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Lettre autographe signée à Marie-Louise Terrasse, dite Catherine Langeais
“APRÈS LA TEMPÊTE DE FEU… C’EST LE MOMENT DE JOUER LE TOUT POUR LE TOUT, DE CRÉER ET D’AFFIRMER SES VALEURS, DE DOMINER L’ÉVÉNEMENT”.
FRANÇOIS MITTERRAND DANS UN ABRIS AUX AVANT-POSTES. 43E JOUR SUR LE FRONT.
“LES HOMMES SONT BÊTES, DITES-VOUS. ET C’EST VRAI. ILS HAÏSSENT LA MORT ET L’APPELLENT”.
LE DIALOGUE AMOUREUX REPREND, MAIS ENCORE À L’IMPARFAIT COMME L’ATTESTE LA FIN DE LA LETTRE
CONTENU :
Le mercredi 1er novembre 1939
Mon Zou, je réponds immédiatement à votre lettre. Je ne pourrai vous envoyer ces lignes dès ce soir, mais cela me plaît de croire un peu à votre présence. Et j’écris.
Depuis neuf jours : je suis réinstallé aux avant-postes, c’est-à-dire, aux devant des premières lignes : pour surveiller, avertir, résister et permettre au gros des troupes de s’organiser pour le combat. (Je ne trahis là aucun secret militaire : toute théorie officielle des avant-postes comporte ces missions). Comme je me trouve à la pointe de notre système, je suis soumis à un guet perpétuel, mes hommes devant assurer une garde incessante. Loin de tout (heureux de cela), j’établis mon petit dispositif. Nous ne devons pas être surpris.
Pour l’instant, je suis assis dans l’abri pour fusil-mitrailleur, que j’ai fait construire ; il y a la place pour 3 hommes ; l’arme est en batterie ; dans un coin, un feu pétille, un vieux sceau troué nous servant de poële ; à mes pieds, un jeune chat recueilli par un de mes hommes et que j’ai adopté, dort. On dirait qu’en ce jour de la Toussaint tout a revêtu un visage tranquille. Une brume légère comble les vallées, le vent secoue amicalement la cime de la forêt qui s’extravase à ma droite et à ma gauche. Parfois, un canon, une mitrailleuse ou un fusil secoue l’air paisible. Mais quelle paix après la tempête de vent, de pluie, de grêle, de neige, après la tempête de feu.
Ce matin, je suis allé à la messe célébrée dans une grange d’un village voisin. Depuis longtemps, en raison de ma situation avancée, je n’avais pu y assister. Dimanche dernier, je ne me suis même pas aperçu de la fête du Christ-Roi. Nos semaines sont uniformes. Ces dernières années, cette fête préludait à mon retour à Paris. Je quittais Jarnac et son magnifique pelage d’octobre pour commencer mes charmantes années universitaires. L’an dernier, mon rendez-vous avec Paris avait été avancé : pour vous.
En tout cela, maintenant, je découvre un plaisir intense, beaucoup d’émerveillements de tous ordres. Et surtout mon Bonheur qui était notre Bonheur (que j’aime encore). Je vous retrouve, ma petite pêche et avec vous toute une histoire dont les détails sont infinis et la signification profonde. Depuis deux mois, mieux que jamais en face de moi-même, j’aime penser souvent à vous. Vous me parlez de la marque de notre amour que vous possédez et gardez. Ma toute petite fille “bien proche”, je vous redis en vérité que vous avez été réellement “mon bien le plus précieux”. La marque que moi je garde de vous, de notre amour ? Ma Marie-Louise, si vous me la demandiez, cela pourrait durer encore trop de pages. Cela pourrait aussi s’écrire en peu de mots.
Votre réflexion sur notre génération de “futurs combattants” ne me paraît pas le moins du monde enfantine. En tout cas, je reconnais y avoir pensé aussi. En 1918, il fallait 90 jours en premières lignes pour avoir droit au titre d’Ancien Combattant. J’en suis à mon 43e jour (dont 17 d’avant-postes). Je ne puis m’empêcher de songer à nos images si faciles, un peu fragiles, d’avant-guerre. Les événements se sont chargés de m’endurcir, de m’assouplir en même temps. Non pas que notre chapitre soit fini, mais le ton change. Et vous, ma petite fille bien grandie, si femme déjà, comme j’aimerais vous retrouver. Cela m’amuse un peu de m’amuser avec mes récits de campagne, ma dure expérience et je n’aurai pas (je l’espère !) vingt-cinq ans. Quelle force j’aurai gagnée et quelle amertume. Les hommes sont bêtes, dites-vous. Et c’est vrai. Ils haïssent la mort et l’appellent.
Pour mon propre compte, je pense que c’est le moment de jouer le tout pour le tout, de créer et d’affirmer ses valeurs, de dominer l’événement. C’est pourquoi je ne veux négliger aucune occasion de mieux faire la guerre (dans le sens que vous avez compris, mon Zou. La guerre est tellement haïssable) par rapport aux qualités de l’homme. J’en arrive à une décision dont je dois vous parler : je suis volontaire pour un groupe franc (groupe chargé de reconnaissance, patrouilles, coups de main) (le danger étant accentué, on procède avec des “volontaires”). Le risque encouru est donc plus grand. Pourquoi je fais cela ? J’adore la vie et l’estime d’un prix extrême, mais ce n’est pas en jouant petit qu’on gagne, alors je mise quitte ou double.
Je réponds maintenant à deux questions que vous pourriez me poser : cette attitude est-elle héroïque ? Bien peu puisque je désire gagner. Pourquoi dois-je vous en parler, à vous ? Parce que je ne veux pas, s’il m’arrive malheur, que vous puissiez, mon Zou, croire à votre responsabilité. Vous êtes responsable ? Oui, de beaucoup de joies et d’enseignements. Quoiqu’il puisse m’arriver, pensez que je n’aurai jamais dit “à cause de vous”, mais “grâce à vous”. Je vous parle de ceci aussi parce que j’aime tout vous dire. Pourquoi ? Je préfère répondre à mes deux premières questions.
Mon Zou paresseux, voici bien des paroles en champs clos. Je vous parle de choses bien sévères ! Alors parlons entre nous et de nous seulement le long de cette feuille qui reste. Au diable le monde et ses embêtements, et sa toque de magistrat ! D’abord, Zou, je veux savoir à qui j’écris. Comment êtes-vous ? Quelle coiffure ? Quelle robe ? Arrêtez un moment votre lecture : faites un sourire, comme celui que j’aimais dès la première fois. Quel livre lisez-vous ? Vous me parlez de Polak. Un poème et tout est dit. On ne devrait plus lire que des poèmes… Mon Zou, je vous imagine, comme je vous préfère, avec du vert et de l’orangé par exemple et des cheveux retombant un peu au-dessus des épaules. Êtes-vous jolie ainsi ? Il ne faut pas le dire, vous le croiriez peut-être, mais ne me croiriez pas. Ce que vous êtes ? Le sais-je mieux que vous ? Ce que disait votre écriture, je vous le redirai, mais je m’aperçois que ce que je fais, c’est le portrait de cette petite fille que j’aimais. Et c’est si dangereux d’évoquer un portrait qui conduit à prononcer un tel verbe, et c’est si ennuyeux d’avoir à employer ce verbe imparfait qu’il vaut mieux, mon Zou, se taire.
François
P.S : cette lettre ne part qu’aujourd’hui 5 nov. Mouvement pour la première fois depuis deux mois, je revois des civils. Choses agréables, qu’une jolie fille rencontrée, que des fleurs aux fenêtres.
Nouvelle adresse : au lieu de 9e cie, mettez 2e cie (vous me répondrez aussi vite que mon impatience le souhaite ?).
Peut-être aurons-nous une permission sans trop, trop tarder.