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Cincq Dialogues. Faits à l'imitation des Anciens par Orasius Tubero
EXEMPLAIRE DE FRANÇOIS-LOUIS JAMET.
L'UN DES BREVIAIRES DU SCEPTICISME AU XVIIE SIECLE PASSÉ ENTRE LES MAINS DES LIBRES PENSEURS DU SIÈCLE DES LUMIÈRES
Édition en partie originale, avec son titre définitif de Cinq Dialogues, au lieu de Quatre Dialogues pour les précédentes éditions
In-12 (132 x 72mm)
Fleuron gravé sur bois imprimé sur la page de titre, initiales et culs-de-lampe gravés sur bois
COLLATION : A-N12 O10, A9r-O10v paginés 17-332
ANNOTATIONS AUTOGRAPHES DE FRANÇOIS-LOUIS JAMET :
- premier contre plat : “Cat. 154 contemnari et conversari" [mépriser et dialoguer]
- première garde : “un exemplaire in-4, de cet ouvrage, sans la date supposée de 1606*, à Francfort, chez Sarius a été vendu 24 livres tournois à la vente de livres de l’abbé de Molières de l’Académie des Sciences, Professeur au Collège Royal… Le… aoust 1742 *c’est 1716
Il y en a aussi une édition en 2 vol. in-12. Francfort (Trevoux) Jean Sarius, 1716. Cette édition est augmentée, de même que l’in-4, de 4 nouveaux dialogues, dont voici les titres : De l’ignorance louable, De l’opiniâtreté, De la politique, Du mariage”
- page de titre : “François de la Mothe-Le Vayer conseiller d’État”
“Jamet. Lunéville 27 7bre 1738, ce livre m’a été donné par M. Lancelot de l’Académie des I[nscriptions] et B[elles] L.”
- second contre plat : “Lunéville 27 7bre 1738”
- nombreuses corrections typographiques et marques de lecture
ANNOTATION d’une main non identifiée :
- second contre plat : “Acheté à [ ?] le 1er Messidor an II. 30 livres”
RELIURE DU XVIIe SIÈCLE. Veau moucheté, dos à nerfs orné et doré, tranches mouchetées
PROVENANCE : Antoine Lancelot (1675-1740), membre de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres -- François-Louis Jamet (1710-1778 ; signature et mention de don sur la page de titre : “Lunéville 27 7bre 1738, ce livre m’a été donné par M. Lancelot de l’Académie des I. et B. L.” ; et sur le second contre plat : “Lunéville 27 7bre 1738”)
INTRODUCTION pour les deux exemplaires Jamet : les livres de François-Louis Jamet
François-Louis Jamet (1710-1778), dit Jamet le jeune, est connu des bibliophiles par les exemplaires qu’il a annotés de sa petite écriture caractéristique, et qu’il a souvent réunis en recueils factices dénommés “stromates” c’est-à-dire tapisseries :
Ses livres “sont recherchés des amateurs. Et pourtant, ces livres avaient été par lui, pour la plupart, assez maltraités, dépecés par fragments, puis rassemblés par thèmes sans distinction d’auteurs, de genres, de formats et reliés après avoir été couverts d’érudites annotations, souvent curieuses ou cocasses, de sa petite écriture, et parfois enrichis d’illustrations glanées par ailleurs, formant ainsi des recueils factices dont il couvrait les murs de sa “librairie”, d’où le nom de Stromates (tapisseries) emprunté, semble-t-il, à Clément d’Alexandrie” (Claude Lebédel).
Jamet, d’origine normande, devient, en 1734, le secrétaire d’Antoine-Martin Chaumont de la Galaizière. Il suivra le magistrat dans ses fonctions d’Intendant de Lorraine et chancelier de l’ancien roi de Pologne Stanislas Lczinski à Lunéville. En 1740, Jamet s’installe à Paris. Il devient proche des milieux littéraires, fréquente les Encyclopédistes et les libraires, et entretient une correspondance avec Denis Diderot.
Un inventaire de ses livres dressé un mois après sa mort, les 20 et 30 septembre 1778, dans le logement qu’occupait Jamet dans le quartier de Saint-Sulpice, fait état d’environ quatre cents volumes. Claude Lebédel suppose que “la bibliothèque de Jamet avait déjà fait l’objet, avant cet inventaire, d’une certaine dispersion puisque le nombre des volumes annotés par Jamet, à en juger par les séries se trouvant actuellement à la Bibliothèque nationale, était largement supérieur à ce chiffre de 400”. Le libraire Charles Chardin acquit l’essentiel de la bibliothèque Jamet. Elle rejoignit en bloc la Bibliothèque royale lors de sa vente, en 1824.
La très grande majorité des exemplaires annotés par Jamet, aujourd’hui connus, sont conservés à la Bibliothèque nationale de France. Charles Nodier, après Chardin, fut le véritable découvreur de Jamet. Il rédigea un chapitre consacré au collectionneur, à partir des exemplaires conservés à la Bibliothèque nationale de France, dans ses Mélanges tirés d’une petite bibliothèque (1829) : “Jamet le jeune doit sa célébrité, parmi les amateurs de livres, aux notes dont il aimait à couvrir les gardes, le frontispice, et la marge de ses livres”.
Nodier reproche à ces notes d’être principalement “remarquables par un cynisme peu commun de pensées et d’expressions”. Des légendes durent colportés à partir de certaines approximations de Nodier. Jamet aurait été un voltairien invétéré, par exemple, en plus d’exercer le métier de gendarme à Lunéville. Claude Lebédel rectifie : “Tout ceci est bien excessif ou alors il faudrait en déduire qu’une grande partie de la littérature du dix-huitième siècle ne trouve pas grâce aux yeux de Nodier”. En revanche, Jamet a bien habité quelques années à Lunéville, avant 1840 : la mention de cette ville figure bien sur son exemplaire de La Mothe Le Vayer.
La Bibliothèque nationale de France conserve plus de 350 exemplaires annotés par Jamet répartis dans trois départements. Le Département des Manuscrits conserve deux importants volumes de “Miscellanea” et la correspondance ; 66 exemplaires annotés par Jamet sont au département des Imprimés et 300 volumes environ à la Réserve des Imprimés dont trois séries, les “Stromates” (28 volumes), les “Femmes” (56 volumes) et “Mélanges” (4 volumes). Claude Lebédel, dans son étude (1988) précise que certains exemplaires, conservés à la Bibliothèque nationale, que l’on croyait annotés par Jamet l’avaient été en fait par une autre main, celle d’un certain Guillaume Molé (1742-1780), avocat au Parlement de Paris, qui avait acquis de nombreux exemplaires de son ami Jamet.
Au XXe siècle, deux collections privées comprenaient des ensembles importants d’exemplaires annotés par Jamet : la plus importante, celle de Gustave Mouravit réunissait trente six exemplaires ou recueils de Jamet. Ils furent dispersés lors de la vente Mouravit, en avril-mai 1938. Deux d’entre eux furent acquis par la Bibliothèque nationale de France. Claude Lebédel, à la suite de Mouravit, parvint à réunir dix sept volumes annotés par Jamet (sept provenaient de Mouravit). Ils furent récemment proposés à la vente.
Antoine Lancelot
Dans les derniers mois de l’année 1737, des conférences s’étaient ouvertes à Nancy pour le règlement des limites entre la France et le Saint-Empire romain germanique. Louis XV, désirant savoir quels secours les Archives de Lorraine pourraient lui apporter, chargea Antoine Lancelot (1675-1740), membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et inspecteur du Collège royal, de consulter le Trésor des Chartes et d’y recueillir des renseignement permettant de rattacher la Lorraine à la France. La tâche dura trois ans, jusqu’en janvier 1740.
L’homme de grande culture qu’était Antoine Lancelot, était également porté vers une littérature de la libre pensée. Il connaissait à la perfection le courant sceptique du XVIIe sècle. Il collabora au Naudaena et Patiniana de 1701 et fournit des notes à Bayle pour l’édition revue de 1703, ainsi que pour la seconde édition de son Dictionnaire historique et critique ; il collabora ensuite à L’Espritde Guy Patin de Bordelon (1709). En 1732, il donna encore une édition commentée du Cymbalum mundi de Bonaventure des Périers. On sait aussi qu’il fut un ami intime de Du Marsais, son confrère à l’Académie des Inscriptions, et qu’il aurait été possesseur, dès 1737, d’un manuscrit des Nouvelles libertés de penser - antérieur donc de six ans à sa publication par Pierre Piget fin 1742, daté de 1743). On tient ce témoignage de François-Louis Jamet.
Antoine Lancelot et François-Louis Jamet, son cadet de 35 ans, se lièrent d’amitié lors de leur séjour en Lorraine. Tous deux y arrivèrent en 1737. Des livres furent échangés entre les deux hommes. La mention qu’inscrivit Jamet sur la page de titre de cet exemplaire le rappelle.
Les Dialogues de La Mothe Le Vayer
François de La Mothe Le Vayer (1588-1672) succéda à son père, en 1625, dans la charge de substitut du Procureur général au Parlement de Paris. Il fut protégé par Richelieu puis Mazarin, devint précepteur de Monsieur, puis du jeune Louis XIV et assista à son sacre. Il est connu comme l'un des principaux représentants du scepticisme en France au XVIIe siècle. Ami de Gabriel Naudé, de Pierre Gassendi et d'Élie Diodati, il forma avec eux la célèbre Tétrade autrefois étudiée par René Pintard. Héritier de Montaigne, il avait recueilli la bibliothèque de Marie de Gournay et donc, sans doute, les livres de Montaigne et La Boétie.
La Mothe le Vayer commença par publier une première série de Quatre dialogues en 1630. Descartes élabore à la même époque sa théorie métaphysique radicale de la création des "vérités éternelles" par un Dieu qui ne serait plus assujetti "au Styx et aux Destinées" (15 avril 1630), bref, à la raison. Et le Discours de la Méthode s'adresse directement aux sceptiques comme La Mothe le Vayer, soit ceux qui "ne doutent que pour douter". Il est quasi certain que ce sont les Quatre dialogues que Descartes qualifie de "méchant livre" dans une lettre au P. Mersenne (6 mai 1630). René Pintard l'avait compris en 1937 et les plus récents travaux universitaires considèrent toujours cette hypothèse comme relevant d'une "haute probabilité" (Alain Mothu). Les titres de ses Cincq Dialogues suivants, toujours publiés sous le pseudonyme d'Orasius Tubero - sont éloquents : De la Philosophie sceptique ; Le Banquet sceptique ; De la Vie privée ; Des rares et éminentes qualités des Asnes de ce temps ; De la diversité des religions. Un tel livre ne pouvait pas trouver meilleurs place que dans les bibliothèques d’Antoine Lancelot et de François-Louis Jamet.
J.-C. Brunet, Manuel du libraire, III, col. 800 -- A. Tchemerzine, Bibliographie des éditions originales et rares d'auteurs français, III, p. 960, c) –– Claude Lebédel, À propos de Jamet, Bulletin du bibliophile, 1088, pp. 333 et suiv. -- Alain Mothu, "Orasius Tubero et le méchant livre de Descartes", Lettres clandestines, n° 4, 1995 -- Alain Mothu, “Les Essais métaphysiques de Pierre-Charles Jamet. Quelques éléments bibliographiques”, in La Lettre Clandestine, n°9 - 2000, Paris, 2001 -- René Pintard, “Sur les débuts clandestins de La Mothe le Vayer : la publication des "Dialogues d'Orasius Tubero”, in La Mothe le Vayer, Gassendi, Patin. Études de bibliographie, Paris, 1943
WEBOGRAPHIE : étude de Charles Nodier sur François-Louis Jamet : https://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k10666386/f62.item