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Lettres portugaises traduites en français
LA CONSÉCRATION BIBLIOPHILIQUE D’UN CHEF D’ŒUVRE LITTÉRAIRE : SUPERBE ET TRÈS RARE EXEMPLAIRE EN MAROQUIN ROUGE À TRANCHES DORÉES ET AUX GARDES MULTICOLORES, RELIÉ VERS 1690.
L’UN DES PLUS GRANDS TEXTES DE LITTÉRATURE DU XVIIE SIÈCLE : “VOUS NE TROUVEREZ JAMAIS TANT D’AMOUR, ET TOUT LE RESTE N’EST RIEN” (PREMIÈRE LETTRE).
“IL FAUT AIMER COMME LA RELIGIEUSE PORTUGAISE” (STENDHAL)
ÉDITION ORIGINALE
In-12 (137 x 75mm). Exemplaire entièrement réglé de rose
Quatorze lignes à la page, deux ou trois mots par ligne. Un fleuron au titre, bandeaux, initiales et culs-de-lampe gravés sur bois
COLLATION et CONTENU : π4 A-O8.4 P8 (sans le premier feuillet blanc π1) : 95 feuillets. Soit 3 ff.n.ch. (titre, Au lecteur), 182 pp. (Lettres), 1 f.n.ch. (extrait du privilège daté du 28 octobre 1668 et achevé d’imprimer à la date du 4 janvier 1669)
RELIURE VERS 1690. Maroquin rouge, décor doré, filets en encadrement, dos à nerfs orné, gardes de papier marbré, tranches dorées
RARETÉ DES EXEMPLAIRES : aucun exemplaire aujourd’hui connu n’est relié en maroquin d’époque
- Dans les institutions publiques : deux exemplaires reliés en veau à la Bibliothèque nationale de France (cotes Rés. 2297 et 2298) ; manque à la British Library, à la Pierpont Morgan, à la Library of Congress, à Yale, à Harvard, à Princeton, à Austin et aucun autre exemplaire sur vialibri
- Sur le marché, cinq exemplaires ont été présentés aux enchères depuis plus de trente ans :
1. L’exemplaire Jacques Guérin (juin 1990, FF130.000), en maroquin de Trautz-Bauzonnet, aujourd’hui conservé dans la collection Jean A. Bonna
2. Un exemplaire vendu à Bruxelles (3 juin 2010, maroquin moderne, 25.000 € avec les frais)
3. Un exemplaire en maroquin de Trautz (Paris, 5 décembre 2017, lot 34, 38.000 € marteau)
4. Un exemplaire en veau d’époque, usé (Bibliothèque Michel Dubos, Paris, 14 juin 2019, lot 273, 30.000 € avec les frais)
5. Un autre exemplaire en veau d’époque (Bibliothèque Lucie Scheler, Paris, 3 février 2023, lot 23, 26.500 € avec les frais)
La vente de la bibliothèque Jean Tannery (1955) proposait cinq exemplaires, imprimés de 1670 à 1807 mais aucun en édition originale ; aucun exemplaire des Lettres portugaises ne figurait dans les catalogues d’Édouard Rahir (1931) ou dans la collection de Maurice Goudeket (1961).
Les Lettres portugaises n’ont cessé d’intriguer par le mystère de leur création autant que par leur grande beauté. Cette indétermination répond au subterfuge initial du libraire Claude Barbin et de l’auteur Guilleragues d’user du motif littéraire voulant que des lettres prétendument retrouvées soient livrées à tous. Quelles furent les raisons et les circonstances de leur écriture ? Pourquoi un homme a-t-il écrit de telles lettres sous le masque d’une femme ? Le brouillage entre la fiction et la réalité, le jeu entre le féminin et le masculin, la construction dramatique de l’ensemble, la beauté du style de ces lettres ne cessent d’étonner comme au premier jour de leur parution.
Le succès des Lettres portugaises fut immédiat. Claude Barbin réimprima le livre aussitôt la même année. Ce n’est que très récemment qu’ont pu être départagées les différentes premières éditions. Les Lettres furent rééditées l’année suivante, en 1670, à Cologne et à Amsterdam ; l’édition de Cologne révélait pour la première fois le nom d’un certain “Cuilleraque” [sic] comme traducteur. Des contrefaçons, de nouvelles lettres soi-disant retrouvées (jusqu’à en compter sept supplémentaires !), et l’invention de “réponses” témoignent de l’important succès de ces lettres énigmatiques. Les traductions suivirent : elles furent publiées tôt en anglais, sous le titre Five Love-Letters from a Nun to a Cavalier (1678) puis en italien, Lettere amorose portughesi (1682). La première traduction allemande ne vit le jour qu’en 1788, et celle en portugais, en 1824, à Paris, chez Firmin-Didot. Le succès fut tel qu’une “portugaise” fut assimilée à un genre épistolaire : “une portugaise, écrit Mme de Sévigné (1671), est une lettre “tendre”, pleine d'une “folie, une passion que rien ne peut excuser que l'amour même”.
Guilleragues avait quarante ans en 1669 quand il publia les Lettres portugaises. Une note de Bruzen de La Martinière, dans l’édition des Plus belles lettres françaises (1721) de Richelet, le présentait en ces termes :
“M. de Guilleragues était de Bordeaux où il avait été premier Président de la Cour des Aides. S'étant fait connaître à M. le Prince de Conti Gouverneur de Languedoc, il le servit en qualité de Secrétaire de ses commandements, et quitta la Province. Il eut ensuite l'agrément du Roi pour la Charge de Secrétaire de la Chambre et du Cabinet du Roi, qui le nomma enfin Ambassadeur à Constantinople où il alla en 1674 [en fait 1679]. Il mourut d'Apoplexie quelques années après. Personne n'entendait mieux que lui la fine raillerie. On lui attribue les Lettres d'une Religieuse Portugaise”.
On ignore pourquoi Guilleragues publia anonymement les Lettres portugaises : stratégie éditoriale ? Protection de son rang à la Cour ? Sa proximité avec le Roi le retint peut-être. Peu après la publication des Lettres portugaises, le Roi fit de Guilleragues son “secrétaire de la chambre et du cabinet”. On sait en tout cas qu’il était versé dans les lettres, ce qui porta rapidement le soupçon vers sa personne. Plusieurs documents attestent de sa proximité avec les meilleurs auteurs de son temps : La Rochefoucauld, Molière, Boileau (qui lui dédie sa cinquième Épître comme à un “esprit né pour la Cour et maître de l'art de plaire”) et Racine. Guilleragues fréquentait les salons de Mme de Sablé, Mme Sévigné, Mme de Maintenon et Mme de La Sablière. Dans une lettre à Mme de La Sablière, il déclare qu'il aurait pu être auteur “à peu près comme celui qui compose sans cesse des vers à [sa] louange”, c'est-à-dire La Fontaine. La Fontaine d’ailleurs, dans Psyché, a écrit des vers qui citent implicitement une formule célèbre de Guilleragues :
Des jeunes cœurs, c’est le suprême bien,
Aimez, aimez ; tout le reste n’est rien.
À sa mort à Istanbul, en 1685, Guilleragues n’était toujours pas désigné comme l’auteur des Lettres portugaises. On chercha à savoir qui était cette religieuse passionnée, délaissée par un officier français. On commençait cependant à douter de l’authenticité de ces lettres. Vanel, dans son Histoire du temps ou Journal galant affirme dès 1685 que les Lettres sont “un jeu d'esprit”. Il poursuit en affirmant qu’elles sont “l'ouvrage d'un homme de la Cour de France, qui les fit par l'ordre d'une Princesse, et pour lui montrer comment pouvait écrire une femme prévenue d’une forte passion” (voir Chupeau 1968, p. 225). Donneau de Visé connaissait lui aussi l'auteur des Lettres portugaises, sinon l'on s'expliquerait mal qu'il ait été amené à louer le talent de Guilleragues pour les “lettres amoureuses” (L'Amour échappé, 1669). Ces deux témoignages montrent que quelques contemporains étaient bien renseignés. Mais il faut croire aussi que la discrétion était de règle puisque les éditions des Lettres portugaises perpétuèrent la légende (rentable) de leur authenticité.
Au XVIIIe siècle, quelques éditions de recueils de lettres commencèrent à désigner Guilleragues comme auteur des Lettres portugaises. Rousseau déclarait dans une note de la Lettre à d'Alembert sur les spectacles (1758) : “je parierais tout au monde que les Lettres portugaises ont été écrites par un homme”.
La thèse de l’authenticité des lettres fut cependant renforcée au XIXe siècle quand on découvrit qu’une certaine Mariana Alcoforado (1640-1723) vécut dans un couvent portugais à l’époque où est située l’histoire. Dans le Journal de l'Empire du 5 janvier 1810, l’helléniste Jean-François Boissonade, signalait qu’une note manuscrite figurait sur son exemplaire de l'édition originale, donnant le nom de la religieuse ayant écrit les Lettres, “Mariane Alcaforado, religieuse à Beja, entre l'Estremadure et l'Andalousie”, ainsi que le nom du “gentilhomme de qualité”, “le comte de Chamilly, dit alors le comte de Saint-Léger”. Le nom de Chamilly circulait depuis longtemps (depuis l’édition de Cologne de 1670) comme l’un des acteurs possibles de cette correspondance. Il avait combattu sous Schomberg dans la guerre d'indépendance du Portugal. Rilke lui-même donnera encore Mariane Alcaforado comme auteur des lettres dans sa traduction en allemand de 1913.
Ce n’est qu’au XXe siècle que fut établie définitivement la véritable identité de l’auteur de ces lettres et rendu à celles-ci leur statut véritable de fiction. En 1926, l’anglais Frederic C. Green découvrit dans le fonds de la Librairie parisienne conservé à la Bibliothèque Nationale, le privilège du livre daté du 28 octobre 1668 où se trouve clairement mentionné le nom de Guilleragues. Cette date correspond bien à celle imprimée à la fin de l’ouvrage.
Quelques décennies plus tard, fut identifiée, grâce aux travaux successifs de Frédéric Deloffre, Jacques Rougeot et Paule Koch, quelle était la véritable édition originale des Lettres portugaises : celle correspondant à l’exemplaire conservé à la Bibliothèque nationale de France (Rés. Z. 2298, numérisé), appelé “exemplaire B.N.”. Parmi les remarques distinguant l’édition originale des autres éditions, signalons le trait vertical au verso du titre et les signatures fautives du cahier “E”. Les exemplaires de la collection Jean A. Bonna, celui-ci et quelques très rares autres passés sur le marché dans les trente dernières années (voir la rubrique “RARETÉ” supra), sont en tout point conformes à l’“exemplaire B.N.” En revanche, les exemplaires en maroquin rouge de l’époque sont inexistants. De même, on connaît aussi l’extrême rareté des grands textes de la littérature française au XVIIe siècle, que ce soit Molière, Racine, Descartes, La Fontaine, Corneille ou Pascal.
Une œuvre d’art
L’indétermination constitutive de la nature de ces lettres les apparente pleinement à l’une des grandes problématiques de la modernité du XXe siècle, celle brouillant l’identité - ou, dans une problématique littéraire, celle consacrant comme fiction tout acte d’écrire. Les phrases nerveuses de ces lettres, leur rythme, leur déroulement, ainsi que la composition de l’ensemble allant de la passion espérante de la première lettre à la lucidité résignée de la dernière lettre, font paraître étonnant que l’on ait pu croire si longtemps à des lettres authentiques, spontanément écrites :
“il faut de l’artifice pour se faire aimer, il faut chercher avec quelque adresse les moyens d’enflammer, et l’amour tout seul ne donne point de l’amour” (Cinquième lettre, p. 169).
L’intention d’une œuvre minutieusement construite semble aujourd’hui évidente. Chaque phrase prise séparément révèle le travail d’orfèvre de celui qui les cisela -, qu’il s’agisse d’une religieuse ou d’un diplomate :
“Vous trouverez, peut-être, plus de beauté (vous m’avez pourtant dit autrefois, que j’étais assez belle) mais vous ne trouverez jamais tant d’amour, et tout le reste n’est rien” (Première lettre, p. 15).
Quant à la composition, l’auteur s’inspira sans aucun doute de celle des tragédies en cinq actes de Racine. La première lettre, en même temps qu’elle contient l'exposition du sujet, traduit les illusions de Marianne. La seconde laisse le drame encore en suspens. La troisième s'ouvre par une délibération, à la façon des stances tragiques (“Qu'est-ce que je deviendrai, et qu'est-ce que vous voulez que je fasse”), et reste marquée par les mouvements contradictoires qui agitent la religieuse. La quatrième annonce la catastrophe (“La prochaine ne sera pas si longue”). La dernière apporte un dénouement : “Suis-je obligée de vous rendre un compte exact de tous mes divers mouvements ?”
Chaque fin de lettre permet un rebondissement malgré la répétition dramatique du mot “adieu” : “Adieu, aimez-moi toujours ; et faites-moi souffrir encore plus de maux” (première lettre) ; “Je n'ose plus vous prier de m'aimer ; voyez où mon destin m’a réduite ? Adieu” (deuxième lettre) ;“Adieu, ma passion augmente à chaque moment. Ah ! que j'ai de choses à vous dire !” (troisième lettre) ; “Adieu, adieu, ayez pitié de moi” (quatrième lettre.) La dernière lettre ne contient plus d’adieu mais annonce la résolution de ne plus écrire.
L’ouverture théâtrale de la première lettre est célèbre :
“Considère, mon amour, jusqu’à quel excès tu as manqué de prévoyance. Ah ! malheureux ! tu as été trahi, et tu m’as trahie par des espérances trompeuses”.
À qui s'adresse l’épistolière ? “Mon amour” désigne-t-il un destinataire ou un objet ? Si “Mon amour” est synonyme de “mon aimé”, on comprend mal la suite de la lettre affirmant que son “amour” a été trahi et qu’il souffre à cause de ses espérances déçues. Les lettres suivantes démontrent suffisamment que ce personnage a eu dès le début le dessein de tromper et qu’il est bien loin d’éprouver “un mortel désespoir”. On peut plutôt entendre l’“amour” que “considère” la religieuse comme son propre sentiment : c’est lui qui a été trompé et qui l’a trompée. L’apostrophe initiale, “Considère”, va bien dans le sens d’une adresse à soi-même. En ce sens, la formule s’inscrit dans le vocabulaire de la mystique de l’amour si puissante au XVIIe siècle. Saint François de Sales, Thérèse d’Avila ou Pierre d’Alcantara ont eu de nombreuses fois recours à cette formule : “Considère”, comme a su le montrer V. Schröder (Les méditations de Marianne : la matrice mystique des Lettres portugaises). Les Lettres portugaises sont un miroir de l’amour ou plutôt du moi amoureux. Ce regard introspectif participe également de la modernité de cette œuvre : “J’ai éprouvé que vous m’étiez moins cher que ma passion” (Cinquième lettre, p. 137), avoue l’épistolière.
Stendhal, dans sa classification des modes d’amour, cite “l'amour-passion, celui de la religieuse portugaise” : “Il faut aimer comme la religieuse portugaise, et avec cette âme de feu dont elle nous a laissé une si vive empreinte dans ses lettres immortelles” (Vie de Rossini, chapitre VIII). On ne compte plus les écrivains qui admirèrent et s’inspirèrent de ce chef d’œuvre. Si les Lettres portugaises furent traduites par Rilke, le visage de leur auteur fictif fut peint en pleine guerre par André Masson pour un Jeu de cartes de Marseille, conçu avec André Breton (mars 1941 ; la gouache, qui appartint à Breton, est aujourd’hui conservée au Musée de Marseille). Les surréalistes s’emparèrent de cette figure liant la plus belle langue à l’imaginaire. André Breton possédait d’ailleurs un exemplaire d’une édition ancienne (1672) des Lettres portugaises, conservé à la Bibliothèque Jacques Doucet (cote 7308000). Les Lettres portugaises et leur religieuse mystérieuse firent également l’objet d’une édition illustrée de lithographies de Henri Matisse (1946).
La beauté de ces lettres, leur ambiguïté irrésolue, leur “extravagance” maîtrisée (Quatrième lettre, p. 114) qu’analyse parfaitement leur épistolière, entre la prose épurée de Pascal et les vers de Racine, les placent au sommet de la littérature française. Proust commence d’ailleurs avec humour l’une de ses propres lettres en invoquant sa célèbre devancière : “j’aurais tâché que mon épître fût aussi brûlante que les fameuses Lettres Portugaises” (lettre du 17 mai 1916).
Frédéric Deloffre et Jacques Rougeot (éd.), Chansons et bons mots, Valentins, Lettres portugaises, Genève, 1972, pp. 272-276 -- Paule Koche, “Concurrence autour des Lettres portugaises. Éditions autorisées et contrefaçons”, in La Bibliographie matérielle, Paris, CNRS, 1983, pp. 147-175 -- Vérène de Diesbach, Six siècles de littérature française. XVIIe siècle. Bibliothèque Jean Bonna, n° 114 -- F.C. Green, “Who was the author of the Lettres portugaises ?”, in Modern Language Review XI, 1926, pp. 159-157 -- J. Chupeau, “Vanel et l'énigme des Lettres portugaises”, R.H.L.F., mars-avril 1968, n° 2, pp. 221-228 -- Volker Schröder, “Les méditations de Mariane : la matrice mystique des Lettres portugaises”, in La Femme au XVIIe siècle, Actes du colloque de Vancouver (University of British Columbia, 5-7 octobre 2000), Tübingen, 2002, p. 283-299
WEBOGRAPHIE : Frédéric Deloffre, “Guilleragues et les Lettres portugaises, ou de l'œuvre à l'auteur”, in Littérature classique, 1991 1 -- J. Chupeau, “À propos de quelques éditions oubliées des Lettres portugaises”, in Revue d'Histoire littéraire de la France, 72e Année, No. 1 (Jan. - Feb., 1972), pp. 119-126 2 -- Maurice Toesca, “L’Énigme des Lettres portugaises”, in Revue des deux mondes, juillet 1954 3