


Acheter
Estimation d'un livre ou d'un manuscrit
Œuvres complètes
LE MONTESQUIEU DE TOURGUENIEV : EXEMPLAIRE RELIÉ À SES ARMES ET AVEC SON EX-LIBRIS.
EUROPE ET/OU RUSSIE ?
8 volumes in-8 (138 x 86mm)
CONTENU : vol. I : (2 ff.) vi-cviii 2-430 : Vie de Montesquieu par L. S. Auger, Analyse de l’Esprit des Lois par d’Alembert, Préface et avertissement de l’auteur, texte de l’Esprit des Lois ; vol. 2 : (2 ff.) 6-485 : Esprit des lois ; vol. 3 : (2 ff.) 6-540 : Esprit des lois ; vol. 4 : (2 ff.) 6-417 : Défense de l’Esprit des lois (avec le faux-titre du t. 5 mal relié) ; vol. 5 : (2 ff.) 6-342 : Grandeur des Romains (avec un faux-titre mentionnant t. 5) ; vol. 6 : (2 ff. non paginés) 2-310 : Œuvres diverses (avec un faux-titre mentionnant “tome 4” ; vol. 7 : (2 ff.) 6-310 : Œuvres diverses. 2 (avec un faux-titre mentionnant “tome 6”) ; vol. 8 : Paris, Garnery, 1819 : (2 ff.) 6-508 : Lettres persanes
RELIURES FRANÇAISES VERS 1840. Dos de veau bleu, dos à nerfs dorés avec armes répétées trois fois dans les caissons, plats de papier marbrés dans les tons bleus, tranches marbrées
PROVENANCE : Ivan Tourgueniev (armoiries et étiquette ex-libris “Tourgueneff” collées au premier contreplat de chacun des volumes). Les armoiries d’Ivan Tourgueniev sont formées d’une licorne surmontée de trois étoiles
La période des années 1800 à la Restauration, sans doute marquée par un souci de stabilité politique après les violences de la Révolution, connut une efflorescence de publications des Œuvres de Montesquieu, et donc de nouvelles lectures de sa pensée. On sait qu’il accompagna Stendhal toute sa vie : des “douze heures par jour”, dans le temps de sa jeunesse, qu’il consacre à “Montaigne, Shakespeare, Montesquieu” (Œuvres intimes, II, p. 978), jusqu’aux années 1830. En 1835, Beyle écrit encore : “Ah, Montesquieu est toujours mon homme et plus que jamais !” (Œuvres intimes, II, p. 265). Son exemplaire personnel des Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, dans l’édition Didot de 1814, est conservé à la BnF (http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/btv1b86108366).
Ici, les armoiries aux dos des reliures sont celles de la noble famille des Tourgueniev (cf. https://vector-images.com/clipart.php ?id=21015). Ivan Tourgueniev (1818-1883) était fier des origines de sa famille : “Contemporain de Tourguéniev, Nikoläi Goutiar raconte que celui qui visitait la maison de Spasskoïé du vivant de l’écrivain pouvait apercevoir dans une des pièces, en dessous du portrait de Sergueï Tourguéniev, le père de l’écrivain, un arbre généalogique mentionnant tous ses ancêtres. Tourguéniev connaissait bien ses origines et l’histoire de sa famille.” (Olga Gortchanina, L'identité culturelle d'Ivan Tourgueniev : entre la Russie et la France, 2015, p. 39). La fameuse demeure de Spasskoïé possédait une bibliothèque de livres français et O. Gortchanina écrit aussi : “Parmi les livres qui nous sont parvenus, à ce jour, de la bibliothèque de Spasskoïé-Loutovinovo, seule une édition en français des œuvres de Voltaire conserve un ex-libris imprimé au nom du père de l’écrivain : “Bibliothèque de Serguéï Nicolaïévitch Tourguéniev” (p. 45). L’usage des armoiries et de l’ex-libris imprimé est donc attesté dans la famille Tourgueniev, comme dans la plupart des grandes familles d’Europe au XIXe siècle. On se souvient aussi du récit que fit Tourgeniev dans une lettre à son ami Michel Bakounine : celui du vol qu’il avait perpétré dans la bibliothèque familiale de Spasskoié, avec son jeune ami, Léon Sérébriakov, le fils d’un serf. Tourgeniev déroba un ouvrage. Il s’agissait d’un livre d’emblèmes et d’héraldique : Emblèmes et symboles choisis et traduits en langues russe, latine, française, allemande et anglaise, édité en 1788 par Nestor Ambodic (cf. O. Gortchanina, p. 38). Sa mère fit battre le jeune serf, ce qui marqua Tourgueniev pour la vie.
En revanche, on ne sait pas grand-chose sur les livres de Tourgueniev lui-même. La maison de Bougival près de Paris, où il mourut, n’en conserve plus. La bibliothèque personnelle de Tourgueniev servit de fondement à la grande bibliothèque Tourgueniev, créée post mortem selon le vœu de l’écrivain. Considérablement agrandie par de multiples dons, elle était située dans l’Hôtel Colbert, 13 rue de la Bucherie, et fut entièrement spoliée par les Allemands dès octobre 1940. Les livres partirent ensuite pour la Russie où ils furent dispersées dans de nombreuses collections publiques. Ce petit Montesquieu ne présente aucune trace de cachet - même effacé - et n’a donc pas appartenu aux livres donnés par l’écrivain. Son origine est mystérieuse, autant qu’un autre ouvrage, conservé dans une collection privée, qui porte un ex-libris imprimé de Tourgueniev (Verlaine, Sagesse, 1881, en édition originale).
Les fameux carnets d’Alexandra Osipova Smirnova (1809-1882), grande amie de Pouchkine, d’origine française, et qui l’encouragea à écrire ses souvenirs, évoquent des conversations tenues dans les années 1830 entre Pouchkine, Joukovski et Tourguenev. Lorsque Pouchkine avait dit :
“Je tiens les Lettres persanes pour un chef d’œuvre. Tourgueneff s’est récrié : “Tu oublies l’Esprit des lois, Grandeurs et décadences… Oui, oui, je sais [dit Pouchkine]. Quand vous avez lu Karamzine, vous disiez que Montesquieu vous faisait admirer des êtres nobles, héroïques, tandis que la lecture de l’histoire de la Russie vous donnait le sentiment de répulsion sans cesse (…) Du reste, je préfère Gibbon à Montesquieu, et tous les deux ont pensé à la France en écrivant sur l’Empire romain (…) J’espère que tu admires l’Esprit des lois [ajoute Tourgueniev]. Très beau livre, dans lequel le goût de Montesquieu pour le droit romain s’est mêlé à son goût pour la constitution anglaise” (p. 195).
Ainsi, ce Montesquieu de Tourgueniev est bien à l’image du tiraillement perpétuel de la Russie entre son propre passé et sa dimension européenne.
cf. J.-C. Brunet, Manuel du libraire, III, 1859
WEBOGRAPHIE : Olga Gortchanina, L'identité culturelle d'Ivan Tourgueniev : entre la Russie et la France, https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01158978/document) -- pour les carnets d’Alexndra Smirnova, cf. https://www.google.fr/books/edition/Si%EF%B8%A0e%EF%B8%A1verny%C4%AD_vi%EF%B8%A0e%EF%B8%A1stnik/upc0AQAAMAAJ ?hl=fr&gbpv=1&dq=tourgueneff+montesquieu+%22lettres+persanes%22&pg=PA195&printsec=frontcover