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JARRY, Alfred

Gestes et Opinions du Docteur Faustroll, pataphysicien

[Paris, Le Phalanstère], [1898]

MANUSCRIT AUTOGRAPHE COMPLET D’UNE DES ŒUVRES LES PLUS IMPORTANTES D’ALFRED JARRY : AU CŒUR DE LA PATAPHYSIQUE.

CE MANUSCRIT FUT EN PARTIE RÉDIGÉ AU DOS DE GRANDES LITHOGRAPHIES D’ALFRED JARRY COUPÉES EN DEUX OU QUATRE : DEUX DE CES LITHOGRAPHIES NE SEMBLENT AUJOURD’HUI UNIQUEMENT CONNUES QUE PAR CE MANUSCRIT.

LE MANUSCRIT APPARTINT À LOUIS LORMEL, AMI DE LA PREMIÈRE HEURE D’ALFRED JARRY ET PASSEUR DE L’AVANT-GARDE

MANUSCRIT AUTOGRAPHE, TROIS FOIS SIGNÉ, une fois en lettres capitales dans la maquette de la page de titre et deux fois à la fin du texte

In-8 (201 x 154mm – sans compter les onglets)
COLLATION : 211 pages autographes sur 206 feuillets, paginées 1-218 (avec quelques pages ayant une double numérotation), à l’encre noire, par Alfred Jarry. Seconde numérotation au crayon bleu par l’imprimeur correspondant aux pages choisies par le Mercure de France
ILLUSTRATION : lithographies d’Alfred Jarry découpées en deux ou quatre, formant 36 fragments au verso desquels Jarry a rédigé le manuscrit. Le détail des fragments est le suivant :
- planche 47 (numérotation du catalogue raisonné de 1968) : dix-sept fragments : premier quartier quatre fragments, deuxième quartier cinq fragments, troisième quartier cinq fragments, quatrième quartier trois fragments : soit trois lithographies complètes (300 x 220mm environ, après assemblage des fragments) et cinq fragments
- planche 49 : huit fragments : soit une lithographie complète (275 x 185mm environ, après assemblage des fragments) et quatre fragments
- planche 54 : onze fragments : soit une lithographie complète (il manque quelques centimètres pour que les quartiers soient complets) et sept fragments
RELIURE DE L’ÉPOQUE, probablement réalisée pour Victor Lemasle. Dos de chagrin noir, à nerfs, plats de papier marbré
PROVENANCE : Victor Lemasle (1876-1932, marchand d’autographes et éditeur, notamment du dernier livre d’Alfred Jarry, Albert Samain (Souvenirs), en 1907. Il vendit certains des manuscrits de Jarry qu’il possédait à :) -- Louis Libaude, pseud. Louis Lormel (1869-1922), marchand de tableaux – par descendance, collection particulière

La quarantaine de fragments aujourd’hui connus de manuscrits d’œuvres d’Alfred Jarry sont répartis entre quatre institutions : la Bibliothèque nationale de France, la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, la Bibliothèque municipale de Laval, le Harry Ransom Center (Austin, Texas). La grande majorité de ces documents sont des feuillets épars, des articles, des projets d’Alfred Jarry longs de quelques feuillets seulement. Les manuscrits complets d’Alfred Jarry sont très rares en mains privées. Paul Fort affirme qu’Alfred Jarry brûla le manuscrit d’Ubu roi devant lui après l’avoir publié dans sa revue. Seules trois pages d’une “Addition à la scène finale” d’Ubu sont conservées à la Bibliothèque municipale de Laval. Aujourd’hui, on ne connaît donc pas de manuscrit d’Ubu roi.

Le manuscrit

Ce manuscrit des Gestes et opinions du Docteur Faustroll ouvrait (n° 1) le catalogue de la grande "Expojarrysition" (1953). Il est désigné par le nom de son premier possesseur, “manuscrit [Louis] Lormel” : “Premier manuscrit des Gestes et opinions du Docteur Faustroll, Pataphysicien”.

Un second manuscrit des Gestes et opinions du Docteur Faustroll était présenté dans la même exposition (n° 2). Il appartenait à Tristan Tzara et fut préempté par la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet (cote TZR Sup 5, 83 feuillets) lors de sa vente (Paris, 4 mars 1989, n° 243). Il est nommé “manuscrit Fasquelle” d’après son premier éditeur - en ce qu’il servit principalement à l’édition de 1911. Parmi les variantes notables entre les deux manuscrits Lormel et Fasquelle, notons que quatre feuillets manquent au manuscrit Fasquelle (dont la page de titre), et que des pages imprimées – tirées des extraits publiés par le Mercure de France en mai 1898 - comblent d’autres pages manquantes dans ce même manuscrit Fasquelle.

Au printemps 1898, Alfred Vallette, Rachilde et Alfred Jarry louent, avec quelques-uns de leurs amis, une maison à Corbeil, sur les bords de Seine. Jarry la baptise “le Phalanstère”. Jarry compose le manuscrit des Gestes et opinions du Docteur Faustroll qu’il compte remettre à son éditeur comme il l’annonce à Vallette : “notre Faustroll que nous venons de recopier”. Il ne fait aucun doute que ce manuscrit est celui-ci (le manuscrit Lormel). Jarry imite la mise en page du Mercure. Les quatre premières pages du manuscrit sont : “Du même auteur”, un faux-titre, une justification et une page de titre. À la fin se trouve une table des matières. Chaque feuillet est folioté de la main de Jarry : “L’œuvre était terminée en 1898 mais une partie seulement parut dans la revue du Mercure de France (chapitres VI et X à XXV). Par la suite, Jarry mit en réserve son “roman néo-scientifique”… Les chapitres parus dans le Mercure en mai 1898 ont été imprimés d’après ce manuscrit, et ces passages ont été à nouveau foliotés au crayon bleu et portent des marques typographiques” (catalogue de l’“Expojarrysition”). Le crayon bleu de l’imprimeur double en effet la foliotation de Jarry.

Stéphane Mallarmé écrivit aussitôt son enthousiasme à Jarry après sa lecture des chapitres de Faustroll dans le Mercure :

“Je ne me suis jamais, moi, sur un décor de plus significative beauté, levé du fauteuil basculant que, cette fois, pour vous presser la main” (lettre du 16 mai 1898)

Ces pages de Faustroll sont les dernières que Mallarmé put lire de Jarry puisqu’il mourut quelques mois plus tard, en septembre, dans sa petite maison de Valvins, à quelques encablures du Phalanstère, en amont sur la Seine.

Le grand livre de Jarry ne parut en entier et en volume qu’en 1911, quatre ans après sa mort, chez Fasquelle, successeur des éditions de La Revue blanche. La raison pour laquelle Jarry ne publia pas son livre se trouve en partie révélée par une note qu’il ajouta après le mot “fin” de son manuscrit et contresigna de ses initiales : “Ce livre ne sera publié intégralement que quand l’auteur aura acquis assez d’expérience pour en savourer toutes les beautés. A. J.”. D’autres raisons freinèrent les éditeurs. Le Docteur Faustroll “est sans doute le texte de Jarry le plus déconcertant, par la complexité et l’apparente incohérence de sa structure” (Alain Chevrier). Il n’en constitue pas moins la clé de voûte de l’œuvre de Jarry. Un célèbre chapitre du livre définit ce qu’est la pataphysique : “La pataphysique est la science des solutions imaginaires” (p. 43 du manuscrit, souligné)

Le catalogue de l’"Expojarrysition" signale la provenance de ce “document incomparable” : “C’est la fille même de Louis Lormel (pseudonyme de Louis Libaude), Madame Mareuse-Libaude, qui… a bien voulu… apporter ce document incomparable joint aux manuscrits Les Jours et les Nuits et L’Amour absolu qui constituent à eux trois le couronnement de l’exposition”. Ces trois manuscrits sont reliés à l’identique.

Les lithographies

Trente-six feuillets de ce manuscrit de Faustroll correspondent aux fragments de trois grandes lithographies coupées en quatre, au verso desquels Alfred Jarry a rédigé son texte. Une seule de ces trois lithographies était connue jusqu’à la redécouverte de ce manuscrit lors de l’ “Expojarrysition” en 1953 : “Un grand nombre de feuillets sont des lithographies coupées en quatre dont Jarry a utilisé le verso. On y retrouve la lithographie dite Ubu au voiturin à Phynances, mais aussi d’autres qui nous étaient jusqu’à présent inconnues”. Les deux lithographies “jusqu’à présent inconnues” furent immédiatement décrites dans deux numéros des Cahiers du Collège de ‘Pataphysique (n° 10, 6 avril 1953 et n° 11, 11 juin 1953) puis dans le catalogue raisonné des Peintures, gravures et dessins de Alfred Jarry (1968) :

“Planche 47. Lithographie reconstituée avec des versos du manuscrit Lormel des Gestes et Opinions du Docteur Faustroll, pataphysicien (volume relié). Jarry avait recopié le texte du roman sur des morceaux de grandes lithographies coupées en quatre. Certaines avaient été publiées, par exemple celle d’Ubu au Voiturin à phynances (planche 54). Deux autres – celle-ci et celle de la pl. 49 – étaient inconnues. Pour les reconstituer, un habile opérateur photographia les fragments, tous rigoureusement à la même échelle ce qui permit de les assembler”.

“Planche 49. Lithographie reconstituée à partir de deux morceaux trouvés au verso des pages du manuscrit Lormel de Faustroll”.

Quant à la troisième lithographie, auparavant connue, elle correspond à l’affiche de représentation d’Ubu roi, le 10 décembre 1896 au Théâtre de l’Œuvre, et constitue un premier état de la gravure :

“Planche 54. Lithographie de 24x32 cm, publiée sous forme d’affiche pour la représentation d’Ubu Roi… Il existe trois états de cette lithographie. Celui de la pl. 54, avec des inscriptions tirées de la pièce. C’est ce premier état qui constituait l’affiche de la représentation” (ibid.)

Le catalogue raisonné des Peintures, gravures et dessins de Alfred Jarry (1968) recense quatre-vingt-deux “images” aujourd’hui connues créées par Alfred Jarry - allant du gribouillage de collégien à des gravures parfaitement achevées - comme c’est le cas ici. Apollinaire, le premier, a signalé l’importance des dessins et gravures d’Alfred Jarry - en tant que part entière de son œuvre :

“C’est dans ses dessins et ses bois gravés que le dernier grand poète burlesque avait su donner la mesure de son instinct artistique. Il avait le don de l’expression qui manque à tant de gens qui sont de la partie. Quelques-unes de ses planches gravées ont un caractère de singularité presque cabalistique” (1914).

Ce manuscrit Lormel de Faustroll - en plus de son importance strictement littéraire - comprend donc plusieurs fragments provenant de trois différentes lithographies originales d’Alfred Jarry dont deux sont aujourd’hui uniquement connues grâce à la réutilisation de leur verso, ici, par Jarry.

Louis Lormel

Louis Lormel, pseudonyme de Louis-Charles Libaude (1869-1922), joua un rôle essentiel dans la formation d’Alfred Jarry (1873-1907) et dans la transmission de son œuvre. En juillet 1891, Alfred Jarry passe son baccalauréat à Rennes. Il poursuit ses études à Paris, au lycée Henry IV, à la rentrée. Il fait successivement la connaissance de Léon-Paul Fargue puis de Louis Lormel qui fonde, en octobre 1892, une revue, L’Art périodique. À la fin de 1893, Jarry et Fargue s’associent à Lormel dans le comité de rédaction de cette revue. En quelques mois de l’année 1894, Jarry publie treize articles dans L’Art littéraire dont César Antechrist, qui sera repris dans son premier livre, et Les Minutes de sable mémorial (1894). On suppose également que Louis Lormel plaça dans les mains de Jarry les œuvres de Lautréamont, alors quasiment inconnu. Louis Lormel rejoignit plus tard la revue d'Émile Bernard, La Rénovation esthétique, avant de devenir commissaire-priseur. Il fut l’un des premiers marchands de Picasso.

BIBLIOGRAPHIE : 

Œuvres complètes (dir. Henri Béhar), III, Paris, 2013, p. 9 et suiv. (notice d’Alain Chevrier) -- Œuvres complètes (Pléiade) I, Paris, 1972, p. 655 et suiv., p. 1216 et suiv. -- Patrick Besnier, Alfred Jarry, Paris, 2005, p. 358 et suiv. -- Peintures, gravures et dessins d’Alfred Jarry, Paris, Collège de Pataphysique, 1968 -- Propos d’Apollinaire sur Jarry : “Le Courrier des Arts”, in Paris-Journal, 28 juin 1914
WEBOGRAPHIE : manuscrits de Jarry aujourd’hui connus : http://alfredjarry.fr/amisjarry/fichiers_ea/etoile_absinthe_132_133.pdf (p. 18 et suiv.)

EXPOSITION DE CE MANUSCRIT : "Expojarrysition", Galerie Jean Loize, Paris (18 palotin au 8 gidouille 80), du 7 mai au 20 juin 1953, n° 1 (avec reproduction) -- "Alfred Jarry 1873-1917", Kunsthaus Graphisches Kabinett, Zürich, du 14 décembre 1984 au 10 mars 1985

Le manuscrit est vendu avec son certificat d’exportation.