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Note autobiographique du conventionnel Fouché de Nantes [Manuscrit autographe].
FOUCHÉ ET ROBESPIERRE : PORTRAIT DANS UN MIROIR. L'UN DES PLUS BEAUX DOCUMENTS AUTOGRAPHES SUR THERMIDOR.
DES ANCIENNES COLLECTIONS ROBERT GÉRARD ET JEAN-PAUL BARBIER
4 pp. in folio
Encre brune, plusieurs ratures et corrections autographes de Fouché ; sur la quatrième page, au verso du document, la mention “Note pour Barrere (sic)” est de la main de Fouché ; sur la première page la mention “Note autobiographique du Conventionnel Fouché de Nantes” est de la main de Barère.
Pour la bonne compréhension du document, il est nécessaire de citer d’abord le texte de Barère figurant au bas de la p. 3. Il se présente en quelques lignes compactes destinées sans doute à servir de memento à Barère, lorsqu’en mars 1795 il fut mis en accusation à la Convention avec Billaud-Varennes, Collot d'Herbois et Vadier comme « complice de Robespierre », terroriste et criminel.
De la main de Barère :
“NOTA. Fouché dénoncé aux Jacobins par Robespierre pour son exagération politique, sous couleur de patriotisme, et aussi pour des excès et des abus dont Robespierre l’accusait dans sa mission de représentant dans les départements de la Nièvre et du Rhône (Nevers, Lyon), était présent à la séance du Club des Jacobins [nous : le 14 juillet 1794]. C’était quelques jours avant les événements du 9 thermidor. Fouché effrayé se rendit le soir même au Comité de Salut public et invoqua son secours contre le puissant dénonciateur. Le Comité accueillit sa demande et chargea son rapporteur ordre [ordinaire] Barère, de répondre à l’accusation, si elle se produisait à la Convention Nationale - alors Fouché me remit la note ci-dessus écrite de sa main, pour servir de matériau de sa défense.”
Portrait de Robespierre, de la main de Fouché :
“Robespierre est né à Arras de parents pauvres ; il a été élevé dans un collège de Paris par l’évêque d’Arras Conzié.
Ses études achevées, il est revenu à Arras où il a exercé la profession d’avocat. Fouché, de Nantes professait, dans cette commune, les mathématiques et la physique, et jouissait de l’estime publique. Robespierre n’aimait pas les sciences mais il crut utile à sa vanité de rechercher Fouché et de l’ennuyer plusieurs heures par jour dans son cabinet pour acquérir la réputation de savant. Souvent, pour se donner un air d’intelligence, il interrompait ses démonstrations de physique pour lui reprocher d’être un matérialiste.
Son caractère jaloux ne pouvait supporter tout ce qui était au-dessus de lui ; ses concitoyens prirent cette passion vile pour un sentiment d’amour de l’égalité, ils le nommèrent à l’Assemblée Constituante.
On avait cependant des preuves de sa bassesse. Il flatta l’évêque d’Arras, il rampa aux pieds de Necker et de sa femme tant qu’il eut besoin de leur crédit, il fut souple à l’égard de Fouché dont il mendiait l’influence dans les élections, dans la bourse duquel il savait puiser (pour ses frais de voyage et d’établissement à Versailles).
Il a reçu plusieurs leçons très fortes et très républicaines, de la part de Fouché, sur ses penchants peu dignes d’un homme qui s’estime. Robespierre n’avait pas de génie mais il avait de la mémoire. Son âme ne pouvait supporter le poids de la reconnaissance et ne pardonna jamais à celui qui sut l’apprécier, comme il méritait de l’être.
Fouché lui parla peu à la Convention Nationale. Son travail obscur n’irrita pas sa vanité. Mais envoyé en mission, obligé de développer l’énergie de son caractère et de ses talents, sa réputation blessa le stupide amour propre de Robespierre et ses écrits renversaient d’avance l’échafaudage de ses combinaisons religieuses. La main impie de Fouché traçait sur les tombeaux : La mort est un sommeil éternel, lorsque le doigt de Maximilien devait graver ces mots : La mort est le commencement de l’immortalité.
Sa colère s’alluma lorsqu’il apprit que Fouché faisait renfermer à Lyon les brigands qu’il protégeait et qui selon lui étaient les seuls qui fussent dignes des fonctions publiques. Il obtint qu’on le mandât à Paris pour lui demander des éclaircissements.
Fouché venait d’exécuter avec une sévérité terrible les décrets de la Convention Nationale. Robespierre lui reprocha sa modération : pourquoi, lui dit-il, n’as-tu pas envoyé à l’échafaud les femmes et les enfants des condamnés ? Il y avait encore dix mille têtes à faire abattre et tu songes à rendre Lyon à son commerce et à sa liberté.
Toutes ses fureurs ont éclaté au moment où il a appris que Fouché conspirait dans l’énergie du silence pour renverser les prestiges dont il s’environnait et pour anéantir sa puissance. Plusieurs écrits de Fouché interceptés à la poste lui tombèrent dans les mains. Il dénonça, avec tout ce que la rage peut inspirer, à la tribune des jacobins, il lança contre lui toutes les calomnies les plus atroces et les plus ridicules.
Ses discours eurent un effet désespérant pour lui ; les comités et la Convention Nationale toute entière témoignèrent de l’intérêt à Fouché et de l’indignation à Maximilien.
Il se sentit frappé à mort. Il essaya par tous les moyens de la dissimulation & de la bassesse à se faire pardonner ; il avait calomnié Fouché publiquement, il répandait dans les cercles particuliers que Fouché était un homme probe et énergique, qu’il l’estimait, qu’il était prêt à lui rendre une justice éclatante, à le conduire en triomphe aux jacobins, s’il consentait à avoir une entrevue avec lui.
Nota : Panis1 député, sa femme et plusieurs autres attesteront ce dernier fait.”
1. Étienne-Jean Panis (1757-1832), député à la Convention, proche de Fouché et de Barère, membre du Comité de sûreté général, l’un des organisateurs des Massacres de Septembre
PROVENANCE : ancienne collection Robert Gérard (Paris, 19 juin 1996, n° 203) -- ancienne collection Jean-Paul Barbier (Paris, 16 décembre 2008, n° 127)
Dans son célèbre et ultime discours du 8 Thermidor (26 juillet 1794), Robespierre rejette la responsabilité d’une partie des violences de la Terreur sur les représentants de la Convention en province. Quelques mois auparavant, il les avait rappelés de leur mission. Ce soir-là, l’Incorruptible ne les nomme pas, on le sait. Ils se liguèrent contre lui. Il aurait sans doute dû prononcer les noms de Carrier, Fréron, Barras, Tallien et Fouché.
L’auteur des massacres de Lyon avait reçu son ordre de rappel le 1er avril 1794. De cette date au 9 Thermidor, Fouché est à Paris et ourdit dans l’ombre, avec ses amis, tous étroitement surveillés, le complot qui renversera Robespierre et les siens :
“on n’a pas le sentiment à ce moment-là d’avoir à faire à un homme traqué, plutôt à un homme aux aguets, incroyablement lucide et entièrement maître de lui… On sait très peu de choses sur son état d’esprit. Il devait beaucoup écrire, mais tout a disparu.” (E. de Waresquiel, op. cit., p. 178).
De cette période, seuls quelques documents autographes de Fouché subsistent : quelques rares lettres adressées à sa sœur Louise Broband et à son frère (conservées au Musée du Pellerin), et ce fameux portrait de Robespierre, bien trempé à la lucidité affutée du futur duc d’Otrante.
Il s’agit d’abord d’un saisissant double portrait, comme si Fouché et Robespierre se regardaient dans un même miroir. Fouché commence son portrait par sa rencontre avec Robespierre à Arras, bien avant les débuts de la Révolution elle-même. Le double récit de cette autobiographie et de cette biographie mêlées a pour premier but de discréditer la morale de l’Incorruptible. Son extrême amour-propre l’emporte au-delà de l’estime de soi naturelle au désintérêt du bon patriote. Phrase terrible puisée ici et souvent citée dans les études consacrées à Fouché (Tulard, Waresquiel) : “Robespierre n’avait pas de génie mais il avait de la mémoire”. Robespierre est donc rancunier puisque la mémoire est mère de ce défaut. Au plus fort de la Terreur, la morale est instrumentalisée par la Révolution elle-même. Chacun des clans de la Montagne se renvoie tour à tour les accusations de vice ou les compliments de la vertu. Fouché se vante (par la voix imaginaire de Barère) d’avoir donné au jeune Robespierre “plusieurs leçons très fortes & très républicaines.” Ces propos font écho à la voix de Robespierre elle-même telle qu’on l’entend dans les premières lignes de son ultime discours et qui semble s’adresser directement à Fouché :
“En voyant la multitude des vices que le torrent de la Révolution a roulés pêle-mêle avec les vertus civiques, j'ai tremblé quelquefois d'être souillé aux yeux de la postérité par le voisinage impur de ces hommes pervers qui se mêlaient dans les rangs des défenseurs sincères de l'humanité.”
Et, aux yeux de Fouché, le fondement du vice moral de Robespierre repose, depuis ses premiers pas à Arras, sur sa religiosité. À l’inverse, c’est sur la rupture avec toute forme de religion (qu’elle soit concordataire ou réfractaire) que doit se fonder la République. Dès juin 1793, l’ancien oratorien avait exposé cette matrice du programme terroriste dans ses Réflexions sur l’éducation publique auxquelles il fait sans doute allusion ici par cette phrase : “ses écrits [ceux de Fouché] renversaient d’avance l’échafaudage de ses combinaisons religieuses [celles de Robespierre]”.
Depuis quelques mois, l’accusation de religiosité portée contre Robespierre sous-tend la logique des événements. Dès les premières semaines de 1794, le futur duc d’Otrante apparaît comme l’un des soutiens de la ligne de Hébert, le fameux directeur du Père Duchesne, guillotiné le 24 mars 1794. Lors de sa mission à Nevers (automne 1793), Fouché s’était en effet lié avec Chaumette, l’ami de Hébert, le procureur de la Commune de Paris guillotiné le 13 avril 1794, le si ardent défenseur de la déchristianisation et du programme social égalitariste des Enragés. Lorsque Robespierre fit mettre Chaumette en accusation, on lui reprocha, entre autres, d’avoir voulu “fonder le gouvernement français sur l'athéisme”.
Arrivé à Lyon en novembre 1793, Fouché organise la répression, faisant tuer plus de 1600 personnes, et impose des festivités violemment antichrétiennes. Le 7 mai 1794, Robespierre prononce à la Convention son grand discours sur l’Être suprême et l’immortalité de l’âme. Le 8 juin a lieu la célèbre Fête. Le 11 juin, les Jacobins de Nevers se plaignent à la Convention d’avoir été maltraités par Fouché. Les fameuses lois du 22 prairial (10 juin), qui restreignent les droits de la défense, mettent la Convention à la merci de Robespierre et ouvrent la période dite de la Grande Terreur. La position de ses ennemis, dont Fouché, devient préoccupante. “Il ne paraissait plus à la Convention et ne couchait plus chez lui” écrira Barras dans ses Mémoires. Le 14 juillet 1794, Fouché est exclu du club des Jacobins et devient tricard.
Trois hypothèses sont alors possibles pour dater ce manuscrit.
1.
Bertrand Barère appelle ce document la Note autobiographique du Conventionnel Fouché de Nantes. Le “beau Barère”, surnommé “l’Anacréon de la guillotine”, ajoute qu’elle lui fut transmise par Fouché dans la soirée du 14 juillet 1794. L’ancien oratorien a encore ses entrées au Comité de salut public. Selon l’apostille même de Barère, cette Note devait servir de “matériau de défense” à un discours de ce dernier en cas de mise en accusation de Fouché par la Convention. C’est la première hypothèse, celle à laquelle le document veut faire croire. Elle semble peu probable tant le déroulé d’événements ultérieurs transparaît sous la plume de Fouché et conduit à émettre une deuxième hypothèse de datation.
2.
Le 23 juillet, Robespierre retourne au Comité après deux mois d’absence. Une réconciliation “de façade” (Waresquiel) semble s’amorcer sur le dos de Fouché. D’où sans doute, dans la Note autobiographique, l’allusion à ce pardon réclamé par Robespierre qui se “sentait frappé à mort” et aurait souhaité, selon Fouché toujours, “le conduire en triomphe aux Jacobins”, après l’en avoir fait expulser le 14 juillet du même mois.
Surtout, la définition par Fouché de la mort comme “sommeil éternel”, par opposition à la formule de Robespierre, celle de la mort comme “commencement de l’immortalité”, fait directement écho au dernier discours de Robespierre, le 8 Thermidor : “Non, Chaumette, non, la mort n’est pas un sommeil éternel. Citoyens, effacez des tombeaux cette maxime sacrilège (…) qui insulte à la mort ; gravez-y plutôt celle-ci, la mort est le commencement de l’immortalité”. Car en octobre 1793, Fouché alors représentant à Nevers, avait fait inscrire sur les cimetières, après s’être concerté avec Chaumette présent à Nevers, la formule du “sommeil éternel”. Chaumette fit par la suite approuver ce principe par un arrêté de la Commune de Paris le 16 octobre 1793. Mais Chaumette était mort et Robespierre, par l’invocation de son nom, désignait clairement Fouché. Absent de la Convention ce jour-là, il dût néanmoins sentir la fraîcheur du rasoir sur son cou.
La Convention ne donna pas l’ordre d’impression du discours, véritable “testament” de Robespierre (Waresquiel). Si elle ne lui offrait pas ainsi son approbation, la partie était cependant loin d’être gagnée pour les futurs Thermidoriens. Car Robespierre s’est aussitôt rendu aux Jacobins pour faire acclamer son texte. Collot d’Herbois l’accompagnait, il a été hué. De retour au Comité de salut public, le complot se trame toute la nuit, l’une des plus importantes de l’histoire de France. On sait par le témoignage d’un huissier et par celui de Collot d’Herbois que Fouché était là, entre les Pavillons de Marsan et de Flore, sièges des deux Comités. C’est à ce moment aussi qu’il a pu remettre cette Note autobiographique à Barère pour préparer attaques et défenses du lendemain.
3.
Mais, et c’est la troisième hypothèse, il est aussi de l’ordre du possible que cette Note soit légèrement postérieure. Après la chute de Robespierre, lorsque Fouché apparaît comme l’un des premiers chefs de la Montagne, la réaction thermidorienne cherche à faire tomber les têtes des responsables de la Terreur. Le 22 mars 1795, la Convention met en accusation Barère, Billaud-Varennes et Collot d’Herbois. Le 1er avril, ils sont envoyés à l’île d’Oléron ; les deux derniers sont exilés en Guyanne tandis que Barère se cachera et sera longtemps protégé par Fouché, jusqu’à sa proscription en 1815. Durant les mois qui courent des journées de Thermidor à la condamnation de Barère, ces deux hommes ont pu tenter d’allumer des “contre-feux à la réaction thermidorienne” (Waresquiel), écrivant ce document à quatre mains pour mieux prouver leur rôle partagé dans la chute du tyran face à une Convention maintenant dominée par la droite.
Parmi les trois hypothèses, aucune n’est absolument certaine. Entre le 14 juillet 1794, la nuit de Thermidor et le 1er avril 1795, la date réelle de rédaction de cette magnifique Note autobiographique est sans doute inassignable. Mais ce manuscrit autographe de Fouché et Barère réunis n’en constitue pas moins un document autographe de premier plan, nécessaire à la compréhension de l’un des plus grands événements de l’histoire de France.
Les beaux autographes de Fouché sont rares ; ses missives administratives fréquentes. Celui-ci ressemble à un autre autoportrait célèbre du duc d’Otrante, également rédigé à la troisième personne. Il y résumait sa vie du retour de l’Île d’Elbe à son départ pour l’ambassade de Dresde. Ce manuscrit a fait partie de la collection Albin Schramm vendue à Londres en 2007 (cf. Christies Londres, 3 juillet 2007, n° 369, £25.000, 8 pages)
document cité par Jean Tulard (Figures d'Empire. Murat. Fouché. Joseph Fievée, Paris, 2005, p. 395) et, plusieurs fois, par Emmanuel de Waresquiel (Fouché. Les silences de la pieuvre, Paris, 2014, pp. 173-183) -- le manuscrit autographe du discours du 8 Thermidor est conservé aux Archives Nationales