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Lettre autographe signée à Marie-Louise Terrasse, dite Catherine Langeais
FRANÇOIS MITTERRAND FAIT UNE CORVÉE DE BOIS DANS LA FORÊT, PAR - 15° C. IL PRIE “MATIN ET SOIR” POUR LEUR MARIAGE
CONTENU :
Le 20 janvier 1940
Ma délicieuse chérie, je reçois à l’instant ta lettre du 17, et maintenant je passe ma soirée avec toi. Tu dois sans doute en cet instant travailler ou lire avant de te coucher (il est 8h30). Moi, je viens de dîner ; de lire mon courrier : 4 lettres ; et je m’installe pour t’écrire. Si tu étais réellement près de moi, chez nous, que ferions-nous ? Nous aussi finirions de dîner, en tête à tête. Nous parlerions, nous ne penserions qu’à notre amour. Et commencerait ce moment merveilleux où je n’aurais plus à rêver de toi, à te recréer ; où je pourrais vivre de toi, et t’aimer, avec devant moi toute la longueur d’une nuit qui ne serait qu’une nuit parmi notre bonheur. Dis-moi, chérie, que tu songes à tout cela et que c’est toute ta joie. Ah ! Que vite vienne ce jour où tu seras ma femme très chérie. N’est-ce pas que rien, ma fiancée ravissante, n’empêchera ce jour, que rien ne vaudra ce jour ?
Aujourd’hui, j’ai assuré l’ordinaire trafic de bois : à deux kilomètres du village, se trouve une forêt qui couvre plusieurs collines ou Hauts-de-Meuse. L’effet de neige dans les arbres est extraordinaire ; j’ai découvert des allées secrètes parées d’un costume royal : chaque brindille resplendit d’une beauté particulière. Pendant que mes hommes travaillaient, je me suis promené, ainsi le premier à marquer la neige de mes pas. Je croyais vivre dans un monde féerique d’où subitement aurait disparu toute misère. Un seul être m’avait accompagné jusque-là : toi. Je te devinais à mon côté ; je pensais aux paroles que je t’aurais dites, ma bien-aimée. Le soir, quand nous sommes rentrés par un chemin tout bossué, le soleil éclaboussait de sang clair les coteaux et les champs. Il continue à faire très froid ; alentour de -15° ; je mets maintenant mon passe-montagne et j’en suis quitte pour sentir mon nez et mes pommettes crisser comme s’ils se craquelaient ! Je traîne toujours la jambe gauche mais n’en souffre pas outre mesure ; je ne veux retirer du présent que ses joies, à peine perceptibles mais réelles, car je veux vivre. Or, rejeter le présent correspond à une condamnation à mort. Et je veux vivre pour toi, pour nous.
Si la Belgique entrait dans le conflit, je me trouverais aux premières loges, puisque je ne suis qu’à quelques kilomètres de la frontière. S’il n’y a que des alertes, j’en serais quitte pour recommencer la promenade de l’autre jour.
Chérie, il m’est si doux de prendre ton visage, de le couvrir de mes baisers. Il me sera si doux de prendre possession de toi, pour toujours. Je t’aime tellement. Tu vois, ma chérie, tout nous est donné. Je ne crois pas qu’une seule chose existe sur laquelle nous n’ayons pas la même idée (ou plutôt le même sentiment). Il m’aurait été pénible de ne pas trouver en toi la même foi que la mienne. Nous sommes de la même formation culturelle, sociale. Sans doute, ces deux derniers points me sont un peu secondaires, mais qu’ils existent ne gêne rien ! Seuls sont différents certainement nos caractères, et c’est heureux : ils nous offriront, unis, plus de richesse. Ils ne désirent que le même but.
Cela t’amuse sans doute de me voir décortiquer les raisons essentielles ou seulement contingentes de notre bonheur. Mais je m’émerveille du plan de Dieu qui nous a ainsi menés l’un à l’autre. Et je ne puis croire que ce soit pour détruire brutalement une telle promesse. Moi aussi, je prie matin et soir pour nous.
Dans ton avant-dernière lettre, tu me dis que tu comptes sur moi pour aimer ce qui autrefois te laissait indifférente. Ma bien-aimée, je voudrais que chacune de mes lettres t’apporte un peu de cet appui. Même celles qui sont tristes, désolées, car celles-ci te prouvent que ton amour est mon seul bonheur, et que c’est lui qui donne leur goût aux choses. Moi aussi, je compte infiniment sur toi. Quand tu me vois inquiet, triste, raconte-moi comment tu m’aimes, parle-moi de ton amour et tout s’éclairera en moi. Tu vois bien que je réponds à ta question : que puis-je pour toi ? Tu peux tout en me disant que tu m’aimes.
Au hasard de mes lectures, des événements, des rencontres, je te relaterai toujours ce qui me passe par la tête et par le cœur. Nous apprendrons à aimer ensemble. Ne m’incite pas trop à la folie, mon Zou adoré. J’y suis trop enclin lorsqu’il s’agit de toi ! Comment puis-je oublier que notre mariage, je le désire infiniment, parce que je ne serai pas parfaitement heureux tant que je ne te posséderai pas absolument ? Mais dis-moi au contraire qu’il faut, pour toi ma bien-aimée, être sages. Ton âme, ton corps, je ne puis les séparer : c’est toi, toi toute entière que je veux. Mais laisse-moi maître de ce désir qui me brûle de te prendre à jamais. Il ne faut pas qu’un jour tu en souffres cruellement. Mais je t’aime et la folie me tente. Aide-moi, ma merveilleuse petite fiancée. Je t’adore.
François
Comment dire la douceur de tes lettres ? Elles font mes journées. Je les aime. Et je t’aime, mon Marizou-chou-chéri.