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WELLINGTON, Arthur Wellesley, Premier duc de, Prince de Waterloo

Lettre autographe signée à Charles-Maurice de TALLEYRAND-PÉRIGORD, Prince de Bénévent, duc de Talleyrand

À Estrées S[ain]t-Denis, ce 29 juin 1815

WELLINGTON ET TALLEYRAND : SUPERBE ET CÉLÈBRE LETTRE POLITIQUE QUELQUES JOURS AVANT LA RESTAURATION DE LOUIS XVIII ET APRÈS L’EFFONDREMENT DU POUVOIR NAPOLÉONIEN.

“ONE OF THE MOST IMPORTANT LETTERS KNOWN OF THIS GREAT HERO” (SOTHEBY’S, 1875).

C’EST ICI WELLINGTON QUI EST LE MAÎTRE DES ÉVÉNEMENTS, OFFRANT À LOUIS XVIII SA RESTAURATION ET À TALLEYRAND SON RETOUR EN GRÂCE

Lettre autographe signée, encre brune, 6 pp. in-4 (238 x 180mm), sur papier filigrané “C.Ansell 1813”, avec deux lignes raturées à la p. 4

“Mon Prince,
M. Boissy d'Anglas1, General Valence2, General Andreossy3, M. La Besnardière4 and M. Flaugergues5, have been sent from Paris to me, to request to have a suspension of hostilities, and I have had a conversation with them so highly interesting to the King, that I think proper to write to you without loss of time. I explained to them that I did not consider the abdication of Bonaparte to afford such a guarantee to the Allied Powers as to induce me to stop my operations, and, after some discussion, I told them that I should consider the object attained, if Napoleon were given to the Allies, if our advanced guards enter Paris, and if a government were established in France which should conciliate the confidence not only of France but of Europe.

After some hesitation, the gentlemen desired that I would explain what I meant by such a government. I told them that I had no authority to speak upon the subject ; but that, as an individual, I gave them my opinion that they ought to call back the King without any condition whatever, and the honour of France required that this should be done without loss of time, and before it could be supposed that the interference of the Allied Powers had occasioned his Majesty's recall. In this opinion all the gentlemen concurred ; and it was evident that, though they all conceived there was some amendments necessary in the Constitution, particularly in the Ministry and in the mode of proposing the laws, they all agreed with me that it was better to leave those amendments to grow out of the Constitution than to make any conditions with the King. M. Flaugergues was, however, of opinion that it could not be possible to bring the two Chambers to consent to call back the King without conditions, and the discussion then turned upon the mode in which what was most desired by all should be effected, without breaking in upon our principle, which goes to bring back the King quietly and naturally, without conditions. While we were discussing this point, we received the King's proclamation of the 28th instant, * countersigned by your Highness, which all the gentlemen considered admirably calculated to answer all objects, if the two paragraphs which I enclose were omitted entirely, or were more explicit.

By the persons referred to in that marked No. 1, you certainly mean those who were concerned in the late plot ; but it is conceived that you have not been sufficiently explicit, and it may be deemed by some that you mean the regicides. I have combated this notion, as I knew that the King, before he left Paris, having adopted the principle of employing Fouché, could not now object to employing him or any other person : and the paragraph immediately preceding that they complained of, explains this one tolerably clearly. But it is as well that it should be explained or omitted entirely. That marked No. 2 is objected to by the gentlemen as holding out a threat unnecessary in such a paper, as extending to too many persons, and moreover couched in stronger terms than ought to be used by the King, and they think it ought not now to be brought forward.

They object most strongly to the words marked No. 3. They say that the measure of recalling the King cannot be adopted in the mode most advantageous to his Majesty's and the general interests, if the Chambers are to be told that they are forthwith to be sent away. What I would recommend should be that the words I have underlined should be omitted.

The King will then have the power of calling a new Chamber, or of continuing these, as he may think proper. He cannot admit à priori that the Chambers are legal assemblies ; but there is no occasion for telling them at once that they shall be sent about their business. Your Highness will see in all this my desire that the King should be restored, first, without condition ; and, secondly, that it should not appear to be the effect of force by the Allied Powers ; and it will probably appear to you, as it does to me, that it is worth while to make some sacrifices to obtain such a result.

I am now going forward to consult with Marshal Blücher, and to endeavour to prevail upon him to consent to the armistice upon the conditions proposed ; and I shall be anxious to receive your answer to this letter at an early hour to- morrow. In the mean time, I think the King should come forward to Roye, leaving a garrison at Cambray.
I have the honour (…) your Highness most obedient and faithfull (…) servant”

1. François-Antoine Boissy d’Anglas (1756-1826). Député du Tiers aux États-généraux de 1789, vote le sursis à Louis XVI, comte de l’Empire en 1808, Pair de France en août 1815, puis membre de l’opposition libérale
2. Jean-Baptiste de Valence (1757-1822), général et comte de Valence, colonel sous l’Ancien Régime. Pair de France sous la première Restauration, il rallie l’empereur lors des Cent-Jours. En juin 1815, il commande avec les généraux Sébastiani et Grenier les troupes devant Paris. Le 21 juin, il est missionné par le gouvernement provisoire pour demander un armistice à Blücher
3. Antoine-François Andreossy (1761-1828), général et diplomate, comte de l’Empire (1809), ambassadeur en Grande-Bretagne en 1802 puis à Vienne jusqu’en 1808, puis auprès de la Sublime Porte de 1812 à 1814, collectionneur de dessins
4. Jean-Baptiste de Gouey de La Besnardière (1765-1843), diplomate, secrétaire de Talleyrand sous l’Empire, membre de la délégation française au Congrès de Vienne, fait comte en 1816 puis conseiller d’État en 1826
5. Pierre-François Flaugergues (1767-1836), député de l’Aveyron en 1816, vice-président de la Chambre des Cent-Jours, maître des requêtes au Conseil d’État en 1820

PROVENANCE : Catalogue of the most important, interesting & valuable series of autograph letters and historical documents being the English portion of the well known collection formed by a foreign nobleman, relinquishing the pursuit, Sotheby’s, Londres, 17 mars 1875, pp. 26-27, n° 186 : “One of the most important letters known of this great hero” -- ancienne collection André Tissot-Dupont

Traduction :

M. Boissy d'Anglas, les généraux Valence et Andreossy, M. La Bernardière et M. Flaugergues, m'ont été envoyés de Paris pour demander la suspension des hostilités, et j'ai eu avec eux une conversation si intéressante pour le Roi, que je crois convenable de vous écrire sans perte de temps. Je leur ai expliqué que je ne considérais pas que l'abdication de Bonaparte offrait aux puissances alliées une garantie telle qu'elle pût m'inciter à cesser mes opérations, et, après une certaine discussion, je leur ai dit que je considérerais comme atteint le but poursuivi si Napoléon était remis aux Alliés, si nos avant-gardes entraient dans Paris, et si un gouvernement était établi en France qui devait concilier la confiance non seulement de la France, mais de l'Europe.

Après quelques hésitations, ces messieurs ont souhaité que je leur explique ce que j'entendais par un tel gouvernement. Je leur ai dit que je n'avais aucune autorité pour parler de ce sujet ; mais qu'en tant qu'individu, je leur donnais mon opinion qu'ils devaient rappeler le Roi sans aucune condition, et que l'honneur de la France exigeait que cela soit fait sans perte de temps, et avant que l'on puisse supposer que l'interférence des Puissances alliées avait causé le rappel de Sa Majesté. Tous ces messieurs étaient de cet avis ; et il était évident que, bien qu'ils fussent tous d'avis qu'il était nécessaire d'apporter quelques modifications à la Constitution, en particulier au ministère et à la manière de proposer les lois, ils étaient tous d'accord avec moi pour dire qu'il valait mieux laisser la Constitution en l'état.

Par les personnes dont il est question dans le numéro 1, vous entendez certainement celles qui ont pris part au dernier complot ; mais on croit que vous n'avez pas été assez explicite, et il se peut que certains croient que vous voulez parler des régicides. J'ai combattu cette idée, car je savais que le Roi, avant de quitter Paris, ayant adopté le principe d'employer Fouché, ne pouvait maintenant s'opposer à l'employer, lui ou toute autre personne : et le paragraphe qui précède immédiatement celui dont on s'est plaint, explique celui-ci d'une manière assez claire. Mais il est aussi bien de l'expliquer ou de l'omettre entièrement. Les messieurs objectent que le paragraphe n° 2 contient une menace qui n'est pas nécessaire dans un tel document, qu'il s'étend à un trop grand nombre de personnes et qu'il est en outre formulé dans des termes plus forts que ceux qui devraient être utilisés par le Roi, et ils pensent qu'il ne devrait pas être mis en avant maintenant.

Ils s'opposent plus fortement aux mots marqués n° 3. Ils disent que la mesure de rappel du Roi ne peut être adoptée de la manière la plus avantageuse pour les intérêts de Sa Majesté et les intérêts généraux, si l'on doit dire aux Chambres qu'elles doivent être renvoyées immédiatement. Ce que je recommanderais, c'est de supprimer les mots que j'ai soulignés.

Le Roi aura alors le pouvoir de convoquer une nouvelle Chambre, ou de continuer celles-là, comme il le jugera convenable. Il ne peut admettre à priori que les Chambres soient des assemblées légales ; mais il n'y a pas lieu de leur dire tout de suite qu'elles seront renvoyées à leurs affaires. Votre Altesse verra dans tout cela mon désir que le Roi soit rétabli, d'abord sans condition, ensuite qu'il n'apparaisse pas comme l'effet de la force des puissances alliées ; et il vous semblera probablement, comme à moi, qu'il vaut la peine de faire quelques sacrifices pour obtenir un tel résultat.

Je vais maintenant consulter le maréchal Blücher et m'efforcer de le convaincre de consentir à l'armistice aux conditions proposées ; je serai impatient de recevoir votre réponse à cette lettre demain de bonne heure. En attendant, je pense que le Roi devrait se rendre à Roye, en laissant une garnison à Cambray.
J'ai l'honneur (…) d'être le très obéissant et fidèle (…) serviteur de votre Altesse

À la suite de la défaite de Waterloo, Napoléon abdique le 22 juin. Joseph Fouché (1759-1820), à nouveau ministre de la Police durant les Cent-Jours, s’empare du pouvoir à Paris et devient président du gouvernement provisoire le 23 juin. Son ministre des Affaires étrangères est Louis Bignon (1771-1841) jusqu’au 8 juillet 1815, date où le drapeau blanc flotte à nouveau sur les Tuileries. À la date du 29 juin 1815, Talleyrand n’est pas ministre. Il n’exerce aucune fonction officielle. Cette lettre appartient donc au domaine privé. Le 9 juillet 1815, Talleyrand est nommé Président du Conseil des ministres avec Fouché comme ministre de la Police. Talleyrand démissionnera le 19 septembre. Fouché, président du gouvernement provisoire, nomme le 27 juin les cinq commissaires cités au début de cette lettre pour négocier l’armistice auprès du commandement des Alliés. Parmi eux, certains sont des affidés de Talleyrand. Ils durent renseigner leur ancien patron.

Ce même 29 juin 1815, Napoléon quitte la Malmaison pour Rochefort. Louis XVIII, parti de sa retraite de Gand, arrive à Cambrai le 26 juin. Il y rédige la très conciliante proclamation du 28 juin. Il reconnaît ses torts et adoucit sa position quant aux destinées individuelles des partisans de la Révolution : “j’aperçois beaucoup de mes sujets égarés et quelques coupables”. Sa “restauration” est loin d’être évidente et le seul soutien dont il bénéficie véritablement est celui du duc de Wellington. Mais les chambres sont hostiles à Louis XVIII. Fouché avait écrit à Wellington le 27 juin : “la nation française veut vivre sous un monarque, mais elle veut que ce monarque vive sous l’empire des lois”. Mais, entre le 28 et le 30 juin, la guerre est aux portes de Paris et la population entend les grondements du canon. Les quatre émissaires figurant au début de cette lettre de Wellington lui ont été envoyés par Fouché le 27 juin. Les discussions évoquées par la lettre marquent le démarrage du processus de paix. Louis Édouard Bignon, à nouveau mandaté par Fouché, retourne devant les Alliés et la capitulation de Paris est signée le 3 juillet épargnant la population d’un drame sanglant prévisible : “derrière les puissances, c’est Wellington qui bat les cartes en 1815, comme Alexandre les battait en 1815” (E. de Waresquiel, Fouché, p. 576).

Talleyrand et Wellington se connaissent parfaitement. Wellington est ambassadeur à Paris en 1814. Talleyrand et lui ont siègé ensemble au Congrès de Vienne et se reverront souvent dans les années 1830 lorsque l’ambassade anglaise sera confiée par Louis-Philippe au “diable boiteux”. Arthur Wellesley, cadet d’une famille de la noblesse protestante d’Irlande, né à Dublin, eut un parcours sinueux. Peu scolaire et sans doute sans grand sérieux dans sa jeunesse, l’armée anglaise en fit le stratège que l’on sait. Chose peu connue, il passa un an à Angers, en 1786, dans l’École royale d’équitation. Il en sortit très bon cavalier et “fluent” dans la langue de Racine. Sa trajectoire politique fut plus stable que celle de Talleyrand puisqu’il fut Premier ministre d’un gouvernement tory de 1828 à 1830, puis de nouveau pour quelques mois en 1834. Il est, en tous cas, l’un des grands héros de l’Angleterre puisqu’il apparaissait, en 2002, au quinzième rang du classement par la BBC des 100 Greatest Britons. En 1815, la relation de cordiale amitié entretenue depuis longtemps par les deux hommes permit à Talleyrand de ne pas rater la seconde Restauration et de s’entendre avec Fouché pour ne pas disparaître : “The duke of Wellington liked Talleyrand, his society, his wit, his eleverness, and no doubt he dropped a word in season, which ensured his elevation (nous : en 1815)”. (J. H. Stocqueler, Life of the duke of Wellington, Londres, 1853, p. 70). Dans cette magnifique lettre se noue en arrière-plan la célèbre vision de Chateaubriand à Saint-Denis le 7 juillet 1815 :

“Tout à coup une porte s'ouvre ; entre silencieusement le vice appuyé sur le bras du crime, M. de Talleyrand marchant soutenu par M. Fouché ; la vision infernale passe lentement devant moi, pénètre dans le cabinet du Roi et disparaît. Fouché venait jurer foi et hommage à son seigneur ; le féal régicide, à genoux, mit les mains qui firent tomber la tête de Louis XVI entre les mains du frère du roi martyr ; l'évêque apostat fut caution du serment”.

BIBLIOGRAPHIE : 

Supplementary despatches, correspondence, and memoranda of Field Marshal Arthur duke of Wellington, edited by his son the duke of Wellington, Londres, J. Murray, 1872, vol. XIV, pp. 564-565 -- E. de Waresquiel, Fouché. Les silences de la pieuvre. Paris, 2014, pp. 570-580, et Talleyrand : le Prince immobile, Paris, 2006 -- P. Mansell, “Wellington and the French Restoration”, The International History review, vol. 11, fév. 1989, pp. 76-83