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La Justesse, par M. A. G. C. S. D. M.
ENVOI DU CHEVALIER DE MÉRÉ AU PÈRE RAPIN : L’HONNÊTE HOMME ET LE JÉSUITE.
AU CŒUR DES QUERELLES DU XVIIE SIÈCLE FRANÇAIS
ÉDITION ORIGINALE
In-12 (151 x 85mm)
COLLATION : A8 B4 C8 D4 E4 F2
ENVOI autographe signé, à l’encre brune :
Pour le révérend Père Rapin
[M]éré
(Le chevalier de Méré a signé l’envoi à la suite de l’initiale de son nom, imprimée sur la page de titre)
RELIURE DE L’ÉPOQUE. Veau moucheté, dos à nerfs, tranches mouchetées
PROVENANCE : le René Rapin (1621-1689 ; envoi) -- Librairie Veuve Joubert (timbre sec, vers 1850) -- Charles Sauzé de Lhoumeau (1864-1942 ; ex-libris)
Contre la préciosité de Voiture
René Rapin, dit le Père Rapin (1620-1687), entre en 1639 dans la Compagnie de Jésus, et enseigne la rhétorique au collège de Clermont. Sa carrière fut à la fois consacrée à la religion (il publia plusieurs ouvrages de théologie) et aux belles-lettres. Dans ce domaine, il se révéla un versificateur adroit par son poème épicurien sur les jardins (Hortorum Libri IV, 1665) ; mais il fut surtout l’auteur de nombreux textes critiques réunis en deux volumes : Les Comparaisons des grands hommes de l’Antiquité qui ont le plus excellé dans les belles lettres et Les Réflexions sur l’éloquence, la poétique, l’histoire et la philosophie (1684). Le Père Rapin devient, en 1667, membre de l’Académie “dissidente” formée par le président Lamoignon dont les discussions débouchèrent sur la publication simultanée, par Boileau, de ses deux plaidoyers pour les Anciens, son Art poétique et sa traduction du Traité du sublime du Pseudo-Longin (1674), préconisant un retour aux modèles antiques. Rapin dénonce la décadence du goût littéraire de l’époque contaminé par les fadeurs de la galanterie d’une part, et desséché, à l’opposé, par la bride que le purisme donne à l’expression.
La Justesse du chevalier de Méré intervient dans ce contexte de débats sur le style. En 1671, Vincent Voiture est érigé en réformateur des belles lettres par La Fontaine. Dans la troisième partie de ses Contes et nouvelles en vers, il fait à plusieurs reprises référence à “Maître Vincent”, modèle en matière d’enjouement stylistique à l’instar de Marot (“Maître Clément”), tous deux adeptes du rondeau :
“Cependant chantez-nous,
Non pas du sérieux, du tendre, ni du doux,
Mais de ce qu’en français on nomme bagatelle,
Un jeu dont je voudrais Voiture pour modèle :
Il excelle en cet art. Maître Clément et lui
S’y prenaient beaucoup mieux que nos gens d’aujourd’hui”
Dans La Justesse, le chevalier de Méré dénonce chez Voiture “le faux brillant et les fausses galanteries”, le style affecté, et relève toutes les fautes commises par Voiture dans ses œuvres. La Justesse sera repris dans son Discours de l’esprit, de la conversation, des agréments, de la justesse, ou Critique de Voiture (1687). L’envoi que porte Méré à Rapin s’inscrit donc au cœur de ces affrontements sur l’art d’écrire. Tous deux se placent du même côté des Anciens contre les Modernes.
La question de Pascal et du jansénisme
Le chevalier de Méré est avant tout connu pour son amitié avec Pascal. Or, le véritable adversaire que le Père Rapin entreprend d’affronter est justement le même que Pascal et La Rochefoucauld, c’est-à-dire, l’amour-propre. Rapin publia même une Histoire du jansénisme depuis son origine jusqu’en 1644.
Cependant le Pascal que Méré et Rapin apprécient n’est pas le même. Pour Méré, Pascal fut un compagnon de jeunesse. Rapin, quant à lui, admire l’auteur des Pensées. Dans ses Mémoires, Rapin rappelle cette divergence entre Méré et lui, allant jusqu’à qualifier Méré de “compagnon d’égarement” :
“La trop grande vivacité qu’il [Pascal] avait lui donna une si grande légèreté d’esprit que, pour chercher à se convaincre de la religion, dont il n’était pas tout à fait persuadé dans les premières années de sa jeunesse, par un étrange égarement, il s’abandonna à tout ce que la curiosité a de plus affreux pour évoquer le diable des enfers par ce qu’il y a de plus noir dans la science des hommes… Ce fut là son occupation pendant les premiers emportements de l’âge, et il eut pour compagnon de son égarement le chevalier de Méré… et d’autres, dont il eut tant de honte dans la suite, après que son esprit fut devenu plus mûr, qu’il travailla à instruire les autres de la vérité de la religion, en s’en instruisant lui-même, par ce bel ouvrage des Pensées, qui parurent en son nom après sa mort” (Mémoires)
La récente exposition Pascal, le cœur et la raison (2016) présentait ainsi le chevalier de Méré :
“Homme “à la mode”, arbitre des élégances du goût et de l’esprit dans les salons mondains, le chevalier de Méré s’est fait dans des Discours et dans ses Lettres, le théoricien de l’art de plaire qui est au cœur de l’idéal social de l’“honnête homme”. Pascal fit sa connaissance dans l’entourage du duc de Roannez, très probablement en 1653. C’est à lui, qui était grand joueur, que Pascal doit de s’être intéressé au calcul des probabilités : il est “celui qui m’a proposé ces questions”, écrit-il le 29 juillet 1654 à Pierre de Fermat. Il ajoute dans la même lettre que Méré “a très bon esprit, mais il n’est pas géomètre” (lettre XIX). Il apparaît ainsi que les conversations entre Pascal et Méré portaient sur des questions inscrites à la frontière des mathématiques et de la philosophie, que ce soit celle du hasard ou de l’infini. Il apparaît aussi que le commerce du “bon esprit” qu’était Méré a certainement contribué à la distinction fameuse que Pascal établira dans les Pensées entre “esprit de finesse” et “esprit de géométrie” : Méré est l’exemple même de ces “esprits fins [qui] ne sont pas géomètres [parce] qu’ils ne peuvent du tout se tourner vers les principes de géométrie” (S. 670)” (Jean-Marc Chatelain).
Edmond Chamaillard, Le Chevalier de Méré, Niort, 1921 -- Jean-Marc Chatelain, Pascal, le cœur et la raison, Paris, 2016, nº 29 (notice pour l'édition des Lettres du chevalier de Méré de 1682 -- Antoine Gombaud, chevalier de Méré, Œuvres complètes, Paris, 2008