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Précis pour M. le marquis de la Colonilla ; contre le sieur Hector Branne, et les sieurs et dame Langsdorff
CHÂTEAU-MARGAUX, LE “ROI DES GRAVES” : DEUX DOCUMENTS ESSENTIELS À L’HISTOIRE DE L’UN DES PLUS GRANDS VINS FRANÇAIS.
LE VIN ET LA LOI
ÉDITIONS ORIGINALES
1. Précis pour M. le marquis de La Colonilla… Bordeaux, Racle, 1805
In-4 (292 x 200mm), les pp. 19-20 et 17-18 sont mal reliées
Bandeau gravé sur bois aux attributs de la justice et avec la mention “Cour d’appel de Bordeaux”
COLLATION : (1) 2-45 pp.
BROCHÉ sous sa couverture imprimée d’origine, encadrement de grecques et godrons, chiffre AR au centre de la couverture
2. [DURANTEAU fils, avocat, et JAGOU, avoué]. Griefs d’appel pour le sieur Hector de Branne, appelant d’un jugement rendu le 1er mai 1807, par le Tribunal de première instance de Bordeaux. Bordeaux, chez Lawalle jeune, juillet 1809
In-4 (240 x 190mm)
COLLATION : (1) 2-149 pp.
BROCHÉ sous sa couverture imprimée d’origine, encadrement ornemental, chiffre LA au centre de la couverture
PROVENANCE : archives de la Maison de commerce Denis Frères, 4 rue Lafayette, Bordeaux
RARETÉ :
1. Ce fascicule est d’une grande rareté, aucun exemplaire sur OCLC ni à la BnF ni sur le Catalogue collectif de France. Il semble exister à la Bibliothèque de Bordeaux sous la cote D 70811 mais son adresse n’est pas connue et il est décrit en quatre page. Ailleurs, ce texte a pu être relié dans des recueils juridiques et échapper au recensement. Mais il fut certainement imprimé à très petit nombre
2. Idem. Présent à la Bibliothèque Municipale de Bordeaux sous la cote D 70692
Ce long document imprimé de quarante-cinq pages, très rare, a été écrit par Auguste Ravez, futur comte, pair de France, Président de la Cour d’Appel et ministre sous la Restauration. En 1805, il est destiné au futur baron Pierre-Auguste Rateau (1757-1833), à l’époque Procureur général à la Cour d’appel de Bordeaux. Cette plaquette met en scène trois personnages autour de l’achat de Château-Margaux et compose l’histoire d’une opération financière compliquée, dont les arcanes échappent souvent à la compréhension moderne. Bref, Château-Margaux change de mains.
Le domaine était la propriété du baron Hector de Branne. Il le tenait de sa femme Laure de Fumel (1775-1813). La famille de Fumel possédait Château-Margaux depuis le XVIIe siècle. Le comte Louis de Fumel (1683-1749) en avait hérité en 1694 de son oncle François-Auguste de Pontac. À la Révolution, le domaine fut vendu comme bien national ; Laure de Fumel le racheta. Hector de Branne, son premier mari, issu d’une puissante famille du Parlement de Bordeaux, fut aussi un temps propriétaire du château de Mouton que Nathaniel de Rothschild acquit par la suite en 1853. Branne est connu pour avoir été l’un des introducteurs du cépage cabernet-sauvignon dans le Médoc. Laure de Fumel divorça de Branne en 1798 puis épousa, en 1801, Frédéric-Guillaume de Langsdorff, figure importante du négoce bordelais et originaire du Wurtemberg, dont il était consul à Bordeaux. Tous deux, Branne et Langsdorff, s’unirent dans le procès.
Peu de temps après son second mariage, Laure de Fumel met en vente le domaine de Margaux. Elle le propose d'abord aux fermiers du domaine (Forster, Guestier, Johnston et Martin, cf. p. 2) pour la somme de 900.000 francs : ils déclinent l'offre. Suite à ce refus, Laure de Fumel décide de le vendre aux enchères. En 1802, l'acheteur est Bertrand Douat (1742-1815), titré marquis de La Colonilla par le roi d’Espagne en 1788, pour la somme de 654.000 francs. Le marquis de La Colonilla est un financier basque de haute volée, originaire du pays de Ciboure et installé à Bilbao. Ses activités commerciales l’ont conduit à parcourir le monde.
Selon une procédure bien compliquée, il accepte de se laisser remplacer par un surenchérisseur tout en conservant le droit de revendre le domaine. En réalité, Laure de Langsdorff semble terriblement endettée auprès de ses créanciers puisque l’état de l’inscription de sa dette s’élève “à la somme énorme de 1.368.376 francs et 61 centimes” (p. 6), dont 250.000 francs auprès des fermiers de Margaux. Ceux-ci surenchérissent le “6 Floréal an XI” (26 avril 1803).
Le marquis fait alors jouer son droit et revend le domaine à Henri-Alexis Lagonde le 14 Prairial (3 juin 1803) “pour la somme de 802.000 francs” (p. 7). Lagonde ne paie pas et se voit opposé une procédure de folle enchère. Devant son défaut, Branne et Langsdorff demandent au marquis d’assumer le paiement de cette folle enchère et ses intérêts. Ils perdent en première instance, font appel le 5 Germinal an XII (26 mars 1804) :
“désespérant du succès de ces moyens, qui ont été développés dans un mémoire et pendant deux audiences, les sieurs Branne et Langsdorff, et la dame Fumel, ont fait imprimer des observations par lesquelles ils prétendent prouver que M. le marquis de La Colonilla doit, comme adjudicataire, les intérêts demandés, s’il ne les doit pas comme acquéreur” (p. 10).
S’ensuit un long développement des arguments juridiques d’Auguste Ravez, sommité du barreau bordelais, par lesquels il fait la distinction entre la possession et la jouissance, remontant ses arguments au droit romain : “il n’est personne qui ne juge, au premier coup d’œil, que la prétention du sieur Branne et de la dame Langsdorff, est d’une révoltante iniquité” (p. 12). Le domaine était affermé et le vin vendu sur abonnement. Le marquis de La Colonilla “n’a pas joui du domaine de Château-Margaux (…) Il n’en a pas joui, puisqu’il n’a perçu ni les fruits ni les prix de ferme : on ne peut donc pas lui demander, en vertu d’un contrat annulé, les intérêts qui représentent une jouissance que, dans les faits, il n’a pas eue” (p. 20-21). Au final, le jugement fut confirmé : les anciens propriétaires furent déboutés de leur demande et le marquis de La Colonilla entra en pleine possession et jouissance de Château-Margaux.
Bertrand Douat donna alors aux bâtiments le visage splendide qu’ils conservent aujourd’hui. Il fit raser l'ancien château et lança la construction par l’architecte Louis Combes (1757-1818), élève de Victor Louis, du château actuel au style néoclassique épanoui et de ses bâtiments techniques dont les travaux s'achevèrent en 1816 (classé monument historique en 1946). Comme souvent dans l’histoire du vignoble bordelais, le marquis fut un propriétaire absent, Château-Margaux n'étant qu'un élément marquant de sa réussite personnelle. En 1835, son gendre et sa fille, le comte Dominique de Bastard d’Estang, vendirent Château-Margaux au marquis Alexandre de Aguado (1784-1842) pour la somme de 1.300.000 francs.
Le second livret fut imprimé en juillet 1809 pour le baron Hector de Branne. À cette époque, celui-ci ne possède plus Château-Margaux, mais il fait dans cet appel la “colocation” des dettes contractées à l’époque où, avec sa femme Laure de Fumel, il dirigeait le “roi des Graves”, renseignant par là sur le fonctionnement de Château-Margaux. Il se plaint du non-paiement du prix d’achat par le marquis de La Colonilla comme de la roublardise de fermiers du domaine qui, à ses yeux, l’ont roulé : « Les fermiers firent divers paiements. Ils jouirent du bien. Ils y firent des récoltes immenses » (p. 99). La gestion de l’un des plus grands vignobles du bordelais, sachant qu’à cette date Branne possède encore Mouton, se présente bien comme un écheveau financier impénétrable.
le dossier du classement de Château-Margaux au titre de l’Inventaire général du Patrimoine culturel : D :/Users/jb/Downloads/Ch%C3%A2teau+Margaux.pdf