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Lettre autographe signée à Marie-Louise Terrasse, dite Catherine Langeais
CAMPAGNE DE FRANCE (19).
IL Y A DEUX ANS, JOUR POUR JOUR, LA RELATION ÉPISTOLAIRE ENTRE FRANÇOIS MITTERRAND ET MARIE-LOUISE TERRASSE COMMENÇAIT : “JE CÉLÈBRE DONC AUJOURD’HUI UN ANNIVERSAIRE”, MALGRÉ LA BLESSURE DE LA DÉSUNION DE 1939
“SI JE NE T’AI PAS PRISE, C’EST QUE JE T’AIMAIS PLUS QUE MON DÉSIR”.
UN ANNIVERSAIRE FÊTÉ EN PLEINE DÉBÂCLE DES ARMÉES ALLIÉES
CONTENU :
Le 30 mai 1940
Mon trésor adoré, reçu ce matin deux lettres de toi, celles du 26 et du 27. Je crains donc de n’avoir rien demain, ce qui me fera un triste réveil. Reçu aussi une mauvaise lettre transmise par P[ierre]-É[tienne] Flandin : le Ministère de la guerre déclarant qu’on n’a pas connaissance de ma demande à l’Administration centrale et réitérant l’affirmation que je n’ai pas le droit de poser encore ma candidature, je vois que mes chances sont nulles. Cela m’a désemparé et j’avoue que ce matin j’étais très déprimé. Je comptais malgré moi sur cette affaire qui m’aurait si bien rapproché de toi et aussi écarté de cette hallucinante histoire. Maintenant, l’horizon est bouché. Quand, comment te retrouverai-je, mon amour ? D’autant plus que les arguments qu’on m’oppose ne valent pas puisque Dayan, lui, fut pris il y a quatre mois ! Et puis, ma demande n’était-elle pas parvenue au Ministère ? Je crois qu’il y aurait lieu d’insister malgré tout. C’est tellement important ! Peut-être vie ou mort. Ironie suprême, celui qui signe la lettre à Flandin est précisément Hervé Detton, mon ancien professeur de Droit Administratif aux Sciences Po.
Enfin, chérie chérie, je veux réagir, mais tout de même je rage. Je vois bien qu’il n’y a rien à attendre tant qu’on n’est pas le plus puissant. Si je ne paie pas ma faiblesse présente de ma vie, ce sera une leçon pour l’avenir. Tes lettres sont toujours mes compagnes aimées. Ne crois pas que parce que tu me racontes ta vie paisible et extérieurement semblable à celle d’autrefois cela me peine. Non, mon petit Zou chéri, je comprends très bien cela. Je serais peiné seulement si à cause de tes occupations tu m’écrivais moins, car j’aurais le sentiment que je passe après, et cela me ferait infiniment souffrir. Je désire donc que tu me dises au contraire tout ce que tu fais, même si ce sont des distractions : car cela me permet de te suivre, de me représenter tes jours que j’aimerais si ardemment partager… Pourvu que cela n’empêche pas tes longues lettres, mon seul bonheur. Ma bien-aimée, quand tu me dis que je puis m’accrocher à toi pour toujours, que tu demeures ma petite femme prête à me recevoir, à m’aider, à me donner ses merveilleuses caresses, cela me comble d’une immense joie. Oui, tu es mon seul appui, mon seul refuge. Quand toute petite fille tu me promettais que, en toute circonstance tu serais avec moi, je savais bien que tu me parlais du fond du cœur… Comme tu sais bien, mon tout petit, tenir tes promesses. Je t’adore. Je reconnais ton grave visage de nos plus fous moments d’amour. Comme tu étais belle, resplendissante, recueillie devant l’Amour. J’aime en toi la gravité de ta tendresse, comme si les plus doux plaisirs de nos caresses te révélaient un monde où le plaisir ni la souffrance n’existent plus, où ceux qui s’aiment vivent dans une plénitude telle que tout leur est ravissement. Ma petite fée d’Amour. Parfois, je t’appelle ainsi et ce n’est absolument pas une idéalisation, un rêve. Non, je t’adore, et cet amour passionné que j’ai pour toi te veut, comme un homme peut désirer violemment une femme chérie. Mais cette femme quand elle est aussi merveilleuse que toi dépasse la joie qu’elle donne. Sais-tu la plus belle révélation que je te dois, ma très aimée ? Lorsque tu étais dans mes bras, même dans l’élan le plus passionné qui nous a unis, c’est toujours toi que j’ai aimée. Toi et non pas le bonheur que tu me donnais. Tu es femme mon aimée, mais si petite. Tu devines, je le crois tout de même, cette nuance essentielle, fondamentale ; que seuls perçoivent ceux qui aiment infiniment.
Chérie chérie, je t’aime. Moi aussi je devrais me taire pour mieux t’exprimer ma tendresse, et te prendre contre moi, t’aimer. Ces trois lignes blanches (pas censurées !) : ça veut dire un baiser, un de nos baisers :
C’est
Toi
Que j’aime.
Le bouton de rose que tu m’as envoyé sent bon ; il sent presque aussi bon que toi ! Son parfum s’est parfaitement conservé. L’as-tu embrassé au moins ? Je cherche avec mes lèvres la trace de tes baisers. Plus tard, c’est sur toi qu’inlassablement je rechercherai la trace de mes premières caresses, et chaque fois avec un nouvel émerveillement. Ton corps chéri, ma peau-douce, je le couvrirai si bien de baisers que même lorsque je serai bien loin de toi, tu me porteras avec toi, en toi. Cette présence-là nous manque encore, mon amour chéri : le mariage nous l’offrira. Alors, vite, vite… Ainsi nous serons éternellement unis, confondus. Toi en moi et Moi en toi, Nous.
Ma petite femme de bientôt, crois-tu qu’un homme pourrait t’aimer plus que je ne t’aime ? Si j’essaie d’analyser mon amour, je découvre en lui une richesse inouïe où le corps et l’âme connaissent mille fêtes. Je pense souvent à ma petite Béatrice qui remontait le boulevard Saint-Michel. Je revois sa silhouette bien prise dans un manteau bleu ou gris, ses cheveux blonds sous la toque de travers, son sourire. (Ah ! Je l’aurais mangée de baisers !). Elle portait des livres sous son bras (pour avoir une contenance, un peu, m’a-t-elle dit plus tard). Il y avait bien un tas de garçons qui l’accompagnaient ou s’arrêtaient pour lui parler… et j’étais jaloux d’eux.
D’autant qu’en détestable petite femme, elle ne les repoussait qu’à moitié. C’est cette petite fille qui m’écrivait sa première lettre le 28 mai 1938, que je recevais le 30 mai. Je célèbre donc aujourd’hui un anniversaire. “Je ne finis pas car rien ne doit finir” ; cette phrase terminait ta lettre au “vouvoiement” solennel. Elle symbolise tout notre amour. Est-ce que tu m’aimais à ce moment-là ? Je l’ai cru entièrement, et puis j’en ai douté l’an d’après. Aurais-je dû t’aimer, te traiter davantage en femme ? Non, je ne me reproche rien, et je sais bien que je me serais reproché le contraire. C’est bête, ce scrupule ? Peut-être pour un homme qui accumule ses “triomphes” et compte les femmes qu’il a “eues”… Mais Toi, toi ! Te mêler à cette erreur de l’amour, toi, ma chérie. J’ai tellement souffert, après, de savoir que tu connaissais cet amour, que je suis heureux de t’avoir aimée merveilleusement… Si merveilleusement que maintenant nous allons posséder la joie fulgurante de notre union totale, mais dans un bonheur, une certitude complets. Mais, je parle de moi, mon Zou. Je sais aussi que ton amour si plein d’abandon a éprouvé le même sentiment, que tu as dû forcer comme toi, ton immense désir à une bien dure attente. Et je t’en remercie profondément. Tu le sais, tu l’as deviné, il aurait suffi peut-être d’un regard pour que je possède enfin ma petite femme, d’un geste… Ô ! Comment avons-nous su dire à notre tendresse qu’il y avait une raison ?… Chérie chérie, je t’adore. Comme tu as été forte dans ta délicieuse faiblesse. Je t’aime à la folie. Ah, sans doute comme tu me l’as dit cela n’aurait pas gâché notre amour, puisque au contraire notre amour en sera émerveillé. Mais tu seras ma femme et Dieu nous protégera puisque nous Lui avons obéi. Bientôt, nous aurons tout de nous, mon trésor.
Parfois, je rêve à l’avenir : ton avenir sans moi, au cas où je serais tué, tu te marierais avec un autre. Chérie, je voudrais ardemment qu’entre les bras de ton mari tu ne penses pas “ce que j’ai donné à François n’était rien. Se donner presque totalement, c’est tellement plus que se donner presque totalement. C’est maintenant que je connais l’Amour” et peut-être serais-tu tentée d’oublier, de regretter presque de ne pas m’avoir appartenu pour garder en toi mon souvenir vivant. Ô chérie, comme je souffrirais alors dans mon âme. Si je ne t’ai pas prise, mon adorée, c’est que je t’aimais plus que mon désir. C’est que je voulais unir dans la perfection notre grand désir et notre bonheur de toute la vie.
Tu as été tout dans ma vie. Tu es tout. Mais tu seras ma femme à moi ! Et c’est à moi que tu diras et je n’en serai nullement vexé : “Mon chéri, c’est avec toi que je connais enfin toutes les délices de l’Amour. C’est de toi que je reçois ce qu’attendaient mes rêves de petite fille, de femme. C’est toi, mon amour, que j’ai aimé. Toi seul.” Sois tranquille, ce ne sera pas une déclaration unilatérale !
Chéri Buju, ma tristesse de ce matin s’atténue puisque je suis avec toi. Quand même, j’attendais tellement ce peloton qui nous aurait sans doute réunis. Enfin, aime-moi comme je t’aime, et vive la vie.
Chérie, mon amour, j’embrasse tes épaules doucement, comme tu le désires et l’aimes. Tes épaules si douces, si fraîches, si brûlantes. Ô ! Vite, que vienne le jour où je te caresserai tout comme “mon bien le plus précieux”, avec une infinie douceur…
Je t’aime et t’attends. Tu es mon adorable petit Zou. Me pardonnes-tu cet ardent désir si impatient de sa femme, si fou de ses caresses ? Le jour où devant un prêtre tu me diras “oui”, quelle merveille…
François
Je t’aime.
Que papa pense à réclamer mes copies de diplômes. Il faut prendre ses précautions car Paris n’est malheureusement plus à l’abri et je puis avoir besoin plus tard de ces papiers. Je t’adore, mon bout de Zou.