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BERTIN, Louise

Lettre autographe signée à Léopoldine Hugo

[Paris],15 février 1833

LOUISE BERTIN ÉCRIT À LÉOPOLDINE HUGO.

TOUCHANTE LETTRE À UNE ENFANT À L’ÉPOQUE DE LA PREMIÈRE DE LUCRÈCE BORGIA

3 pp. 1/2 in-8 sur papier bleu, encre brune ; suscription autographe sur la 4e page : “Mademoiselle, Mademoiselle Léopoldine Hugo, place royale, n° 6, Paris”

“Je suis bien étourdie, ma chère Didine, non seulement j’ai vu ton papa hier, mais je lui ai parlé de mon Album, et j’ai oublié de le prier de me le prêter pour quelques jours après lesquels je le lui renverrai pour qu’il reste chez lui, tant qu’il voudra bien le garder.

On m’a dit que mon ami Charlot [Charles Hugo] avait été voir Lucrèce Borgia. Je ne lui demande pas de me dire son avis sur la couleur générale de l’ouvrage, sur le ton du style, la grandeur des situations, le fini des détails, tout cela est de peu d’importance pour une tête aussi grave que la sienne. Mais je ne serais pas fâchée d’avoir son opinion sur la partie philosophique et religieuse de la pièce, car je le crois très fort sur ces matières depuis qu’il s’est ouvertement déclaré l’ennemi des saint-simoniens.

L’ami Charlot a dû trouver le souper de Madame Lucrèce, bien plus beau que le dessert des Roches, mais je suis sÜre que son bon sens lui a de suite fait sentir, qu’il valait mieux manger trois noisettes et deux nèfles, embrasser son papa, sa maman, sa vieille amie Louise, et aller se coucher tranquillement dans un bon petit bocal, que de voir, lorsqu’on est assis autour d’une table couverte d’œufs à la neige, de biscuits, de confitures, de crème au chocolat, entrer une grande femme, vêtue de noir, qui, sans laisser à la brillante compagnie le temps de se débarbouiller et de se laver les mains, l’emmène brutalement se coucher, pour ne plus se relever.

Papa n’ayant pas vu dans ta loge, ma Dinette, une seule petite tête blonde, j’en ai conclu que les hautes occupations du capitaines Toto l’avaient empêché de venir montrer à Maffio [personnage de ] comment on enlève l’allegro d’un grand air quand on a le sentiment de la musique.

Présente mes respects à ta maman, chère petite, et dis-lui que je lui fais mon sincère [compliments] de toutes ses joies. Quant à ton papa, je [n’ai] rien à lui dire qu’il ne sache très bien, qu’on le voie ou qu’on le lise, c’est toujours la même chose.

Adieu, cher enfant, tâche de penser un peu à moi et de m’aimer toujours un peu. Des baisers à tous, mes amis

Louise Bertin

Je te devais une longue lettre, j’ai payé ma dette, toi, tu m’écriras, le jour où je puis envoyer chercher mon Album, et des nouvelles du mal de gorge de ta maman et des yeux de ton papa.”

Petit bout de papier détaché de la lettre et collé au cachet de cire en vis-à-vis

Louise Bertin (1805-1877) était la fille de Louis-François Bertin (1766-1841), peint par Ingres, célèbre directeur et fondateur du Journal des Débats - de très noble origine contrairement aux récits habituels voyant en lui le portrait du grand bourgeois. Frappée jeune par la poliomyélite, elle n’en mena pas moins une carrière d’artiste remarquable. Elle créa des musiques pour Berlioz, Gounod et Liszt, composa la musique de La Esmeralda, opéra tiré de Notre-Dame de Paris, écrivit des poèmes, fit l’admiration de Chateaubriand, ici de Victor Hugo, ou des plus grands écrivains et peintres de son temps - dont bien sûr Ingres, l’artiste de la famille. Louise Bertin est d’ailleurs la dédicataire directe de nombreux poèmes de Victor Hugo. Elle habitait les Roches près de Bièvres où ses parents avaient tenu l’un des salons les plus célèbres de la France du premier XIXe siècle. Dans cette maison, Hugo passa plusieurs automnes d’une grande fécondité poétique, au temps des Chants du crépuscule et de ses amours avec Juliette Drouet.

Léopoldine Hugo (1824-1843) est, au moment de cette lettre, âgée de neuf ans. Didine est le surnom que lui donnait Victor Hugo lui-même. François-Victor Hugo (1828-1873) a pour surnom “capitaine Toto”.