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Lettre autographe signée à Marie-Louise Terrasse, dite Catherine Langeais
L’UNE DES PLUS BELLES LETTRES : PREMIER ORAGE ET PREMIÈRE RUPTURE DRAMATIQUE.
“JE N’AI PU VOUS CRIER QUE MA SOUFFRANCE”.
CATHERINE LANGEAIS REPROCHE À FRANÇOIS MITTERRAND DE L’IDÉALISER
CONTENU :
Le 22 février 1939
Il faut que vous lisiez cette lettre, ma bien-aimée. Les mots que j’emploierai exprimeront peu de chose. Ils contiendront toute mon âme.
Hier soir, je vous ai vue, et nous étions l’un et l’autre tellement bouleversés que nous nous sommes plus blessés que guéris. Par ma faute : je voulais vous parler simplement, avec cette même confiance, ce même abandon que nous avons connus le long de nos merveilleuses promenades. Et puis une angoisse si foudroyante s’est emparée de moi de vous voir disparaître, comme cela, sans un geste, sans une parole, que je n’ai pu que vous crier ma souffrance. Je vous demande pardon, ma si petite fille, de vous avoir torturée ainsi. Mais j’ai, moi aussi, tellement souffert.
Ce soir, je veux que ces lignes soient notre gage de sérénité, de paix. Songez, mon Zou tant aimé, à tous les instants qui nous ont unis, au Bonheur qui nous a été accordé, l’un par l’autre. Nous deux, seuls. Il m’est impossible de vous parler autrement que ma main dans votre main. Quelle que soit notre situation d’aujourd’hui, il n’en reste pas moins que notre tendresse ne peut disparaître, “qu’au fond de notre cœur” nous ne pouvons être complètement séparés, que nous avons été rapprochés par les mêmes joies, et maintenant la même souffrance. Ma Marie-Louise. Ô ! Comme je voudrais qu’un instant vous soyez celle de tant de jours où votre présence suffisait à garantir notre bonheur. Écoutez-moi, je suis satisfait d’avoir à vous écrire de telles choses. Si proche de nous est l’allégresse de nos lettres ! Écoutez-moi ma petite fille, mon petit Zou dont je n’ai pas encore perdu le parfum, ma pêche dont je ne peux perdre le goût. Je ne veux pas vous dire des choses tristes. Je veux que vous puissiez encore vous appuyer sur moi : il faisait si bon ainsi résoudre toutes les questions.
Si je m’inquiétais de notre amour jeudi et samedi derniers, j’étais loin d’imaginer la crise qu’il traversait. Je vous voyais très lasse, mais encore très proche. Et puis le dimanche précédent avait été si doux. Vous m’avez dit au moment de vous quitter, et avant que je vous fasse la demande rituelle, “nous avons passé une heureuse journée”. Je pensais que vous étiez réellement heureuse. Le lendemain, nous avions vécu une bonne soirée, rapide, comme chaque fois qu’il s’agissait de notre amour. Ces heurts qui vous ont si peinée, je les considérais comme sans gravité : petites oppositions, plus d’amour-propre que de sentiment profond. J’aurais dû songer à leur résonance en vous, ma bien-aimée, j’aurais dû mieux vous deviner. Mais vous saviez bien, Marie-Louise, que ce manque de douceur ne cachait qu’une immense tendresse. Et si la dure expérience que je vis me guérit de mes fautes d’appréciation, il [sic] ne me guérit pas de ma tendresse.
Et nous avions, nous avons tant de conceptions de la vie, communes, nous recherchions un idéal si proche. Vous ai-je aimée seulement de façon idéale ? Non. Je vous ai aimée, je vous aime comme un homme peut aimer une femme : de tout son corps et de toute son âme. Notre recherche d’équilibre n’excluait rien. Ô ! Ma délicieuse petite fille, comment briser tant de liens ! Nous n’avons pour nous que de rares et courts moments. Et j’arrivais souvent fatigué par ma vie militaire. Mais ceci n’était que momentané : pas une seule fois je ne vous ai quittée sans posséder en moi la joie de vous avoir vue, l’impatience de vous retrouver, la certitude de vous avoir un jour, à moi, complètement à moi, pour toujours.
Et maintenant, Marie-Louise, après tout ce passé, ce passé qui m’étreint, qui m’entoure, ce passé presque présent, voici que je vous écris cette lettre. Quelle tâche épuisante. Jeudi encore, après tant d’autres, je recevais une de ces lettres qui m’apportaient la force de vivre une journée sans vous. Rien n’y décelait votre inquiétude. Moi, je ne puis faire la liaison entre notre intimité d’hier et notre débat d’aujourd’hui, nos heurts, mais ils n’étaient pas même capables de rider mon amour.
Ne crois-tu pas, mon Zou chéri, qu’il est impossible que ton sourire, tes yeux, tes cheveux, ton visage, tout toi-même, me soient éternellement refusés. Tu m’avais tant donné. Trop, me dis-tu ? Mais je t’aimais. Je t’aime. Pour moi ? tu es exactement la même que si rien ne s’était passé. Tout demeure sur le même plan. Tu demeures “mon bien le plus précieux”. Tu sais, ce bien que je portais (peut-être mal) mais avec adoration.
Permets-moi de te parler ainsi. Je te l’ai souvent répété “nous devons tout nous dire”. Notre pacte ne peut être brisé totalement. Il nous liera toujours, même malgré nous : il nous lie par le bonheur qu’il nous a donné. Il y a un mois nous fêtions notre anniversaire. Comme tout était beau. N’est-ce pas que tu m’aimais encore ? Je pense à ce petit mot que tu m’écrivais du local St Dominique, tout triste parce que nous nous étions manqués le samedi et me fixant un rendez-vous pour le lendemain. J’y respirais notre tendresse. D’ailleurs, jusqu’à mercredi dernier, tu as été toute pareille. Sans doute, je comprendrais ton angoisse au cas où déjà tu aurais voulu m’avouer ta tristesse, mais retenue par la crainte de trop me briser, peut-être de trop te briser. En a-t-il été ainsi ? Dès ce moment-là ? Ah ! que s’est-il passé mercredi et jeudi, quel drame t’a secouée à ce point que tu aies été obligée de reposer ta tête sur mon épaule après m’avoir refusé ton visage. J’aurais voulu à ce moment (première révélation) t’entourer avec tant d’amour, te garder, te défendre. Tu ne peux pas me taire ce moment où ta décision a été prise. Je suis tellement torturé. Je sens tellement ma responsabilité. Je n’avais pas le droit de te donner une parcelle de douleur.
Tu m’as dit de t’écrire une lettre en réponse de la tienne. Tu me demandes de ne pas te mépriser, de ne pas t’ignorer. Ma bien-aimée ce que je t’écris là dépasse toute expression. Devant Dieu, devant tout ce qui nous appartient, devant nos rêves, nos promesses, devant notre joie quotidienne, nos lettres, nos rencontres, nos promenades, nos baisers, nos conversations, nos silences, notre amour, tu entends, devant notre amour, je te jure que je t’aime plus que tout au monde. La pensée que ton bonheur était entre mes mains et que je l’ai dilapidé me dévaste. Je suis responsable de tout. De tout. Ton bonheur, je te l’avais promis, et c’est vrai qu’il était mon seul but. Et je ne te l’ai pas offert, puisque maintenant nous sommes lourds de notre souffrance. Te mépriser ! Mon bien précieux, ma Béatrice, ma Beata Beatrix. Toi que j’ai “dépouillée”, toi que j’aime.
Je te vois si près de moi le long du chemin qui nous menait aux Tuileries, ou dans la neige le jour de mon départ pour Jarnac lors de ma permission de Noël, ou le long de notre route féerique du jour où nous nous sommes retrouvés après notre grande séparation.
Et pourquoi cette épreuve que nous vivons ne serait-elle pas un ennui, comme nous le décidions de tout ce qui nous adviendrait, la veille de mon entrée dans l’armée. Un jeudi splendide où je débordais de tant de ferveur. Il ne s’agit pas d’oublier ou de pardonner. Il s’agit de vivre notre vie, notre amour, de continuer notre vie toute pareille, avec ma force renouvelée par la vue plus juste de tes peines, avec ta tendresse renouvelée par la vue de tout ce que je veux t’apporter de Bonheur.
L’Amour n’est pas nécessairement une voie toute facile. Quelle tristesse si nous confondions un premier obstacle grave rencontré avec une cassure.
Ma Marie-Louise bien-aimée, à l’heure où je reprends cette lettre, vous dormez sans doute. Ai-je encore le droit de rêver que je vous protège. Je l’ai fait tant de fois. Plus d’une année. Ô ! Ma bien-aimée, je veux encore vous veiller avec adoration. À voix très basse : (vous devez être si lasse, mon Zou) je vous dis que je vous aime, que je vous aimerai au-delà de tout. Et si vous, vous ne vous sentez plus la force de m’aimer pour toute la vie, je ne veux pas, et ma tendresse se fait si tremblante et si sûre d’elle, je ne veux pas que nous tombions tous les deux de très haut, je ne veux pas que nous nous fassions mal. Vous m’avez donné la merveille de votre amour, vous m’avez donné cette petite fille que vous étiez, que vous êtes. Cela existe. Notre amour existe. Nous ne pouvons pas trahir nos soirées pleines de bonheur à éclater, nous ne le pouvons pas parce que moi je n’ai pas compris tout ce que vous désiriez. Si tout devait être fini entre nous, ma pêche – et je ne puis le concevoir – il ne faudrait pas tromper nos rêves. Je vous le demande de toute mon âme, il faudrait que notre amour éclaire notre vie et la fasse aussi belle que nous l’avions promis. Ma merveilleuse, quoi qu’il arrive, vous serez toujours tout pour moi. Je ferai tout pour vous éviter la moindre souffrance, je n’ai jamais voulu que votre bonheur.
C’est pour cela que je vous demande de m’écrire une lettre dans laquelle vous expliquerez avec la tendresse que j’attends de vous, “cette tendresse du fond de nos cœurs”, ce qui s’est passé en vous. Ayez une confiance absolue en moi. N’est-ce pas que vous croyez en moi, ma bien-aimée. Je suis capable d’être si fort, surtout après ma terrible inquiétude de ces jours. Et dites-moi aussi que je ne vous suis pas un étranger, nous avons confondu les merveilleux instants de notre vie commune et qu’il reste que vous êtes ma petite fille, ma toute petite fille.
Ne craignez pas d’ajouter à nos souffrances. Tout peut passer. Mon amour est tellement intact. Pourquoi ne serions-nous pas toujours à la recherche du même but, une expérience cruelle peut être utile, au lieu de tuer.
Et je vous adjure d’accepter de me voir. Je vous promets, sur tout ce que nous aimons, que je serai avec vous tel que vous le voudrez, que je ne dirai pas une parole qui puisse vous faire pleurer, même au fond de vous. Mais il est nécessaire que nous nous revoyions. Nous nous le devons. Jamais notre lutte de mardi ne se renouvellera. Vous n’avez pas le droit de douter de moi. Nous parlerons sans détours, avec cette Paix que j’ai tant désirée pour nous. Je compte sur vous, ma bien-aimée, et comptez sur moi en songeant que je vous aime infiniment.
Si dans cette lettre, je vous ai nommée avec des mots de tendresse, les mêmes que toujours, c’est que pour moi tout continue.
Je vous l’ai dit, je ferai ce que vous voudrez. Mais cette prière que je n’ai pas trouvée mardi ne pourra être refusée : nous nous sommes trop aimés, je vous aime trop pour que nous ne nous quittions pas (si nous le devons) autrement qu’avec notre paix, notre loyauté. Nous pouvons nous regarder en face, et nous donner la main. Et moi, avant de terminer cette lettre, que j’écris dans ma pauvreté, je vous dis le remerciement de tout mon être pour tout ce que vous m’avez donné. Je veux ajouter : pour tout ce qui nous appartiendra encore car je vous aime.
Au revoir, mon Zou que j’adore.
François