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Lettre autographe signée à Marie-Louise Terrasse, dite Catherine Langeais
LE DANGER ET LA VOLONTÉ, GRANDS PRINCIPES DU JEUNE FRANÇOIS MITTERRAND.
“NOUS SOMMES DÉSORMAIS CONDAMNÉS À VIVRE DANGEREUSEMENT”
CONTENU :
Ma Marie-Louise chérie,
Puisque je dois me contenter aujourd’hui de quelques minutes, je vous écris cette lettre : elle continuera ma présence. Je vous demande d’abord de me pardonner d’avoir été si peu loquace pendant le retour d’hier : cela vous a peut-être paru confirmer votre inquiétude indiquée dans votre dernière lettre, mais la raison est en plus simple : j’étais vraiment très fatigué. J’ai traîné cette fatigue toute la soirée. Une bonne nuit par là-dessus et on n’en parle plus.
Quant à votre question au sujet de “mon ennemi ou de mon étonnement”, la réponse est également nette. Rien de vous ne m’ennuie ou ne m’étonne (de façon désagréable !). J’étais, je suis seulement préoccupé par l’importance des problèmes que notre amour met en jeu, problèmes non pas d’ordre extérieur mais intérieur. Je voudrais tellement ma chérie, bâtir notre amour solidement, sans fissures ! Je vous aime trop pour vous lancer à l’aventure sans essayer de déterminer le point de départ et le but. Et le départ a été si merveilleux que j’ai éprouvé comme une peur de l’avenir car nous sommes désormais condamnés à vivre dangereusement.
J’ai toujours pensé que l’amour était aussi bien et plus un accomplissement moral et intellectuel qu’un accomplissement physique. Je vous l’ai dit, ce qui fait la fragilité de l’amour, c’est l’extrême difficulté qu’il y a à maintenir l’équilibre entre ces trois éléments. Et si le mariage est presque toujours une expérience manquée, c’est que l’on abandonne au moins deux des points du programme. Cet équilibre ne doit pas être un dosage savant, un compromis ! J’ai horreur du juste milieu et la maxime est aussi fausse que banale qui fourre la vertu dans ce juste milieu qui ressemble si bien à la médiocrité ! L’équilibre que je veux réside dans un progrès parallèle et sans fin de toutes les qualités dont nous disposons.
Et voilà pourquoi, ma toute petite fille chérie, il m’arrive d’être grave quand je constate un désaccord entre mon rêve d’absolu et mes actes. Quand je constate ma faiblesse, je m’effraie de vous voir ainsi liée à moi et j’éprouve parfois le remords de vous avoir montré un paysage splendide auquel je serai peut-être incapable de vous faire parvenir. Ce n’est pas à cause de vous qu’il m’arrive d’être triste, c’est à cause de moi. Je sais l’exigence de mon esprit mais je sais aussi quels ravages l’analyse trop poussée, l’exagération des nuances, peuvent accomplir. De vous, ma chérie, j’ai appris le secret tellement émouvant de votre amour et cette simplicité dans le don de vous-même, je veux qu’elle soit ma force et la raison d’être de ma volonté.
Ma Marie-Louise, vous allez croire que je ne suis capable que de dire des choses sérieuses, donc ennuyeuses. Je ne suis pourtant pas encore un philosophe bardé de principes et d’axiomes et je sais fort bien que la vie est encore dans sa diversité la meilleure des théories. Par ce beau soleil qui pourrait faire croire que l’automne n’est pas la saison où l’on meurt, je me sens plein de gaieté et de confiance. J’ai beaucoup aimé qu’hier soir vous me rappeliez la présence de la lune : cela valait mieux pour le décor qu’un bec de gaz ! Et cela prouvait que, même les yeux ouverts, vous étiez capable de transformer les choses. Alors, je suis confiant. Je m’étonne avec ravissement de notre double rencontre : la première dans un bal avec la fantasmagorie des toilettes et des aires de danse, la seconde, dans nos cœurs avec la fantaisie et la douceur de l’amour. Et je pense au symbole qui unirait la joie à la gravité et qui se nommerait la certitude.
Maintenant, il ne s’agit plus que d’une lutte contre la montre ! Le temps à vaincre ! Il part battu : avant-hier (et sans doute d’autre fois), vous avez prié, me dîtes-vous, pour que notre amour ne connaisse pas de défaillances. Au fond, c’est un trust que nous créons. Si nous mettons Dieu de notre côté où l’opposition trouvera-t-elle d’appui ? Ma chérie, le tout est de savoir choisir ses alliés !
Ma toute petite fille, il est une chose insupportable : une journée sans vous. Je le sais d’expérience ! Hâtons-nous et profitons des minutes qui permettent la présence, en attendant cette présence définitive que nous avons la volonté absolue d’établir. Vous devez trouver que j’exagère en vous volant des parcelles de temps. Quel droit ai-je sur vous pour vous demander un tel don ? Vous devez être tellement occupée ; vous êtes un personnage si important ! Et moi le dernier venu, acteur de second plan, voilà que j’enlève l’héroïne, sans tenir compte des règles préétablies et de l’ordonnance du jeu.
Vous savez que j’ai tendance à me répéter : dois-je rompre l’habitude ? Tant pis si je deviens conformiste, mais je vous dis que je vous aime. Je le constate de deux façons : la première, à l’ennui, à la peine, à la fureur, à la jalousie, à la tristesse, au scepticisme, que j’éprouve sans me lasser chaque fois qu’il me semble que vous êtes lointaine par l’esprit et par le cœur ; la seconde, à la joie, à la certitude, à l’altruisme, à la “bonté naturelle”, au bonheur que j’éprouve sans me lasser chaque fois que vous me semblez présente par l’esprit et par le cœur ! Entre ces deux manières de sentir, il est un point commun, et remarquable : sans me lasser. Est-ce la preuve de l’amour ? Ma chérie, je vous supplie de comprendre ceci : que je ne suis presque jamais plus près de rire que quand je parle avec sérieux et plus près d’être grave que quand je semble rire et c’est souvent bien difficile à démêler. De cette semaine si ravissante, je retiens ceci : je vous aime. J’ajouterai : je vous adore, mais ça se dit et ça ne s’écrit pas. Crainte du panthéisme ! Je vous ai retrouvée telle que je vous attendais. L’absence forge l’amour vrai : il s’agissait bien d’un amour vrai. Et maintenant que vous êtes là, près de moi, maintenant que vous êtes redevenue ma petite fille silencieuse et bien-aimée, je prends votre visage, ma chérie, comme une terre conquise et que l’on garde précieusement, et que l’on aime éperdument.
François