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La Mort de Venise
UNE PIÈCE UNIQUE : RARE ET MONUMENTALE RELIURE ENTIÈREMENT RECOUVERTE D’UN LAQUE D’ÉDOUARD DEGAINE, CONTINU SUR LES PLATS ET SUR LE DOS.
EXEMPLAIRE ENRICHI D’UNE SUITE SUPPLÉMENTAIRE DES EAUX-FORTES ET DE DEUX AQUARELLES ORIGINALES DE HENRY DE WAROQUIER
Première édition illustrée. Texte imprimé en rouge et noir
In-folio (354 x 279mm).
TIRAGE à 160 exemplaires sur papier vélin de Vidalon, celui-ci numéroté 83, “imprimé pour Monsieur Robert Zunz”
ILLUSTRATION : 28 eaux-fortes originales de Henry de Waroquier
ILLUSTRATION AJOUTÉE : suite des 28 eaux-fortes originales de Henry de Waroquier imprimée sur vélin d’Arches crème. Cette suite a été imprimée à vingt-cinq exemplaires
ILLUSTRATION ORIGINALE AJOUTÉE : deux aquarelles originales signées de Henry de Waroquier placées en frontispice (141 x 115mm et 270 x 210mm)
RELIURE DE L’ÉPOQUE SIGNÉE SUR LA SECONDE DOUBLURE PAR BERNASCONI ET GOIX, ET ENTIÈREMENT RECOUVERTE D’UN LAQUE DE DEGAINE, SIGNÉ ET DATÉ DE 1939. Laque à décor d’inspiration aquatique, fond en nuances grises, vertes et brunes, surmonté de coraux, étoiles et plantes sous-marines en relief, de couleurs rouges, oranges, vertes ou dorées, dos à la bradel orné du même décor, doublure de feutrine beige ornée d’un laque représentant une tête khmère, rehauts d’éclats de nacre sur les gardes de tissu grège, secondes gardes de feutrine violette à la couleur en partie estompée, tranches dorées.
PROVENANCE : Robert Zunz (1880-1944), banquier, député des Côtes-du-Nord, mécène de Max Jacob et bibliophile, l’un des premiers commanditaires de Louise-Denise Germain et ici d’Édouard Degaine. La seconde doublure de tissu porte l’inscription suivante imprimée en lettres rouges : “la reliure de ce livre, décidée par Robert Zunz, a été faite à Paris, de mars 1938 à janvier 1939, par Édouard Degaine, peintre, Bernasconi et Goix, relieurs. G. Courville, éditeur”. Chemise à rabats d’origine réalisée pour le livre par le gainier Dufour, 99 rue du Faubourg du Temple
La Mort de Venise de Maurice Barrès (1862-1923) parut pour la première fois en 1902 dans le recueil Amori et dolori sacrum. Plus de dix ans après la mort de Barrès, sortit une édition illustrée de son texte par le peintre et graveur Henry de Waroquier. Ce travail, débuté en 1931, dura cinq années. Henry de Waroquier (1881-1970) s’était doté d’une solide formation artistique, à rebours des conventions de son époque, dédaignant l’École des Beaux-Arts au profit des Arts Décoratifs, plus ouverts à la nouveauté. Il forma son goût auprès des galeries Vollard et Durand-Ruel qui exposaient les œuvres de Matisse et Picasso. Dès 1898, âgé de dix-sept ans, il s’installe dans un atelier à Montparnasse, peint aux côtés de Modigliani et commence à forger son style personnel. À vingt-quatre ans, il devient professeur de composition décorative à l’École Estienne, et commence à voyager sur les pourtours de la Méditerranée et les côtes bretonnes.
Édouard Degaine (1887-1967) est un peintre et laqueur, né à Gentioux dans la Creuse, à quelques kilomètres au sud d’Aubusson. Il se forme aux Arts Décoratifs, de 1902 à 1905, et passe rapidement maître dans l'art du dessin, à la fois dans le trait (graphite, fusain, gravures) et la couleur (pastel, aquarelle et lavis). Il s’initie à la même époque aux techniques du laque et du vernis. En 1910, Édouard Degaine s'intéresse au renouveau de la tapisserie d'Aubusson. Pendant la Grande Guerre, il dessine des cartons de tapisserie pour l’atelier Pierre Andraud, à Aubusson. Au sortir de la guerre, il crée ses premiers panneaux de laque destinés au mobilier - paravents, commodes, bibliothèques et tables -, inspirés par l’Extrême-Orient. Le couturier et collectionneur Jacques Doucet lui passe une première commande dont une tête d’homme khmer. On remarque qu’une tête khmère orne justement la doublure de cette reliure sur La Mort de Venise. On sait qu’Édouard Degaine quelques reliures laquées avec Pierre Legrain (1889-1929). Mais on ne connaît aujourd’hui que celles qu’ils réalisèrent sur un exemplaire des Histoires naturelles de Jules Renard illustré par Henri de Toulouse-Lautrec (ayant successivement appartenu à Pierre Berès et à Marc Litzler).
L’atelier de Legrain, où travaille occasionnellement Édouard Degaine, est installé, jusqu’en 1925, dans une pièce à part de la galerie d’Adrien Robert et Théophile Briant. La petite galerie est très en vue : y passent des tableaux de Derain, Sigrist, Coubine, Pascin, Bonnard, Signac, Vlaminck. Le livre n’est pas absent de cette galerie. Une exposition Cocteau a lieu en juin 1925 ; des éditions de luxe y sont présentées comme La Loi d'Accommodation chez les Borgnes (1928), écrit et illustré par Francis Picabia. Les galeristes éditent, en 1925, un portfolio Divertissements (1925) rassemblant vingt dessins d’Édouard Degaine dans une chemise dessinée par Legrain. La même année, Jacques Doucet leur commande un meuble d’appui, aujourd’hui conservé au musée des Arts décoratifs. Édouard Degaine dessine les laques aux oiseaux qui encadrent la serrure (visible sur http://aestheticusrex.blogspot.com/2011/04/jacques-doucets-studio-st-james-at.html). Il s’était fait une spécialité des laques et avait aussi réalisé un célèbre “panneau aux aigles” de laque brune et or que Jacques Doucet avait acquis en 1919 (vendu par Sotheby’s à Monaco en 1991).
Robert Zunz (1880-1944) fut l’un des grands mécènes de l’Art Déco. On connaît par d’autres livres lui ayant appartenu son habitude de porter un regard sur les reliures qu’il faisait exécuter, comme par exemple pour Au temps de Jésus-Christ illustré par Josef Sima et orné par lui de gardes peintes. Le rôle de Robert Zunz dans l’accompagnement du travail de Louise-Denise Germain a été récemment souligné par une exposition à la BnF. Ainsi Fabienne Le Bars écrit-elle :
“Robert Zunz (1880-1944) fut le témoin privilégié de la naissance de la vocation de L.-D. Germain, lui qui dut un temps s’employer chez le maroquinier Arthur Lévy (1847-1931). C’est là en effet qu’il fit vers 1902 la connaissance de L.-D. Germain qui y travaillait aussi. Leur amitié ne se démentit jamais et Robert Zunz devint également l’un de ses clients” (F. Le Bars, op. cit., pp. 10-11).
L’exposition de la BnF consacrée à Louise-Denise Germain présentait, dans une section à part, six reliures réalisées pour Robert Zunz, l’un des premiers commanditaires de l’artiste avec Gabriel Thomas et Louis Barthou.
On sait, par sources d’archives, que Jacques Doucet imposa Degaine à Pierre Legrain. Dans ce livre, l’intervention du commanditaire est soulignée par ce que l’on pourrait appeler le colophon de la reliure : “la reliure de ce livre, décidée par Robert Zunz, a été faite à Paris, de mars 1938 à janvier 1939, par Édouard Degaine, peintre, Bernasconi et Goix, relieurs. G. Courville, éditeur”. L’usage d’un tel colophon montre éloquemment ce que devait à un mécène engagé une expérimentation artistique rare dans l’histoire de la reliure. Cette création originale d’un véritable objet d’art rappelle aussi l’existence de ruptures formelles et expérimentales dans l’histoire d’un art - la reliure - que l’on considère trop souvent comme linéaire : Pierre Legrain précède Paul Bonet qui précède Jean de Gonet, etc.
Fabienne Le Bars, Bibliothèques de bibliophiles. Louise-Denise Germain (1870-1936). Reliures. Cat. Expo, Paris, BnF, 2017 -- Élie Chich, Édouard Degaine, Mémoire de Master I, Université d’Aix en Provence, 2016