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BORGES, Jorge Luis

Fervor de Buenos Aires. Poemas

Buenos Aires, Imprenta Serrantes, 1923

LE PREMIER LIVRE DE BORGES. TRÈS RARE ET PRÉCIEUX ENVOI À SON AMI ET PEINTRE PEDRO FIGARI

ÉDITION ORIGINALE

In-8 (175 x 135mm)
TIRAGE unique à 300 exemplaires
ENVOI (à l'encre brune, sur le faux-titre) :

Al gran don Pedro Figari, en cuyas telas tiene el campo leguas y leguas de profundidad. Jorge Luis Borges

BROCHÉ, tel que paru. Couverture illustrée d'une gravure sur bois de Norah Borges, soeur cadette de Jorge. Boîte
PROVENANCE : Pedro Figari (envoi) -- Alejandro Vera Alvares (ex-libris autographe sur la couverture)

Quelques piqûres

Dans son Essai d'autobiographie, Borgès rappelle les circonstances dans lesquelles fut publié ce premier livre :

"Il ne me vint jamais à l'esprit d'envoyer des exemplaires aux libraires ou aux critiques. J'en fis cadeau la plupart du temps. Je me souviens d'une de mes méthodes de distribution. Ayant remarqué que presque tous les visiteurs qui se rendaient dans les bureaux de Nosotros, l'une des plus vieilles et des plus sérieuses revues littéraires de ce temps, déposaient leur pardessus au vestiaire, je remis une cinquantaine ou une centaine d'exemplaires à Alfredo Bianchi, l'un des rédacteurs de cette revue. Bianchi me regarda avec et me dit : "Vous ne pensez tout de même pas que je vais vendre ces poèmes pour vous ! - Non, lui répondis-je. J'ai eu beau les écrire, je ne suis pas fou pour autant. J'ai pensé que je pourrais peut-être vous demander de glisser quelques exemplaires dans les poches de ces pardessus qui pendent là". C'est ce qu'il eut l'amabilité de faire. Quand je revins, après une absence d'un an, je sus que quelques-uns des propriétaires avaient lu mes poèmes et qu'un certain nombre d'entre eux avaient même écrit des articles à leur sujet. De fait, en agissant de cette façon, je m'étais acquis une petite réputation de poète".

Les quelques exemplaires que Borgès offrit le furent à des amis choisis :

"Jorge Luis Borges a toujours manifesté une secrète préférence pour Fervor de Buenos Aires, son premier recueil poétique, édité de manière artisanale et hâtive. Borges a maintes fois raconté les circonstances matérielles de la publication de cette oeuvre de jeunesse et de sa très discrète diffusion. Il aimait voir dans ces manières éditoriales assez confidentielles la marque de rapports personnalisés entre l'auteur et ses lecteurs et la pratique d'usages de bonne qualité. Plus tard lorsque les tirages de ses oeuvres connaîtront une singulière progression, il déplorera l'anonymat de l'échange et la disparition des rapports privilégiés de ce temps-là". (Oeuvres Complètes, I, p. 1257).

Pedro Figari (1861-1938) est considéré comme l’un des fondateurs de la peinture moderne en Amérique latine. Il naquit à Montevideo, quatorze ans après Isidore Ducasse, et un an après Jules Laforgue. Tous trois ont habité le même quartier de la capitale uruguayenne. Figari exerça d’abord le métier d’avocat, en plaidant notamment la cause de réformes sociales dans le domaine carcéral et dans celui de l’éducation. En parallèle à son activité professionnelle, il utilisait des pseudonymes pour cacher, à la société de l'époque, ses penchants artistiques. En 1921, il vendit aux enchères sa collection d'oeuvres d'art (et quatre de ses peintures), quitta l’Uruguay pour l’Argentine et se consacra entièrement à son art et à l’enseignement des Beaux-Arts (il fonda une école grande de vingt ateliers). A Buenos Aires, ses amis et défenseurs étaient Jorge Luis Borges, le peintre Emilio Pettoruti, le sculpteur Pablo Curatella Manes et le poète Oliverio Girondo, qui venaient de l'ultraïsme, du cubisme et du futurisme. Ensemble avec Figari, ils fondèrent la revue d'avant-garde Martin Fierro (1924-1927), qui traitait, sous des aspects différents et contradictoires, des rapports entre l'avant-garde et l'identité culturelle. Cette revue prônait un retour salutaire aux sources créoles et à la terre argentine tout en étant tournée vers l'avant-garde européenne. Une actualisation permanente permettait au groupe d'agir en concordance avec les artistes parisiens. Martin Fierro reproduisait des peintures de Van Dongen, Chagall, Gauguin, le Douanier Rousseau, Dali, Max Ernst et Picasso. Pedro Figari participa à de nombreux numéros de la revue. La première exposition de ses tableaux eut lieu à Buenos Aires en 1921, puis, régulièrement, en 1923, 1924 et 1925. Borges, dans le même temps publiait son premier recueil de poèmes, Fervor de Buenos Aires (1923) célébrant l’effervescence artistique traversant la capitale argentine. En 1928, il prononçait un Hommage à Pedro Figari, "le peintre de l'autre rive" :

"Figari est la tentation à l'état pur du souvenir. Ces images créoles immémoriales, le maté partagé dans l'amitié, l'acajou qui en un perpétuel foyer de fraîcheur semble s'embraser, la délicate porte de fer forgé, le patio, la bourrasque de vent du sud qui abandonne sous la porte cochère une fleur de chardon sont aujourd'hui des reliques familières. Ce sont des choses du souvenir, même si elles persistent, et nous savons bien que la forme du souvenir est lyrique. L'oeuvre de Figari est lyrique. Que les yeux se réjouissent maintenant et qu'ils regardent avec délectation. Je demande des applaudissements de silencieuse ferveur pour Pedro Figari présent dans des récompenses de lumière."

En 1925, Pedro Figari partit vivre pour dix ans à Paris, précédé par le succès de son exposition à la galerie Druet, en 1923, organisée par son compatriote Jules Supervielle. Une seconde exposition, en octobre 1925, organisée par le même Supervielle au même endroit eut probablement une forte influence sur Henri Michaux, Figari jouant, pour le poète d’Ecuador, un rôle de "médiateur souterrain, de passeur" (Jean-Pierre Martin, Henri Michaux, p. 149). Dès 1926, le critique et écrivain Jean Cassou avait reconnu le talent de Pedro Figari :

"le génie montévidéen, qui sera sans doute le plus délicat de l'Amérique future et celui qui choisira avec le goût le plus sûr les éléments qui le composeront, s’est exprimé en Figari. Déjà nous avons la notion et le pressentiment d’un art d’une subtilité et d’une franchise insurpassables, de quelque-chose de frémissant, de gai et de vivant, toujours égal à soi-même, assuré, clair et comme divin. Contre un tel plaisir de créer, l’ennui pourra user ses flèches empoisonnées. Pour nous, il ne faudra pas oublier que Figari, un des premiers, nous aura apporté la bonne nouvelle, et presque la légende de ces neuves harmonies" ("L’Art de Pedro Figari", in Revue de l’Amérique latine, mars 1926, p. 260).

En France, Pedro Figari continua à peindre, écrivit des poèmes, des nouvelles et des pièces de théâtre. Puis il fut nommé ambassadeur à Londres en même temps qu’il connut une renommée internationale. Il exposa dans plusieurs villes d'Europe et d'Amérique, reçut des prix et retourna à Montevideo où il assuma la charge de conseiller artistique au ministère de l'Instruction publique. En 1938, il réalisa sa dernière exposition avec "Los Amigos del arte", société culturelle de Buenos Aires qu'il avait fondée en 1924. Il mourut quelques jours après son retour à Montevideo. Ses tableaux sont aujourd'hui parmi les plus cotés des peintres sud américains.

BIBLIOGRAPHIE : 

catalogue de l'exposition Pedro Figari, Paris, Pavillon des Arts, mars-mai 1992, rédigé par Nelson Di Maggio -- Jorge Luis Borges, Œuvres Complètes, Paris, Gallimard, 2010, I, p. 1257, II, p. 1003 (Hommage à Pedro Figari)