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LACAN, Jacques

[Thèse de médecine]. [De la Psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité]

[Paris], 7 septembre 1932

EXEMPLAIRE DE JACQUES LACAN.

CÉLÈBRE THÈSE DE JACQUES LACAN ET L’UN DES PLUS CÉLÈBRES MOMENTS DE LA PSYCHIATRIE FRANÇAISE.

EXEMPLAIRE DE SOUTENANCE, DACTYLOGRAPHIÉ

TAPUSCRIT

In-4 (265 x 200mm)
COLLATION : 400 pp.
RELIURE DE L’ÉPOQUE. Percaline vert bouteille, dos à la bradel
PROVENANCE : Jacques Lacan (sa vente, Paris, 19 octobre 2021, lot 247.1, hors catalogue, €4765)

En juin 1931, Jacques Lacan commence à suivre, quasi quotidiennement, une femme nommée Marguerite Anzieu (1892-1981), qu’il appellera “Aimée” ou “Mme A.” dans sa thèse. Celle-ci a été hospitalisée à l’hôpital Sainte-Anne après avoir agressé, deux mois plus tôt, sans raison apparente, une actrice, à l’entrée d’un théâtre. Lacan raconte d’abord les faits (p. 157 et suiv.) :

“Le 10 avril 193… à huit heures du soir, Mme Z., une des actrices les plus appréciées du public parisien, arrivait au théâtre où elle jouait ce soir-là. Elle fut abordée, au seuil de l’entrée des artistes, par une inconnue qui lui posa cette question : “Êtes-vous bien Mme Z. ?” L’interrogatrice était vêtue correctement d’un manteau dont col et poignets étaient bordés de fourrure, gantée et munie d’un sac ; rien, dans le ton de la question, n’éveilla la méfiance de l’actrice. Habituée aux hommages d’un public avide d’approcher ses idoles, elle répondit affirmativement, et pressée d’en finir voulut passer. L’inconnue alors, dit l’actrice, changea de visage, sortit vivement de son sac un couteau tout ouvert, et le regard chargé des feux de la haine, leva son bras contre elle. Pour parer le coup, Mme Z., saisit la lame à pleine main et s’y sectionna deux tendons fléchisseurs des doigts. Déjà les assistants avaient maîtrisé l’auteur de l’agression. La femme refusa d’expliquer son acte, sinon devant le commissaire… Conduite au dépôt, puis à Saint-Lazare, Mme A. séjourna deux mois en prison. Le… juin 193… elle était internée à la clinique de l’Asile Sainte-Anne, sur le rapport de d’expertise médico-légale du docteur Truelle, concluant que la “dame A. est atteinte de délire systématique de persécution à base d’interprétations avec tendances mégalomaniaques et substratum érotomaniaque”. Nous l’y avons observée durant un an et demi environ”.

Suit un “État-civil” de la patiente internée : “Mme A. est âgée de 38 ans lors de son entrée. Elle est née à R. (Dordogne) en 189… de parents paysans. Elle a deux sœurs et trois frères, dont un est parvenu à la situation d’instituteur. Elle est employée dans l’administration d’une compagnie de chemins de fer… ”

Après ces quelques pages de présentation de “Mme A.”, Jacques Lacan analyse les symptômes de son “délire” qu’il qualifie d’“érotomanie” et de “paranoïa d’autopunition”. Jacques Lacan repère notamment que l’écriture chez certains sujets, en particulier dans la paranoïa, annonce le passage à l’acte et que la compréhension de ces écrits se présente comme une fonction possible du traitement des psychoses paranoïaques. Dans un article de juillet 1931, il écrit : “Bien souvent le délirant, avant même d’en venir aux actes délictueux, se sera signalé lui-même aux autorités par une série de plaintes, d’écrits, de lettres de menace. [… ] Les écrits sont des documents très précieux. On doit les recueillir soigneusement”.

Selon Élisabeth Roudinesco, “entre le psychiatre et Marguerite, il n'y eut jamais la moindre entente. Elle ne cherchait nullement à être soignée ou prise en charge, et il ne chercha pas à la convaincre de se regarder comme une patiente. Car il ne s'intéressait à cette femme que pour illustrer sa doctrine de la paranoïa. Quant à elle, toujours rebelle, elle refusait d’être un “cas” et elle lui reprocha toute sa vie d’avoir voulu faire d’elle ce qu’elle n’était pas. Il n’empêche que les entretiens qu’elle eut avec lui ne furent pas négatifs” (Lacan, envers et contre tout, pp. 60-61). Marguerite Anzieu est la mère du psychanalyste Didier Anzieu (1923-1999), que suivit également Lacan après-guerre.

L’observation et l’étude du “cas Aimée” forme la partie la plus importante de la thèse de médecine que prépare Jacques Lacan en 1931-1932. La dernière page du tapuscrit porte la date de sa soutenance : “le 7 septembre 1932”. Elle fut soutenue à la faculté de médecine de Paris. La thèse fut publiée le mois suivant (achevé d’imprimer à la date du 1er octobre 1932), à un petit nombre d’exemplaires, sous le titre De la Psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité (voir le lot suivant). Ce tapuscrit, antérieur à l’édition originale, ne comporte pas les “avant-pages” et les “après-pages”, à savoir, ni titre, ni remerciement, ni dédicace, ni bibliographie et ni de table des matières. La mention “Dr. Jacques Lacan, Chef de clinique de la faculté de médecine de Paris” se trouve à la dernière page du tapuscrit : cette précision sera déplacée sur la couverture de l’édition imprimée. Jacques Lacan conserva cet exemplaire de soutenance, relié à l’époque en percaline verte, dans sa bibliothèque.

BIBLIOGRAPHIE : 

Jacques Lacan, “Structures des psychoses paranoïaques”, in Semaine des Hôpitaux de Paris, n° 14, juillet 1931, pp. 437-445 -- J. Allouch, Marguerite, ou l'Aimée de Lacan, Paris 1990 -- Élisabeth Roudinesco, Histoire de la psychanalyse en France. Jacques Lacan, Paris, 2009 ; Lacan, envers et contre tout, Paris, 2011