de Monstrelet dans le prologue du texte. Il s’y dit résidant en la noble cité de Cambray, ville séans en l'Empire d'Allemaigne (1er feuillet, 2e colonne, 9e ligne d’en haut). Etre natif de Cambrai, ne signifie pas pour autant que le manuscrit y ait été copié. Il est plutôt probable que Lenoghe entendait par là accentuer son lien avec l’auteur, justement parce qu’il ne résidait plus dans la ville archi-épiscopale.
La date du colophon (29 juillet 1464) donne à ce manuscrit une antériorité certaine dans la tradition textuelle de la Chronique. Les travaux de H. Wijsmann ont montré que les manuscrits sur papier, propres à cette tradition des Pays-Bas méridionaux, avaient précédé d’une trentaine d’années les manuscrits sur peau de vélin. Ces livres luxueux furent réalisés plus tard, vers la fin du siècle, dans un style toujours proche de l’art de l’enluminure pratiqué dans les cercles parisiens ou proches de la Cour des Valois. La chronique a donc connu un vif succès dans le demi-siècle qui suivit, une fois que sa continuation (le livre III) fut ajoutée. De la période 1470-1520 on conserve d’ailleurs une grande série de manuscrits et quatre éditions imprimées (Antoine Vérard vers 1500 et vers 1508 ; Jean Petit et Michel Le Noir 1512 ; François Regnault 1518).
Monstrelet a donc d’abord été lu dans des manuscrits écrits sur papier. H. Wijsmann ne recense que sept manuscrits datables sur papier, dont celui-ci qui lui était resté inconnu.
In fact only very few surviving manuscripts can be dated before 1470. Four manuscripts can be situated in the 1450s and two in the 1460s (…) All manuscript of Monstrelet’s Chronique and its continuations were initially, in the 1450s and 1460s, written on paper and only in the 1470s do they appear as parchment manuscripts. Thus we see that the production logic of this chronicle does not follow the same pattern as many other texts which were first produced on parchment, and later in greater numbers on paper (…) Monstrelet’s chronicle was still primarily seen as a text of practical use, important to have at hand when trying to understand the current political situation. The chronicle had not reached its final forma and was therefore not ready to be made into luxury manuscripts. (cf. art. cit. infra, pp. 204-205 et 212)
Reliure de « Capelier »
Elle est très certainement originaire du Hainaut (Tournai). Cette partie des Pays-Bas méridionaux, avec Valenciennes et Lille, a prouvé la vivacité de ses métiers du livre au XVe siècle.
La reliure est d’origine, dans son entièreté, et n’a pas été modifiée depuis le XVe siècle.
Selon un procédé habituel aux manuscrits en papier, les fonds des cahiers ont été renforcés par des bandes de parchemin. Celles utilisées ici, provenant d’autres manuscrits, contiennent pour d’eux d’entre elles, un texte scolastique (commentaire sur Aristote ?) dans une écriture du XIIIe siècle, ou des notations musicales, sans doute du XIIIe siècle aussi.
L’un de ces parchemins d’archives réemployé porte l’inscription suivante : "Rente Robert de Tournay sur Loys du Mortier et Arnoul Haneron de XVI lyons d'or par an". Elle désigne donc la ville de Tournai, ou à sa région proche, comme lieu de confection de la reliure. Si le premier nom indique clairement cette ville, le second désigne probablement un fief, « Le Mortier », sur la commune de Nomain (au nord d’Orchies, à côté de Landas). Haneron est d’ailleurs un nom largement répandu dans le Hainaut. La garde inférieure du volume porte le même filigrane à l’ancre que le stock de papier utilisé pour le manuscrit. Il est donc quasi certain que le relieur « Capelier », utilisateur de défets d’origine tournaisienne, habitait cette même ville de Tournai. Et donc que le présent manuscrit fut non seulement relié dans cette ville mais aussi rédigé à Tournai.
La reliure d'époque est estampée à froid avec un décor de filets en losange et trois fers différents (un agneau, une fleur-de-lys, un quadrilobe). À ceux-ci s’ajoute le fameux fer de signature du relieur, « Capelier » (ou éventuellement « Capetier »). Cependant, aucun relieur de ce nom n’apparaît pour Tournai dans le recensement de D. Vanwijnsberghe (cité en référence infra), ni pour la région dans les différents travaux d’Andrée Bruchet, G. Colin, M. Gil ou J.-C. Lemaire. La reliure, exécutée à Tournai, porte donc la signature d’un relieur dont c’est à ce jour l’unique œuvre connue.
Analyse de la provenance : Tournai
La ville de Tournai ressort comme le lieu unique de ses différents possesseurs. Les feuillets de garde, du même stock de papier que le texte, présentent une série de mentions qui renseignent sur ses premiers possesseurs. Ces noms ne sont d’ailleurs pas forcément des noms de possesseurs. On pouvait écrire son nom dans un livre appartenant à un proche. Pour ce volume, il est sûr qu’un « Jean de Clermes de Canteraine » en fut possesseur. Il écrit « Ce livre est à… ». Ce qui vaut aussi pour un « Jacques Dennetière », même si on ne sait de quel Jacques il s’agit. Les ex-libris de Catherine Dennetières laissent plutôt supposer qu’elle n’a pas été, elle-même, en possession du livre.
Ce livre a donc appartenu à Jean de Clermès (1422-1493), époux de Françoise de Dennetières. Ils n’eurent pas d’enfants. On peut donc supposer que ce livre est passé par héritage au frère de Françoise, Jacques Dennetières (1437/1438-1493), ou bien directement à son neveu Jérôme Dennetières (1462/1463-1535). Ce dernier eut un fils qui s’appela Jérôme (vers 1501-1560) aussi, qui fut religieux et copiste de manuscrits. C’est lui qui a dû placer sa signature en 1544, usant d’une écriture soignée. Mais c’est son frère Jacques (1491/92 – 1558) qui a des liens étroits avec la famille de Landas, dernier nom qui apparaît dans la chaîne des provenances. Jacques est le second fils de Jérôme. Il est seigneur de Lassus (au Nord-Ouest de Tournai) et de Sainghin, et devint magistrat de la ville de Tournai. Il est anobli par Charles Quint en 1524. Sa première femme Magdeleine de Landas-Chin meurt jeune. Elle est fille de Guillaume de Landas (+1531), changeur à Tournai, et de Jehanne Dimenche, dit Le Lombard. Jacques se remarie en 1520 avec Catherine de Chastillon. Ils ont huit enfants, dont encore un Jérôme, un Jacques qui devint échevin de Tournai, une Catherine et une Anne qui se marient avec deux frères de Landas. Cette Catherine est sûrement celle qui a sa signature entourée de plusieurs cœurs : « Chateline Dennetier ». Son époux Jérôme de Landas, qui se faisait nommer « Hermès », a pu aussi signer de ce prénom. Toutes ces provenances attestent donc de possessions tournaisiennes ou de l’immédiat voisinage de la capitale du Hainaut.
Il est à remarquer qu’en décembre 2013 le manuscrit fut vendu sous la provenance : "d’une grande famille belge", très certainement celle des Princes de Mérode. Le lot numéro 4 de la même vente était un Recueil de 18 plans dessinés et aquarellés, Terre de la Berlière appartenant à Monsieur le marquis d'Ennetières comte de Mouscron, qui traitait des possessions de Frédéric-Joseph, marquis d’Ennetières (1789-1875). On peut donc soupçonner un transfert de biens de la famille Dennetières (d’Ennetières) à la maison de Mérode, à un moment de l’histoire. Ce manuscrit est en tout cas toujours demeuré en mains privées, jusqu’à son apparition sur le marché en 2013.
Jusque dans les années 1470, la plupart des manuscrits de Monstrelet ont donc pour origine les Pays Bas méridionaux. Rien de plus normal puisqu’il en était originaire et avait choisi le parti Anglo-Bourguignon. On sait qu’il offrit un manuscrit du livre I de ses Chroniques, très certainement sur papier, en 1447, à Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Ce prince possédait aussi un second exemplaire de ce manuscrit. Parmi les premiers possesseurs de manuscrits de Monstrelet, figurent les plus grands noms de l’ancienne Bourgogne. Et comme leur maître, ils possédaient parfois plusieurs manuscrits des Chroniques : Antoine de Bourgogne, (1421-1504), dit le Grand Bâtard de Bourgogne, Louis de Bruges seigneur de Gruuthuse, un exemplaire appartenait sans aucun doute à la maison de Croÿ (cité dans un inventaire du XVIe siècle), un autre à Charles II de Lalaing, à Engelbert et Philippe de Clèves, à Jean de Bergen-Glymes, à Engelbert II de Nassau.
Avant 1470, Hanno Wijsman ne recense aucun manuscrit sur peau de vélin de Monstrelet. Les trois livres des Chroniques ne sont pour la première fois réunis dans leur version complète qu’en 1477 (Bibliothèque de Berne, MS 37). Les deux premiers livres des Chroniques ne sont pour la première fois réunis dans leur version complète qu’entre 1470 et 1480 par un manuscrit conservé à la BnF (sur papier, Ms. Fr. 2681). Avant 1470, on ne dénombre de ce grand texte que huit manuscrits, tous sur papier, dont celui-ci. Ils ne présentent que le Livre I (pour six d’entre eux) ou que le Livre II pour les deux autres. Parmi les six manuscrits connus du Livre I, tous sur papier, deux d’entre eux sont des versions abrégées. Parmi les quatre manuscrits complets connus du Livre I, deux sont conservés à la Bnf (Fr. 6486 et 2683). Celui-ci est donc l’un des deux seuls plus anciens manuscrit complet du Livre I recensés en mains privées. Il est le seul daté avec précision. Aucun autre manuscrit de Monstrelet n’a été présenté sur le marché international des ventes aux enchères depuis 1977.
Ce manuscrit sur papier, relié par un artisan jusqu’ici inconnu (Capelier), daté du 29 juillet 1464, réalisé par un copiste qui signe son œuvre (Thomas de Lenoghe) destinée à de puissantes familles tournaisiennes, appartient au groupe des plus anciens manuscrits connus de Monstrelet. Nul doute d’ailleurs que l’étude de son texte permettra de définir le stemma définitif des différentes versions des Chroniques. Il n’en constitue pas moins un spécimen rare et précieux des modes de lecture en France au XVe siècle. Il témoigne aussi des pratiques bibliophiliques exercées par le cercle raffiné de ses premiers lecteurs, possesseurs d’un texte important de la littérature médiévale.
Hanno Wijsman, "History in Transition. Enguerrand de Monstrelet’s Chronique in Manuscript and Print (c.1450-c.1600)", in : Malcolm Walsby & Graeme Kemp (eds.), The Book Triumphant. Print in Transition in the Sixteenth and Seventeenth Centuries, Leiden-Boston, 2011, p. 199-252
Reliure : D. Vanwijnsberghe, (« “De fin or et d’azur”. Les commanditaires de livres et le métier de l’enluminure à Tournai à la fin du Moyen Âge (XIVe-XVe siècles) », Corpus of Illuminated Manuscripts, 10), Leuven 2001, p. 267-318 -- Andrée Bruchet, « Quelques reliures estampées signées de la fin du XVe et du début du XVIe siècle de la bibliothèque municipale de Lille », dans Mélanges d’histoire littéraire et de Bibliographie offerts à Jean Bonnerot, Paris, 1954, p. 81-91 – G. Colin, « Lille, centre de reliure à la fin du Moyen Age », Gutenberg Jahrbuch, 1992, p. 352-367 – M. Gil, « Le métier de relieur à Lille (v. 1400-1550), suivi d’une prosopographie des artisans du livre lillois », Bulletin du bibliophile, 2002, 7-46 – J.-C. Lemaire, Les reliures médiévales des manuscrits de la Bibliothèque municipale de Lille, Lille, 2004 ;
Provenance : cf. comte P.-A. du Chastel de la Howarderie-Neuvireuil, Filiation des Dennetières avant leur anoblissement (1280 à 1523), précédée de la critique de lieu origine, Tournai, 1892 (extrait du tome 24 des Bulletins de la Société historique et littéraire de Tournai), p. 31-40 et de son autre art. Généalogie de la famille d’Ennetières. Seconde partie. Les Dennetières après leur annoblissement, Tournai 1906 (extrait du tome 10 de la même revue), p. 7-14