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Dialogus creaturarum moralisatus

Anvers, Gerard Leeu, 1491

“ONE OF THE MOST DISARMING OF EARLY PRINTED BOOKS” (YALE, UNIVERSITY GAZETTE, 1968).

RELIURE DE JEAN DE GONET PRÉSERVANT UN EXEMPLAIRE DEVENU RARE.

SYMPATHIQUE PROVENANCE ANGLAISE DU XVE SIÈCLE ATTESTANT DES LIENS TISSÉS ENTRE GERARD LEEU ET LE MARCHÉ ANGLAIS : L’IMPRIMEUR HOLLANDAIS ÉTAIT SANS DOUTE PROCHE DE WILLIAM CAXTON

Précieuse édition incunable donnée par Gerard Leeu à Anvers, la cinquième de ce texte
In-4 (182 x 136mm)
37 lignes imprimées sur deux colonnes, belle marque typographique de Gerard Leeu au verso du dernier feuillet (o6v) [Juchhoff 3], caractères typographiques : 5 :82G (texte) et 8 :99G (titre et titre-courant), initiales gravées sur bois (deux dimensions différentes)
COLLATION : a a-i k-o6 : 90 feuillets
CONTENU : a1r : une seule ligne, celle du titre, o6r colophon : Presens liber Dyalogus creatur[rum] appellatus : iocu[n]dis fabulis plenus Per Gerardu[m] leeu in opido antwerpie[n]si inceptus : munere dei finitus est Anno d[omi]ni M.cccc xcj. xj die Aprilis.

ILLUSTRATION : 121 gravures sur bois (2 répétitions en a6v-b1r portent le total à 123). Elles ont été attribuées par W. M. Conway au Premier Maître de Gouda. Ces bois furent utilisés dès la première édition donnée par Gérard Leeu à Gouda en 1480 (Goff N151 ; Conway, The Woodcutters in the Netherlands in the Fifteenth century, Cambridge, 1884, pp. 32-34 et 216-220). La première édition comptait 122 gravures sur bois pour chacun des 122 dialogues. Dans cette édition de 1491, le dialogue 120 (o3r) ne possède pas d’illustration ; l’espace a été laissé blanc comme si le bois d’origine avait été perdu
ANNOTATIONS : longue note manuscrite en langue anglaise sur la page du titre, à l’encre brune (fin du XVe siècle). Elle donne la recette d’un médicament contre la peste. On peut déchiffrer quelques mots : “Item alia medicinam pro pestilence. In any [ ?] of wysse [ ?] not ut olie [ ?] thyat Foloying in times of pestelens in p[ ?] boyl Aryndrak & sanguis draconis [ ?] well [ ?] of take all there And pray thanks to god [ ?] and put [ ?] a box and take yt of on yt [ ?] in yt weke als mych as wyll fill [ ?] not schall and [ ?] alls mych [ ?] As a beyn and breyth it well in a coppe which Drynkes [ ?] of a greyt draghts and [ ?] taken [ ?] In a werke [ ?] Or alwendi is on [ ?] gyf”…

RELIURE SOUPLE SIGNÉE DE JEAN DE GONET ET DATÉE DE 1999. Plats en quatre lames de bois d’ébène, motif vermiculé, dos havane à motif vermiculé, doublure de daim rouge, gardes de daim brun
PROVENANCE : Angleterre, ca. 1495, note manuscrite sur la page de titre -- plusieurs annotations en latin d’une autre main -- British Library, cachet du XVIIIe siècle à l’encre noire (Museum Britannicum) et cachet de déaccession : British Museum sale duplicate 1787 -- Boies Penrose (1860-1921), célèbre homme politique américain (The celebrated library of Boies Penrose, Sotheby’s Londres, 1971) -- Eric Sexton (1902-1980), fameux collectionneur américain d’incunables (Christie’s New York, 8 avril 1981, n° 9, $9.500 sans les frais) -- Jean A. Bonna (ex-libris ; Paris, 26 avril 2017, n° 19)

Taches sur les marges intérieures

Le Dialogus creaturarum appartient au grand corpus ésopique. Les premières décennies de l’imprimerie lui offrirent une place de choix grâce à de superbes éditions illustrées. Le Dialogus en constitue le troisième pilier après les éditions des textes d’Ésope lui-même suivi par les Fables de Bidpaï traduites par Johannes de Capua. Les différentes éditions incunables ou les manuscrits considéraient le Dialogus comme une œuvre anonyme. Ce texte du XIVe siècle fut sans doute composé à Milan. On l’attribue tantôt à Nicolas de Bergame sur la base d’un manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale (MS. lat 8512) tantôt à un médecin également milanais nommé Mayno de Mayneriis (Magninus Mediolanensis) sur la foi d’un manuscrit conservé à Crémone.

"One of the most beautiful illustrated Dutch books. Dialogus creaturarum was several times reprinted and adorned with exquisite woodcuts which could be praised for its naivety or its cunning." (Landwehr, Fable Books, p. X)

Ce texte connut donc un immense succès. La première édition, en latin, fut imprimée en 1480 à Gouda par Gerard Leeu, dans sa ville natale. La destinée éditoriale du Dialogus demeure attaché à son nom (v. 1450-1492), tant à cause des différentes éditions qu’il en donna que par la réputation érudite de cet ami d’Érasme. L’édition originale de 1480, en latin, a depuis longtemps pris place au sommet du panthéon personnel des amateurs de livres. L’exemplaire Otto Schäfer, l’un des très rares proposés par le marché depuis près de cinquante ans, fut adjugé en 1995 $525.000 avec les frais au collectionneur Lloyd Cotsen. Il est aujourd’hui conservé à Princeton University dans la Cotsen Library. Le succès fut attesté par de nombreuses rééditions : d’abord l’édition en néerlandais (Gouda, Leeu, 6 juin 1481), puis celle de Cologne (24 octobre 1481), celle de Stockholm en 1483 fit de ce texte le premier livre imprimé en Suède, une édition parue à Lyon en 1483 ou encore à Genève en 1500. Gerard Leeu donna une autre édition à Gouda en 1482 puis s’installa à Anvers pour publier ce texte le 11 décembre 1486 et une dernière fois le 11 avril 1491.

Le succès indéniable de ce livre s’appuyait sur l’harmonie du rapport entre le texte et la magnifique illustration due au Premier Maître de Gouda dont les bois étaient réutilisés. Chaque chapitre commence par un apologue, suivi d’un commentaire et se termine par une sentence rimée.

“The delightful animism given to certain plants in the medieval herbals is encountered throughout one of the most disarming of early printed books, the “Dialoges of creatures” published by Gerard Leeu in the Netherlands. Here all nature – sun, moon and stars, stones, plants and animals – engages in the most cordial conversation. The book consists of a series of these moralistic dialogues between creatures such as that between the partridge and the rose tree. The partridge discovers that every rose has its thorn : “the rose be both swete and softe, but the thornis be sharpe and prykkyth me ofte” (Haslewood translation)” The Art of Botanical illustration, Sterling Memorial Library, Yale University, Library Gazette, oct. 1968

Quand on peut repérer leurs voyages, les exemplaires des différentes éditions de ce texte portent souvent la trace de la circulation intense qu’ils connurent. L’activité de Gerard Leeu était en effet tournée vers l’exportation. Ainsi, la longue recette manuscrite en langue anglaise du XVe siècle figurant sur la page de titre, et consacrée à une médication contre la peste, atteste de la présence précoce de cet exemplaire en Angleterre. Or, la production de Gerard Leeu est depuis longtemps apparue comme liée au marché anglais du livre et particulièrement à la figure de William Caxton. Cet exemplaire n’est pas le seul des productions de Gerard Leeu à révéler une provenance anglaise.

L. et W. Hellinga ont ainsi découvert que huit exemplaires de la troisième édition du Dialogus (31 août 1482) présentaient déjà une marque d’appropriation due à un lecteur anglais. Ils en ont conclu que “at least a substantial part of this edition was sold wholesale to England” (in “Caxton and the Low Countries”, Journal of the printing historical society, 11, 1976-77, p. 30). De même, l’exemplaire conservé à la British Library de cette édition in-4 de 1491 possède aussi une provenance anglaise.

“In his study of Antwerp printers and the English market, F. C. Avis estimates that of the sixty or so Antwerp presses in existence before 1540, between five or nine were engaged in the preparation of books for England, some in Latin, others in English. It is possible that Leeu’s editions of the Dialogus were imported by Caxton. Although there is no surviving evidence of a trading relation between them, the nature of their outputs suggests that they were competitors in the same market. Caxton’s Reynard is a translation from Leeu’s edition of 1479, and after Caxton’s death in 1491 Leeu moved quickly to supply English books (…) Leeu reprinted three of Caxton’s titles (The History of Jason, Paris and Vienne, and The Chronicles of England).” G. Kratzmann et E. Gee, The Dialoges of Creature Moralyzed, a critical edition, Leiden, 1988, p. 55.

Ce livre a été magnifiquement relié par Jean de Gonet. Certains amateurs rêvent de conserver un tel exemplaire en reliure de l’époque. C’est structurellement impossible tant l’étude de la condition des différents exemplaires connus révèle l’impossibilité pratique d’un tel souhait. Bien au contraire, la re-reliure a depuis longtemps cherché à préserver des livres et des exemplaires qui sinon auraient disparu.

Comme les incunables de chasse ou de cuisine, les exemplaires survivants des différentes éditions du Dialogus portent en effet la marque de l’usage. ISTC recense dix-huit exemplaires de cette édition de 1491. Parmi eux, trois sont aussitôt décrits comme incomplets. À ceux-ci, il convient d’ajouter les exemplaires de Cologne et de la Library of Congress (tous deux également incomplets). Sur les treize restants, quatre exemplaires ne peuvent être caractérisés ; les bibliothèques de Brême, Munster, Holkham Hall et Moscou étant demeurées silencieuses face à nos sollicitations. L’exemplaire de la British Library est en reliure moderne. Celui de la Bibliothèque royale de Bruxelles est en reliure du XIXe siècle restaurée au XXe siècle (nous remercions M. C. Sorgeloos). L’exemplaire de Cambridge University Library est en demi veau à coins du XIXe siècle comme celui de la Bibliothèque royale de La Haye (nous remercions Mme M. van Delft). Celui de la bibliothèque universitaire de Darmstadt est en cartonnage du XIXe siècle (nous remercions Mme Susan Kleine). Les trois plus beaux exemplaires conservés dans les collections publiques sont ceux de la Wellcome Library de Londres (en maroquin bleu nuit du début du XIXe siècle), celui de la Bibliothèque municipale de Versailles en veau brun du XVIIe siècle aux tranches marbrées, et, last but not least, celui de la Bibliothèque Mazarine : dans un recueil de six pièces incunables, exemplaire de Mazarin relié en parchemin souple du XVIIe siècle.

Le domaine privé lui-même s’est révélé avare. De cette édition de 1491, hormis celui-ci, seul un autre exemplaire a été présenté sur le marché depuis plus de quarante ans : l’exemplaire des marquis de Bute, relié en veau du XVIIIe siècle avec quelques menus défauts (Christie’s Londres, 15 mars 1995, n° 279, £56.000). Il fut alors acquis par Lloyd Cotsen et se trouve aujourd’hui conservé à Princeton, faisant bien de cet exemplaire relié par Jean de Gonet une attachante rareté.