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CHAMPFLEURY, Jules Félix François HUSSON, dit FLEURY, dit,

Œuvres illustrées. - Les Aventures de Mademoiselle Mariette avec quatre eaux-fortes dessinées et gravées par Morin

Paris, Poulet-Malassis et de Broise, 1862

BAUDELAIRE, ASSELINEAU ET LEURS AMIS : LES EXPLOITS DE “LA GÉNÉRATION DE 1820” (C. PICHOIS) RACONTÉS PAR CHAMPFLEURY DANS UN ROMAN À CLÉ.

EXEMPLAIRE PERSONNEL DE POULET-MALASSIS RELIÉ POUR LUI PAR LORTIC.

IL PASSA PAR LA SUITE DANS LA PRESTIGIEUSE COLLECTION BAUDELAIRIENNE D’ALPHONSE PARRAN (QUI POSSÉDA LES ÉPREUVES CORRIGÉES DES FLEURS DU MAL AUJOURD’HUI À LA BNF), PUIS CHEZ RONALD DAVIS ET BERNARD MALLE

PREMIÈRE ÉDITION ILLUSTRÉE


In-12 (193 x 120mm). Cette édition “a paru en octobre 1861 mais presque tous les exemplaires portent sur le titre et la couverture la date de 1862” (G. Oberlé, op. cit. infra., n° 312). Marque typographique sur la page de titre

COLLATION : 

π2 1-1212 134

ILLUSTRATION : frontispice et 3 planches dessinés et gravés à l’eau-forte par Edmond Morin (1824-1882), et tirés sur chine

ANNOTATION : MANUSCRITE autographe d’Auguste Poulet-Malassis, signée de son monogramme, à l’encre noire :

“Charles Baudelaire avait commencé, pour un homme de lettres de ses amis chargé d’une correspondance dans un journal anglais, une Clef des Avantures de Mademoiselle Mariette qu’il n’acheva pas. Elle s’arrête à son propre nom dans l’autographe que nous copions :

15 mars 1853

Mon cher ami, avant hier dimanche, j’ai remis aussitôt après vous avoir quitté, non pas à [Charles] Barbara lui-même, mais à un homme en uniforme qui sert de concierge à l’hôpital, l’argent dont je m’étais chargé. Quant à ce que je vous envoie aujourd’hui, vous ne vous en servirez peut-être pas, peut-être croirez-vous utile de le modifier ; moi, j’ai cru bon de faire une note un peu longue ; - parce que les lecteurs anglais ne connaissent pas le petit monde en question :

Nous devons à l’obligeance d’une des personnes qui ont vécu dans l’intimité du monde décrit par M. Champfleury dans l’Histoire de Mademoiselle Mariette, et par M. Henri Murger dans les Scènes de la vie de Bohème, une clef de l’ouvrage que nous offrons aujourd’hui au public. Nous présumons, que pour nos lecteurs comme pour nous, l’extrême liberté - l’impartialité qui a évidemment présidé à la fabrication de cette clef suffiront à prouver qu’elle est vraie.

Gérard - Champfleury est l’auteur du présent volume et de Chien-Caillou (…) De plusieurs pantomimes et de divers articles d’art ; un des principaux adeptes de l’École dite Réaliste, qui prétend substituer l’étude de la nature et l’étude de soi-même à la folie classique et à la folie romantique.

Streich. - Henry Murger, auteur des Scènes de la vie de Bohème (…) Un des romanciers de la Revue des Deux Mondes.

De Villers - Théodore de Banville, le seul écrivain réellement mal traité dans le présent volume, et quoi qu’on en dise l’auteur, le poète le plus habile de la jeune école nouvelle, à ce point qu’il a réduit l’art de la poésie à de purs procédés mécaniques, et qu’il peut enseigner à devenir poète en vingt-cinq leçons ; - inventeur du style de marbre, auteur de les Cariatides, - les Stalactites.

Giraud. - Pierre Dupont, antithèse du précédent, poëte populaire, chansonnier infatigable, a eu la chance de flairer la Révolution de Février, et d’unir à sa réputation de poëte bucolique l’ascendant du poëte révolutionnaire. Ses œuvres sont actuellement nombreuses. Il compose lui-même la musique de ses chansons.

Thomas. François Bonvin, excellent peintre, esprit raisonnable et positif, sectaire de l’école réaliste, aime surtout représenter la vie de famille et les ustensiles de ménage.

Le poëte des Chats. - Charles Baudelaire, un des grands amis de l’auteur, ainsi que Pierre Dupont et François

Reliqua desunt [le reste manque]

Pour copie conforme

L’original de cette lettre fragmentaire se trouve à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet. Elle est publiée dans la Correspondance (I, pp. 208-209)


PIÈCE JOINTE : 

PIÈCES JOINTES :

1. LA CLÉ DE MARIETTE INSÉRÉE ICI PAR POULET-MALASSIS LUI-MÊME : L.A.S. de Chamfleury à A. Poulet-Malassis, 2 pp. in-12, encre brune, 20 juillet 1863, suscription et enveloppe : “Conservateur de vieux papiers, Vous faites bien mieux de me retourner la note (…) C’est ma légèreté (…) que de n’avoir donné la clef de Mlle Mariette. Il y a des portraits certainement, mais tous ne sont pas par portraits et quoique rien ne se forme de revenir sur ce qui semble écrit, je verrais avec peine Banville représenté par Villers. Gamineries, légèretés, remplissage de livres et le portrait de Champin que vous réclamez n’existe pas déjà dans la 2e édition. Tachez de venir, comme demain à Montmartre l’après-midi. Piozey me soigne d’une angine ou de je ne sais quelle maladie bilieuse qui m’a fait beaucoup de mal… [suit la clé] : Gérard - Champfleury. Streich - Murger. De Villers - Banville. Giraud - Dupont. Thomas - Bonvin. Poète des Chats - Baudelaire (…) Chien-Caillou - Bresdin…

2. Note autographe d’Alphonse Parran, encre noire, 1 p. in-12 ; “Œuvres illustrées de Champfleury (…) Exemplaire de Poulet-Malassis acheté à sa vente 59 frs sans les frais. Cet exemplaire est curieux par une lettre autog. de Champfleury qui y a été ajoutée par Poulet-Malassis, et qui contient la clé des personnages de Mademoiselle Mariette, presque tous devenus des artistes ou des écrivains célèbres : Bonvin, Gérome, Murger, Banville, Baudelaire, Dupont etc. (…) Rose n’est autre Mimi de la vie de Bohême


RELIURE DE L’ÉPOQUE SIGNÉE DE LORTIC en queue du dos. Dos de maroquin grenat, tête dorée, non rogné

PROVENANCE : 

Auguste Poulet-Malassis (ex-libris ; sa vente, n° 120, 64.90 frs.) -- Alphonse Parran (1826-1903 ; Catalogue de livres modernes et quelques livres anciens provenant de la bibliothèque de feu M. Parran, Paris, 22-26 nov. 1921, n° 176 pour 280 frs.) -- Ronald Davis (acquis à cette vente par lui ; fameux libraire, conseiller d’Alexandrine de Rothschild. Valéry lui fit présent d’une Jeune Parque avec cet envoi : “À Ronald Davis qui vend le pire et garde le meilleur pour soi’” -- Bernard Malle (cachet et fiche manuscrite)


Baudelaire, Asselineau et Champfleury font partie de cette “génération de 1820” (C. Pichois, Poulet-Malassis, p. 96) dont Malassis publie ici les exploits romanesques racontés par ce même Champfleury. Les Aventures de Mademoiselle Mariette est un roman à clé, originellement publié en 1853, qui raconte les frasques de cette génération d’artistes. Comme l’écrivait Claude Pichois, il est “aussi représentatif de la vie de Bohème que le roman de Murger” (C. Pichois, Baudelaire. Correspondance, I, p. 819). Baudelaire avait rencontré Poulet-Malassis en 1850. Le poète le surnommait affectueusement le “Coco mal-perché”. Le moment de cette rencontre est attesté par une lettre de Malassis à Champfleury écrite après la mort du poète : “j’ai vu Baudelaire pour la première fois, en votre compagnie, chez Perrin, rue du Petit-Lion Saint Sulpice, en 1850”. Baudelaire et Champfleury se connaissent, quant à eux, depuis le tout début des années 1840. Plus tard, le romancier se souviendra de leurs premières rencontres ; il avait trouvé le poète “d’une bizarrerie caractéristique”, comme lorsqu’il se teignait les cheveux en vert.

Du point de vue de l’histoire des Fleurs du mal, ce roman de Champfleury présente l’intérêt majeur de marquer une étape dans les premières lectures de l’un des plus fameux poèmes de Baudelaire : Les Chats. Il se retrouve ici aux pp. 232-233 : “Les amoureux fervents et les savants austères”… C’est en effet l’un des poèmes de Baudelaire “le plus reproduit de son vivant” (C. Pichois, Œuvres complètes, I, p. 950). Le 14 novembre 1847, Champfleury, romancier réaliste, avait mis au jour pour la première fois ce célèbre sonnet dans un roman fantaisiste intitulé Le Chat Trott publié en feuilleton dans la revue de Lepoitevin titrée Le Corsaire-Satan. Autour de cette revue gravitait le monde de la Bohème et les futurs personnages de Mademoiselle Mariette, dont Baudelaire. Les Chats fut donc repris dans l’édition originale du roman en 1853, puis dans trois autres éditions et enfin, pour la quatrième fois, dans cette première édition illustrée par Edmond Morin et due à Auguste Poulet-Malassis. Ce début des années 1850 est marqué pour Baudelaire par l’emprise exercée sur lui par le souci du réalisme littéraire et pictural dont Champfleury, Duranty et Courbet sont les champions.

“Rappelons que, de 1848 à 1852, Baudelaire et Champfleury ne se quittaient pas d’une semelle. Durant ces années, ils ont mis à profit les “douze à quinze heures par jour qu’ils passaient ensemble pour se lancer dans les aventures journalistiques du Salut public, de La Semaine théâtrale et du Hibou philosophe (…) Les preuves de la proximité de l’auteur des Fleurs du mal avec les réalistes sont donc incontestables. En 1857, elles sont pourtant caduques. Voilà, en effet, au moins deux ans que Baudelaire s’est détaché de Champfleury et de sa troupe. Dans l’ébauche d’un article jamais publié [nous : Puisque réalisme il y a], il récuse le réalisme, “une blague” inventée par Champfleury, “un mot d’ordre, ou de passe, pour offenser le mot de ralliement : Romantisme” (…) Refusant de s’enrôler sous le drapeau du réalisme, Baudelaire prévient dédaigneusement “le parti” qu’il serait un “triste cadeau”, car il manque totalement “de conviction, d’obéissance et de bêtise”. Aux mots d’ordre militants, il oppose cette pure profession de foi idéaliste : “La Poésie est ce qu’il y a de plus réel, c’est ce qui n’est complètement vrai que dans un autre monde” (M.-C. Natta, cf. infra)

Le texte de la lettre de Baudelaire à Champfleury, datée de 1853 et recopiée dans le présent exemplaire par Malassis, évoque cette allégeance lorsque le poète donne la clé du personnage de “Gérard-Champfleury : un des principaux adeptes de l’École dite Réaliste, qui prétend substituer l’étude de la nature et l’étude de soi-même à la folie classique et à la folie romantique” (cf. supra). Baudelaire retournera à la folie romantique, rejetant le réalisme, pour entrer dans le monde poétique des Fleurs du Mal. Ironie du sort, l’accusation de réalisme sera l’angle d’attaque de ses opposants lors du procès de 1857.

De cette subtile évolution intellectuelle du poète, Auguste Poulet-Malassis a voulu garder trace en faisant relier son exemplaire par Lortic : son propre relieur, celui de Baudelaire, Banville et Asselineau. La profonde qualité littéraire de cet exemplaire sut séduire quatre des plus grandes collections baudelairiennes du passé : celles d’Auguste Poulet-Malassis, d’Alphonse Parran, de Ronald Davis et de Bernard Malle.

BIBLIOGRAPHIE : 

ce livre ne figure pas au Répertoire des Biens spoliés -- G. Vicaire, Manuel de l’amateur de livres du XIXe siècle, t. II, col. 182 (exemplaire cité) -- J.-J. Launay, “Liste des publications de Poulet-Malassis”, Bulletin du Bibliophile, 1981, n° 178, note 180, sur cet exemplaire -- G. Oberlé, Auguste Poulet-Malassis. Un imprimeur sur le Parnasse… 1996, n° 312 -- Marie-Christine Natta, Baudelaire, Paris, 2017, pp. 497-498

WEBOGRAPHIE : 

Andrea Schellino, “Lettres de Champfleury à Auguste Poulet-Malassis, à Madame Poulet-Malassis et à Eugène de Broise (Première partie)”, Revue italienne d’études françaises : https://journals.openedition.org/rief/2487 ?lang=it -- sur Alphonse Parran : http://histoire-bibliophilie.blogspot.com/2018/06/la-collection-alphonse-parran-1826-1903.html -- sur Ronald Davis : Roger E. Stoddard, “A Ronald Davis qui vend le pire et Garde le meilleur pour soi”, Gazette of the Grolier club, 43 (1991), p. 25-48 et https://www.metmuseum.org/art/libraries-and-research-centers/leonard-lauder-research-center/research/index-of-cubist-art-collectors/davis