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BALZAC, Honoré de

Enquête sur la Politique des deux ministères

Paris, A. Levasseur avril 1831

SUPERBE ENVOI DE BALZAC À CHARLES DE MONTALEMBERT, L’UN DES FONDATEURS DU CATHOLICISME SOCIAL EN FRANCE. RELIÉ À SES ARMES EN TÊTE DU DOS.

VERS LA “ROYAUTÉ LITTÉRAIRE” (BALZAC, 26 OCTOBRE 1834) : LE BASCULEMENT D’UNE LITTÉRATURE DE L’ENGAGEMENT VERS UNE LITTÉRATURE DE LA FICTION.

ÉDITIONS ORIGINALES

9 ouvrages en un volume in-8 (223 x 127mm)
COLLATION de l’ouvrage de Balzac : π2 [1]-28 39
CONTENU : π1r envoi, π1v : catalogue de l’éditeur, 1/1r texte 3/9r fin du texte à la p. 49

ENVOI autographe signé par Balzac :

Offert par l’auteur
à Monsieur Charles de Montalembert
par l’auteur

RELIURE DE L’ÉPOQUE. Basane verte, dos lisse, filets dorés, armoiries en tête du dos avec emblèmes de la pairie, tranches mouchetées

Le texte de Balzac est précédé par : (1). [NAYLIÈS, vicomte Joseph-Jacques de]. Relation du voyage de Charles X depuis son départ de Saint-Cloud jusqu’à son embarquement, par un Garde-du-corps. Paris, G. A. Dentu, 1830. 53 pp. Il est suivi par : (2). Pierre Ambroise PLOUGOULM. De l’hérédité de la pairie. S. l. n. d. 26 pp. ; (3). Jacques Honoré LELARGE, baron de LOURDOUEIX. Appel à la France contre la division des opinions. Paris, Bureau de la Gazette de France, 1831. 119 pp. ; (4). Pierre PÉPIN. Relation directe d’une série de faits touchant les funestes événemens des 5 et 6 juin 1832… S. l. n. d. 53 pp. (5). François-René de CHATEAUBRIAND. Mémoire sur la captivité de Madame la duchesse de Berry. Paris, Le Normant éditeur, 1833 ; (6) : Charles DUNOYER. Mémoire à consulter sur quelques unes des principales questions que la révolution de juillet a fait naître. Paris, Delaunay, 1835. 6 ff. n. ch., 2-184 pp. (7) : François de CORCELLE. De la Suppression de l’impôt du timbre sur les journaux et de la réduction de leur cautionnement. S. l. n. d. 1 f. n. ch., 4-17 pp. ENVOI autographe de l’auteur : Hommage et amitié ; (8). Émile de GIRARDIN. Discours de M. E. de Girardin, député de la Creuse, dans la discussion du projet de loi sur la presse. S. l. n. d. 2-23 pp. (9) : Émile de GIRARDIN. Moyens législatifs de régénérer la presse périodique, d’étendre la publicité et de régler la polémique… Paris, A. Desrez, 1835. 1 f. n. ch., 4-48 pp.

ANNOTATIONS autographes de Charles de Montalembert : la page de titre du texte de Chateaubriand (Mémoire sur la captivité de Madame la duchesse de Berry) est surmontée d’une annotation au crayon autographe de Montalembert s’adressant au lecteur éventuel de ce recueil : “Lisez avec attention, la dernière page de ce même texte se clôt sur une autre annotation autographe de Montalembert, au crayon encore : Tout est magnifique et sublime. Il n’y a rien à répondre”

PROVENANCE : Charles Frobes René de Montalembert (1810-1870 ; envoi et armes en tête du dos)

En 1831, Honoré de Balzac a trente-deux ans. Il commence à connaître le succès avec ses premiers grands romans, Le Dernier Chouan (1829), Physiologie du mariage (1830) et Scènes de la vie privée (1830). Les Journées de Juillet 1830 accélèrent son désir ancien de monter sur la scène politique. Déjà en 1819, il écrivait à sa sœur : “Si je suis un gaillard… je puis avoir encore autre chose que la gloire littéraire, il est beau d’être un grand homme et un grand citoyen”. La modification des conditions d’éligibilité lui permet d’aller “sur les traces de son modèle, Chateaubriand”, soit de “cumuler les fonctions de penseur et d’acteur du politique” (P. Baufoin). Cet exemplaire d’Enquête sur la politique des deux ministères constitue l’apex de l’engagement politique de Balzac puisque, n’ayant pas connu le succès électoral escompté en cette même année 1831, ce court ouvrage reste en lui-même la plus importante réalité de ce désir d’engagement.

Balzac prépare sa candidature aux élections de juillet 1831. Il publie une série de dix-neuf articles dans Le Voleur entre septembre 1830 et mars 1831 qu’il conclut par cet ouvrage, Enquête sur la politique des deux ministères, daté du 23 avril et signé “M. de Balzac, électeur éligible”. Il précise, à la fin de son livre, que cette Enquête devait être suivie d’autres analyses politiques : “Cette enquête, embrassant la politique générale suivie par le ministère, est, en quelque sorte, le préambule de quatre autres Enquêtes que nous publierons sur les relations extérieures, les ministères de la guerre, des finances et de l’intérieur. Elles paraîtront de quinzaine en quinzaine”. Cette Enquête sur la politique des deux ministères, la seule qui verra le jour, est destinée à “prouver aux électeurs qui [le] nommeraient qu’[il pouvait] leur faire honneur” et tâcherait d’“être utile au pays”. Dans sa correspondance, Balzac avoue son ambition d’être non seulement député mais ministre : “l’ambition que j’ai est de faire triompher mes principes par un ministère” (lettre du 26 avril 1831 au général de Pommereul).

Balzac fit largement diffuser sa brochure, envisageant d’être candidat à Fougères, à Tours ou à Cambrai. Sa brochure ne pouvait remplacer un programme adapté à la circonscription et battre des candidats bien implantés. Il connut un triple échec. Cependant, son entreprise força Balzac à préciser ses idées politiques et à trouver des soutiens.

Six lettres et un envoi

Balzac adressa immédiatement un exemplaire de son livre à Charles de Montalembert. Les raisons de cet envoi sont claires : Montalembert dirigeait le journal L’Artiste susceptible de promouvoir son livre et sa candidature. Or Balzac perçut une proximité de pensée entre Montalembert et lui-même, à la fois réactionnaire et libérale. On ne connaît pas la lettre de remerciement qu’adressa Montalembert à Balzac à la réception de cet exemplaire. En revanche, nous est parvenue la lettre suivante, celle de Balzac à Montalembert, datée du 5 juin 1831, évoquant justement cet exemplaire :

“Permettez-moi de vous remercier affectueusement de l'aimable lettre que vous m'avez écrite au sujet de l'envoi de mon Enquête. Elle vous était due comme collaborateur de L'Avenir, mais sans cela, je me serais fait encore un plaisir de l'offrir à un écrivain politique aussi distingué que vous… je me proposais d'aller vous prier de parler de ma brochure dans votre journal”

Suivront cinq autres lettres échangées entre les deux hommes, toutes datées de la seconde moitié de l’année 1831, portant à six lettres leur correspondance aujourd’hui connue. Ces six lettres permettent de comprendre les raisons de leur admiration réciproque :

1. Balzac à Montalembert, 5 juin 1831 (voir supra). Après lui avoir adressé un exemplaire de l’Enquête, Balzac envisage d’adresser à Montalembert un exemplaire de La Peau de chagrin : “Dans quelques jours, Monsieur, lorsque j'aurai terminé un ouvrage fort difficile, La Peau de chagrin, j'oserai mettre à contribution votre bonne volonté” (vendue par la Librairie Faustroll. Inédite)
2. Montalembert à Balzac, 6 juin 1831 : “Je fais surtout des vœux non pas pour que votre livre [La Peau de chagrin] soit beau et qu’il ait du succès car votre passé m’en répond, mais pour qu’il me soit permis à moi strict moraliste de L’Avenir d’en dire tout le bien que je vous souhaite” (cf. Pléiade 31-43)
3. Balzac à Montalembert, après le 1er septembre 1831 : “J’ose espérer que L’Avenir parlera d’un livre [La Peau de chagrin]… les politiques tournent dans le même cercle et sont évidemment stationnaires… le repos est dans le gouvernement fort et hiérarchique. Nous partageons beaucoup ces idées, je crois” (cf. Pléiade 31-80)
4. Montalembert à Balzac, après le 1er septembre 1831 : “Vous attachez, je crois, un prix beaucoup trop grand à mon suffrage, et même à celui de L’Avenir, peu influent dans le monde littéraire. Mais, puisque vous le désirez, je vous le promets sincère et impartial” (cf. Pléiade 31-81)
5. Balzac à Montalembert, avant le 3 octobre 1831 : “J’ai l’honneur de vous envoyer mes trois volumes de Contes et romans philosophiques… plus tard, mon entreprise sera mieux développée encore… Permettez-moi de vous faire observer que je vous les envoie moins comme à un critique, que comme à un juge particulier” (cf. Pléiade 31-97)
6. Montalembert à Balzac, 17 novembre 1831 : “Quelle que soit l’opinion que j’en aie sur la tendance de vos écrits, il est impossible de n’être pas maîtrisé par votre style et votre originalité, et de ne pas vous lire avec le plus vif intérêt… Mais j’aime mieux vous remercier, au nom de tous les jeunes gens qui ont connu la pauvreté, au nom de tous les jeunes cœurs qu’un misérable amour-propre de femme a brisés, vous remercier de l’admirable seconde partie de La Peau de chagrin… Je pars donc pour la ville éternelle” (cf. Pléiade 31-120).

L’envoi de cet exemplaire de l’Enquête sur la politique des deux ministères forme donc le premier et le plus important témoignage connu d’un lien entre Balzac et Montalembert.

Ce qui ressort de cette correspondance tient à l’importance qu’accorde Balzac au jugement de Montalembert (“juge particulier”). Deux ouvrages en sont le sujet : Enquête sur la politique des deux ministères et La Peau de chagrin. Leur écriture est concomitante. Ils paraîtront à deux ou trois semaines d’intervalle. La Peau de chagrin est annoncée pour la mi-mai au verso du faux titre de l’Enquête sur la politique des deux ministères. Balzac sollicite aussi bien Montalembert pour un ouvrage d’idées politiques que pour celui d’une fiction fantastique. Montalembert, dans son Journal, est plus acerbe. Il rapporte à la date du 6 septembre 1831 : “Le soir infâme paresse. Lecture du roman de Balzac, La Peau de chagrin, fort bon sous quelques rapports, mauvais en général”. L’Avenir publiera cependant, en novembre, un article sur La Peau de chagrin.

Convergences politiques

Le comte de Montalembert fonda, au moment de la Révolution de 1830, le journal catholique libéral L’Avenir avec Félicité de Lamennais et Henri Lacordaire. Leur devise était “Dieu et la liberté !” : liberté de conscience, liberté de la presse, liberté d’association, liberté d’enseignement, séparation de l’Église et de l’État et défense des nations opprimées (notamment la Pologne). Le catholicisme libéral mêle la doctrine contre-révolutionnaire traditionnelle, telle que l'avait développée Joseph de Maistre, et la pensée héritée des Lumières et de la Révolution française. En mai 1831 – c’est-à-dire au moment où parait le texte de Balzac, Montalembert ouvre avec Lacordaire une école libre qui leur vaut une condamnation de la Chambre des Pairs et du clergé français. En décembre 1831, ils se rendent à Rome (Montalembert en informe Balzac dans la dernière lettre (n° 6) qu’il lui adresse) plaider leur cause auprès du pape. Lacordaire, Montalembert et Lamennais trouveront à Rome non pas une approbation mais une condamnation du pape, et une censure de leurs idées et de leur journal, à laquelle ils se plieront.

Montalembert n'apprécie pas la Monarchie de Juillet qu'il considère comme un régime individualiste, matérialiste et bourgeois au détriment de la cohésion sociale et de l’union nationale. Il comprend que la question ouvrière sera prédominante tout au long du XIXe siècle. Il décide de soutenir une monarchie constitutionnelle et libérale et rejoint la Chambre des Pairs en 1831 (dont il a hérité) pour y défendre inlassablement la liberté des peuples, la liberté religieuse et les droits sociaux. Parmi les questions sociales, il aborde la loi sur le travail des enfants dans les manufactures, et n’hésite pas à dire de « dures vérités » sur « l’industrie et l’instruction, ces deux fléaux de notre société démocratique » (4 mars 1840), ou encore au sujet des livrets d’ouvriers, « cette nouvelle sottise despotique » (10 février 1846).

Si Balzac n’est pas politiquement engagé du côté du peuple, s’il ne pressent pas que la question ouvrière sera centrale au XIXe siècle, contrairement à Montalembert, il sait décrire ce peuple. Montalembert admire ces tableaux du peuple que peint le romancier :

“Mais j’aime mieux vous remercier, au nom de tous les jeunes gens qui ont connu la pauvreté, au nom de tous les jeunes cœurs qu’un misérable amour propre de femme a brisés, vous remercier de l’admirable 2de partie de La Peau de chagrin. Votre femme sans cœur est à faire pleurer de vérité. Je vous le dis sans compliments et peut-être par expérience, je crois que c’est le tableau le plus vrai de la société actuelle, qui ait été encore tracé” (lettre du 17 novembre 1831).

L’étude de Balzac, Enquête sur la politique des deux ministères, n’est pas éloignée des positions de Montalembert et de L’Avenir. Balzac dresse un bilan fort critique des premiers mois de gouvernement de la monarchie de Juillet :

“Nous accepterons la Révolution de Juillet comme un fait, et nous essaierons de constater, non quels devraient être, mais quels furent les effets produits par ce mouvement, sur notre système politique intérieur ou extérieur” (p. 4).

Balzac dénonce un régime représentatif structurellement instable : règne du perpétuel discours, conflits d’intérêts et luttes d’opinion qui paralysent l’action. Le nouveau régime, selon Balzac conduit au “ministérialisme”, c’est-à-dire à la dépendance du pouvoir par rapport à des assemblées occupées à le discuter. On ne voit pas, suggère Balzac, quel Richelieu pourrait produire un tel système, sinon des “Richelieu sans pourpre”, comme Casimir Perier – anticlérical notoire –, des “tyrans de bas étages”, ne menant pas, comme le cardinal, une politique.

Balzac se place du côté des légitimistes même s’il refuse tout engagement explicite dans son Enquête sur la politique des deux ministères. Il défend, comme Montalembert, une monarchie constitutionnelle, célébrant et fustigeant à la fois les châtelains dont il se réclame, et le peuple républicain, “partie solide de la nation, celle qui laboure, qui travaille” et qu’il affirme connaître, à juste titre. Cette position médiane, tentant de concilier des classes sociales opposées, vaudra à Balzac un échec politique. Balzac, note Stefan Zweig, s’est toujours trouvé “dans la politique pratique – comme dans les affaires – du mauvais côté”. Cependant, au-delà du constat d’échec, cet épisode révèle, en définitive, une subordination du politique au littéraire.

Tout doit finir dans un livre : des ambitions politiques à La Comédie humaine

Telle qu'elle se manifeste dans Enquête sur la politique des deux ministères et dans La Comédie humaine, la politique balzacienne est exemplairement celle d'un auteur “pluriel” (N. Mozet). Le Balzac politique ne cesse d’être le Balzac romancier. En mouvement perpétuel, sa pensée politique, multiple, complexe, est peuplée de personnages. Dans Balzac et le politique Boris Lyon-Caen relève l’évidente “polyphonie littéraire” des articles des Lettres sur Paris suivis de son ouvrage Enquête sur la politique des deux ministères. C’est bien cette pluralité constitutive du romancier qui valut à Balzac son échec politique. Il voulut suivre la lignée des “mages romantiques” selon l’appellation que donne Paul Bénichou à Victor Hugo, Alfred de Vigny et Alphonse de Lamartine (Victor Hugo emploiera ce terme de “mages” dans un poème des Contemplations, VI, xxiii) : à savoir se faire “le conducteur spirituel de l'humanité” (Hugo). Les Journées de Juillet créèrent un “désenchantement” (expression de Balzac) suivi de diverses réactions chez les écrivains : pour certains, le désir d’engagement politique, pour d’autres, le refuge dans le rêve (Nerval) ou l’art pour l’art (Gautier) :

“Ce moment de 1830 est, à l'évidence, un movimentum, instant qui fait pencher l'un des plateaux de la balance, soulève des espoirs, puis provoque un naufrage. Sans lui donner une valeur exagérée, Bénichou le perçoit bien comme une heure pivotale, décisive pour toute la littérature à venir” (J.-L. Steinmetz).

Le discours politique, chez Balzac, changera de forme. Il quittera l’ “enquête” pour être transformé, assimilé dans le roman. Probablement Balzac le comprend-il quand il annonce, après ses échecs électoraux, s’adonner entièrement à la quête d’une “royauté littéraire” (26 octobre 1834). L’année 1830 en cela est bien un “tournant” (Rolland Chollet) dont cet exemplaire en est le plus solide témoignage. Il marque le basculement d’une littérature de l’engagement vers une littérature de la fiction.

BIBLIOGRAPHIE : 

Balzac, Correspondance, I, Paris, 2006 -- Charles de Montalembert, Journal intime inédit, t. II, 1830-1833, Paris, 1990 -- Roger Pierrot, Honoré de Balzac, Paris, 1994 -- Boris Lyon-Caen, article “Politique”, in Dictionnaire Balzac, Paris, 2021, vol. II, p. 1029 -- Patricia Baudouin, “1850 ou l’éclatement des idées politiques de Balzac”, in Balzac et la crises des identités, E. Cullmann (dir.), Saint-Cyr-sur-Loire, 2005 -- Bernard Guyon, La Pensée politique et sociale de Balzac, Paris, 1947 -- Boris Lyon-Caen (dir.), Balzac et le politique, Saint-Cyr-sur-Loire, 2007 -- Roland Chollet, Balzac journaliste. Le tournant de 1830, Paris, 2016 -- Nicole Mozet, Honoré de Balzac, l’Hommœuvre, Tours, 2017 -- Jean-Luc Steinmetz, “Paul Bénichou et la lecture des petits romantiques”, in Cahiers de l'Association internationale des études françaises, Paris, 2004, n°56
WEBOGRAPHIE : pour l’article de Steinmetz : https://www.persee.fr/doc/caief_0571-5865_2004_num_56_1_1544