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BUDÉ, Guillaume

De l'institution du Prince. Livre contenant plusieurs Histoires, Enseignements, & saiges Dicts des Anciens tant Grecs que Latin

Abbaye de L'Arrivour, Par Maistre Nicole Paris, 1547

CÉLÈBRE EXEMPLAIRE PERSONNEL DE LOUIS XIII. 

UN LIVRE DE COUR AUX ARMES DU JEUNE ROI ET DE SA MÈRE. 

EXEMPLAIRE DES ANCIENNES COLLECTIONS DU EARL OF DYSART (HAM HOUSE, 1938), DE LUCIUS WILMERDING PUIS DU FAMEUX CABINET DES LIVRES DE PIERRE BERÈS

PREMIERE ÉDITION. Exemplaire réglé de rose. Titre dans un encadrement de quatre bordures gravées sur bois. Initiales à fond criblé gravées sur bois. Marque typographique en S6v. Blason de l'éditeur gravé sur bois en S1r

In-4 (283 x 197mm)
COLLATION : A4 B-S6 : 118 feuillets
ANNOTATIONS : très nombreuses annotations dans les marges, à l'encre noire, dues à René Gervais, second possesseur de ce livre, souvent légèrement rognées
RELIURE VERS 1620. Maroquin rouge, décor doré, armes de Louis XIII sur le plat supérieur et de Marie de Médicis sur le plat inférieur, bordure d'ovales de feuillage et semé de fleurs-de-lis dans le panneau central, dos long à décor analogue, gardes de papier peigne où se distingue une dorure sur les tranches, tranches finement dorées sur marbrure
PROVENANCE : René Gervais (ex-libris manuscrit à l'encre noire sur le titre : "Des livres de René Gervais") -- Bardeau (ex-libris manuscrit à l'encre brune sur le titre, XVIe siècle : "Je l'ay faict mien par lachast que j'en ay faict à Mr ...1610) -- Louis XIII [Olivier-Hermal-de Roton, Pl. 2493 fer 4 variante avec hachure] et Marie de Médicis [Olivier-Hermal-de Roton, Pl. 2504 fer 2] -- sans doute acquis par le Earl of Dysart, vers 1720, sans doute prix d'acquisition de £18 à l'encre brune sur une garde -- puis par descendance : Ham House (Sotheby's Londres, avril 1938, lot 55, £300 à Maggs, avec reproduction) -- Lucius Wilmerding (ex-libris ; New York, Parke-Bernet, 5 mars 1951, n° 146, avec reproduction, $ 2550) -- Pierre Berès. 80 ans de passion. Le Cabinet des livres (1913-2008 ; Paris, 20 juin 2006, n° 13)

Le texte de Guillaume Budé fut composé en français par le grand humaniste en 1516 pour l’édification du jeune Roi François Ier qui venait d’accéder au trône. Non publié, il ne fut diffusé qu’en 1547 par un imprimeur troyen, Nicolas Paris. Selon l’adresse indiquée à l’explicit, il aurait été imprimé à l’abbaye de Larivour, abbaye cistercienne voisine de Troyes. Mais il s’agit sans doute d’une adresse fictive mentionnée à la demande de Jean de Luxembourg, initiateur de la publication, abbé de Larivour et protecteur du libraire (cf. Lepreux, Gallia typographica, II, p. 58-59).

L’ouvrage de Budé est un des jalons remarquables dans la continuité des œuvres rédigées pour l’instruction des princes appelés aux plus hautes responsabilités. Parmi elles, on peut notamment citer celles d’Isocrate, de Pontanus, de Baldassar Castiglione, d’Érasme, et tant d’autres jusqu’à Fénelon. L’ensemble de ce corpus “forge une théorie de la pratique du pouvoir politique” (cf. Bibliothèque nationale de France, Gallica, Le Prince et le courtisan). Un siècle après sa composition et soixante-dix années après sa première publication posthume, le texte de Guillaume Budé fut encore jugé utile et nécessaire à la culture politique du jeune roi Louis XIII. Comme l’édition était évidemment épuisée, c’est un exemplaire de seconde main qui fut mis à la disposition du souverain et il porte deux ex-libris antérieurs très lisibles, l’un du milieu du XVIe siècle (René Gervais), l’autre daté de 1610 (Bardeau).

Cette mise à disposition n’est pas une initiative aléatoire. Elle répond à un programme concerté. En effet un second exemplaire de la même édition fut également procuré, au deuxième fils de Henri IV, le frère de Louis XIII, Gaston d’Orléans, qui, jusqu’à la naissance en 1638 du dauphin Louis, futur Louis XIV, avait rang dans la succession (cf. BnF Rés-E*-47). Comme celui de son frère, cet exemplaire est aussi de provenance de seconde main et porte un ex-libris du XVIe siècle. Il est conservé à la Bibliothèque nationale de France et, d’après les estampilles, il se trouvait à la Bibliothèque royale dès le XVIIe siècle. Ces deux exemples parallèles procurent un témoignage précieux sur l’usage d’éditions épuisées et devenues rares dans des programmes princiers de lectures sous l’Ancien Régime.

La reliure dont fut revêtue cet exemplaire aux armes de Louis XIII est particulièrement somptueuse et spectaculaire. La bordure d’ovales de feuillages est une des modalités décoratives à base d'éléments feuillagés qui prévalent en France depuis un demi-siècle et dont la plus réputée est celle qui se trouve sur les reliures de Duodo. Cette reliure doit être rattachée à un groupe de reliures également somptueuses qui furent exécutées sur des exemplaires de dédicace (donc datables avec certitude) offerts au Roi ou son ministre, le cardinal de Richelieu entre 1626 et 1633 (cf. G. Guilleminot-Chrétien, Papiers marbrés français, reliures princières, Bavel, 1987, n° 10-16, dates extrêmes des exposés n° 10, 12, 13 14, 15, 16). Elle en présente certaines caractéristiques déterminantes, notamment par la présence de gardes de papiers marbrés qui sont parmi les premiers exemples de gardes polychromes de production française. Ses bifolium de gardes marbrées en début et en fin de volumes sont insérés et cousus dans des bifolium de papier blanc dont un feuillet est contrecollé aux contreplats et dont l’autre est laissé volant et non contrecollé au verso du feuillet marbré (comme ce sera l’usage). Au final, on trouve, visibles, un feuillet de papier marbré collé au contreplat, un second feuillet de papier marbré volant et non doublé, un seul et unique feuillet de garde de papier blanc, volant. Ce dispositif (cf. G. Guilleminot-Chrétien, op. cit., p. 21) sera éphémère et bientôt remplacé. Le motif de ces papiers marbrés est un motif “peigne” droit, assez large, avec seulement une ébauche de “palme”. Il comporte plusieurs couleurs (orange, bleu, noir, blanc par réserve) qui se retrouvent avec des variantes de teintes dans les reliures du même groupe, avec une dominante rouge plus intense et constitue une des premières apparitions d’un modèle de papier marbré qui se généralisera au cours de la seconde moitié du siècle. 

Qui prit l’initiative de la recherche de l’ouvrage de Budé et de sa reliure ? Ce pourrait être le médecin précepteur du jeune roi, Jean Héroard, qui tint un célèbre journal si précieux pour la connaissance de la vie quotidienne et la formation du jeune prince royal. En effet, il a lui-même écrit et composé un ouvrage portant le même titre que celui de Budé (De l’Institution du prince, Paris, 1609), précisément dédié au dauphin dont il avait la charge. Il s’agit d’un traité moins théorique et plus pédagogique que celui de Budé, mais qui relève du même corpus de réflexions sur la préparation d’un prince aux fonctions souveraines. On peut penser aussi que prit part à cette initiative la mère du Roi, Marie de Médicis, dont les armes se trouvent sur le plat inférieur. De telles marques doubles de provenances (fils/mère) sont exceptionnelles, mais non sans précédent (exemple : Charles IX / Catherine de Médicis). En l’occurrence, elles permettent de préciser les dates de la reliure : entre 1610 (ex-libris et avènement du Roi) et 1630 (exil de la reine-mère après la "Journée des Dupes").

Tout comme le Poliphile de Guillaume d'Orange de la vente du Cabinet des livres de Pierre Berès (aujourd’hui conservé à la Bibliothèque royale de La Haye), ce livre provient de la collection du petit et très luxueux château de Ham House construit au bord de la Tamise. Cette demeure recueillit les collections de William Murray, 1er comte de Dysart (mort en 1655), et collectionneur avide d'œuvres d'art à l'époque de Charles Ier. Sa fille, la comtesse de Dysart, décrite par ses contemporains comme belle, ambitieuse et avide, épousa, en secondes noces, John Maitland, premier duc de Lauderdale, certainement le plus fastueux collectionneur de l'époque de Charles II dont il fut Secrétaire d'État pour l'Écosse : "The Duke was a very tolerable scholar and a keen collector : his chaplain and librarian, Dr. George Hickes, published a catalogue of his books in 1688" (Sotheby's, 1938). Ham House est ainsi le plus bel exemple survivant de l'alliance de l'art et du pouvoir à l'époque des derniers Stuart.

Le troisième comte (mort en 1727) et le quatrième comte, Lyonel de Dysart (1708-1770) héritèrent tour à tour de la demeure. Walpole écrit de lui : "a strange brute and indingent usurer called Earl of Dysart". C'est Lyonel qui fut le grand collectionneur de Ham House, achetant dans les célèbres catalogues de Thomas Hosborne des ouvrages de la fameuse Harleian Library, participant avec vigueur malgré son jeune âge à la vente Loménie de Brienne tenue à Londres en 1724. La bibliothèque, petite mais choisie comme un cabinet, dès l'époque de Lauderdale, était logée au second étage du château. On sait que de grands livres français furent dans ces années 1720-1750 négociés sur le marché londonien au travers des catalogues si rares de Woodman ou de Thomas Ballard. Lorsque Sotheby's vendit les livres de Ham House en 1938, la préface du catalogue de cette superbe collection atteste avec vigueur que rien ne s'était passé entre ces acquisitions du XVIIIe siècle et leur vente en 1938 : "After the death of the fourth Earl very little appears to have been added : the collection was already, in Dibdin word's "a very wonderful bool-paradise" and as such it has been carefully preserved" (Sotheby's, 1938). La nièce de Horace Walpole avait épousé le 5e comte de Dysart si bien que l'amateur eut accès à Ham House vers 1770. À l'époque, l'accès à ce palais de la Belle au Bois Dormant était rare. Les jardins étaient fermés au public. Walpole écrit :

"The old furniture is so magnificently ancient, dreary and decayed, that at every step one's spirits sink, and all my passion for antiquity could not keep them up. Every minute I expected to see ghosts sweeping by."

BIBLIOGRAPHIE : 

 cette célèbre reliure a été reproduite dans l'ouvrage de Charles Roundell, Ham House, its history and art treasures, Londres, 1904. La section sur la bibliothèque ayant été rédigée par William Y. Fletcher