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Lettre autographe signée à sa mère, madame Henri de Gaulle
L’ÉCHAPPÉE POLONAISE DE CHARLES DE GAULLE ET LE MIRACLE DE LA VISTULE.
RARE LETTRE INTIME DE CHARLES DE GAULLE À SA MÈRE.
“ALLONS-NOUS ÊTRE AMENÉS À INTERVENIR ICI LES ARMES À LA MAIN CONTRE LES RUSSES ?”
4 pp. in-8 (212 x 160 mm), encre noire
“Ma bien chère maman,
Je suis sans nouvelle de vous depuis huit jours et j’ai hâte d’en recevoir. Je suppose qu’à l’heure qu’il est ni vous ni papa n’avez quitté Paris. Vous ne pensez le faire sans doute qu’à la fin de ce mois. Les Russes ont gagné largement la première manche contre les Polonais. Ils vont entamer la seconde d’un jour à l’autre, sans doute sous la forme d’une offensive dans la direction de Minsk cette fois. Ce qu’il y a de plus inquiétant ce n’est pas tant le recul des troupes polonaises, que le désarroi de l’esprit public. Le monde politique en particulier, au lieu de se mettre d’accord et de soutenir un gouvernement quel qu’il soit jusqu’à la fin de la crise, ne fait que redoubler ses divisions et ses intrigues. Depuis la perte de Kiev il y règne une amertume croissante mais sans doute, les ambitions et les rancunes apparaissent au grand jour, et il n’y a pas moyen littéralement depuis un mois de constituer un ministère qui tienne trois jours debout. D’autre part, la rupture des négociations avec Krassine nous ôte la possibilité de tirer la Pologne d’affaire - au cas où sa situation se gâterait complètement - par la voie diplomatique. Alors ? Allons-nous être amenés à intervenir ici les armes à la main contre les Russes ? C’est bien scabreux, d’autant que nous avons fort à faire ailleurs, et que nous serons seuls ici. L’avenir de la Pologne m’apparaît donc comme fort sombre si quelque fait nouveau ne vient pas à bref délai bouleverser la situation. Pour moi rien de nouveau. Je travaille fort tranquillement et dans de bonnes conditions.
Au revoir, ma bien chère maman. Mille affections à papa, et à mes frères et sœurs. Pour vous mille et mille tendresses et baisers.
Votre fils très affectionné et respectueux.
Charles de Gaulle"
Dans les biographies du général de Gaulle (1890-1970), l'étape polonaise tient peu de place. On indique bien qu'il arrive à Varsovie en mai 1919, qu'il regagne la France en octobre 1920. On signale qu'il enseigne la tactique à l'école de guerre de Rembertow, qu'il se bat en Volhynie et devant Varsovie. Mais ces états de service sont trop liés à une carrière militaire classique pour appeler davantage qu'un rapide coup d'œil. Car c'est à l'homme d'État, c'est à l'homme tout court que l'on s'intéresse aujourd'hui. Lui-même, dans ses Mémoires, accentue cette division ou cette vision : un destin qui a pris fin le 18 juin 1940, un autre destin qui s'ouvre ce jour-là. Au mieux, les épisodes polonais font figure de souvenirs d'enfance.
C'est là pourtant, dans la Pologne de 1920, qu'on peut situer la genèse d'un grand nombre de convictions, de décisions, de thèmes chers. Comment d'ailleurs s'en étonner ? Jusqu'alors - il n'a pas vingt-neuf ans - Charles de Gaulle n'est pas sorti du cadre strict de la famille, des études, des combats. Paradoxalement, sa captivité en Allemagne, par les enquêtes et les contacts qu'elle permet, entrouvre ce monde clos. La Pologne enfin c'est l'échappée et le contact avec le destin d’une nation. La notion de débâcle et de défaite morale qui se heurtent à l’incapacité du monde politique a décider demeurent au centre de cette lettre écrite à sa mère.
Charles de Gaulle, Lettres, notes & carnets, tome, I, p. 499