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Lettre autographe signée à Marie-Louise Terrasse, dite Catherine Langeais
PLUIE D’OBUS : “ON SE PREND À RÊVER AUX LORELEI, NÉES DANS CE PAYS”.
UNE PERMISSION PROBABLE DANS UN MOIS DOIT COÏNCIDER AVEC LA DISPONIBILITÉ DE MARIE-LOUISE TERRASSE ET LE MARIAGE DE ROBERT MITTERRAND
CONTENU :
Le 19 novembre 1939
Ma toute petite Béatrice,
Pourquoi vous appeler de ce nom d’autrefois ? Voici que je vous écris comme si rien n’avait changé. Suis-je pris au jeu ? Ce soir, j’obéis à votre consigne : vous écrire le plus possible, mais je me demande s’il s’agit vraiment d’une consigne à remplir. Je crois que j’aime cette consigne et qu’il ne faut plus parler d’obéissance. Lors de votre dernière lettre, vous étiez grippée. Êtes-vous guérie ? Je le souhaite vivement. Pour vous et un peu pour moi, car si vous êtes malade, je risque d’être un peu plus privé de vos nouvelles. Sans doute avez-vous reçu ma lettre du 12. Avant d’avoir votre réponse, je reprends notre conversation. J’ai vraiment besoin d’être avec vous.
Le demi-repos où je suis semble s’achever, mais un retour vers l’arrière s’annonce moins qu’un bond vers l’avant. Il est très possible que, sans délai, on plie bagage pour remettre ça. Je ne m’en plaindrais pas, mais c’est peut-être pour cela que je retourne vers vous avec plus d’insistance. Et puis, la vie que je mène ici est curieuse, déroutante. Au retour du Front, on éprouve un intense besoin de toutes les facilités, on est pris dans une sorte de tourbillon où l’on ne spécule plus que sur le présent. Et c’est peut-être pour cela, mon Zou, que je pense à vous : avec vous, tout me paraissait facile et merveilleux, et vous étiez plus que le présent.
Ici, depuis quelques jours le vent souffle en tempête, et la pluie tombe, torrentielle. On dirait que le déchaînement des hommes a livré la nature à la folie, à l’anarchie. Les 155 et 75 crachent sans arrêt sous un ciel tourmenté. Et cela compose un paysage dément. On se prend à rêver aux Lorelei, nées dans ce pays. La jeune fille aux cheveux d’or ! Nous sommes si bêtes que nous l’avons sans doute laissée fuir pour jamais.
Mon Zou, que faites-vous en cette soirée de dimanche ? Savez-vous que j’ai hâte de recevoir un mot de vous ? Dois-je vous édicter, moi aussi, la consigne de m’écrire le plus souvent possible ? Ma permission après avoir été chancelante se précise. Il se peut que d’ici un mois je revoie Paris ! Je dis “il se peut” car lorsque l’Armée vous tient, on ne sait jamais si elle vous lâchera ! Et puis, un accident doit toujours être envisagé.
Dites-moi, mon Zou, que cela ne vous ennuierait pas de me revoir. Et je serais enchanté de m’arrêter à Paris à cet effet. Il faut penser à cela dès maintenant de manière à ne pas nous manquer. Mon frère Robert compte se marier mi-décembre à Saint-Mandé : j’espère pouvoir faire coïncider ma permission avec la sienne. Maintenant, ma Marie-Louise, je vous quitte. Je vous réécrirai bientôt, mais je compte sur une lettre de vous, prochaine. Au moment où je la recevrai, où serai-je ? Mais sachez que, quoiqu’il arrive, ma pensée sera toujours près de vous, “ma ravissante petite pêche”, et puis, que je ne vous ai pas tout dit.
François