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[VOLTAIRE], sous le pseud. de Francheville

Le Siècle de Louis XIV

Paris, C. F. Henning, 1751

SUPERBE EXEMPLAIRE RELIÉ EN MAROQUIN ROUGE DE L’ÉPOQUE ORNÉ D’UNE DENTELLE AUX PETITS FERS.

EXEMPLAIRE JACQUES GUÉRIN ET BERNARD MALLE.

L’OUVRAGE QUE VOLTAIRE CONSIDÉRAIT ÊTRE SON CHEF-D’ŒUVRE

ÉDITION ORIGINALE

2 volumes in-12 (144 x 85mm). Bandeaux, culs-de-lampes et initiales gravés sur bois. Un feuillet d’errata à la fin de chacun des volumes. Nombreux cartons relevés par F. Moureau : dans le premier volume aux feuillets B8, D9, H10, I10, M2, P7, R4, S4-5, et dans le second, au feuillet D1
COLLATION : tome 1 : π1)(6A-U12 X6 (sans le dernier blanc), soit 7 ff.n.ch., 488 pp., 1 f.n.ch. ; tome 2 : π1 A-T12 U6 soit 1 f.n.ch., 466 pp., 1 f.n.ch.

RELIURES FRANÇAISES DE L’ÉPOQUE. Maroquin rouge, décor doré, encadrement d’une large dentelle aux petits fers avec feston à motifs floraux, filet et roulette, dos lisses ornés, tranches dorées
PROVENANCE : Jacques Guérin (sa vente, Paris, 7 juin, 1990, lot 62) -- Bernard Malle (cachet)

Voltaire considérait Le Siècle de Louis XIV comme le grand ouvrage de sa vie. Il tenait en comparaison Candide pour une "couillonnerie". Le Siècle de Louis XIV parut en 1751 mais sa rédaction commença vingt ans plus tôt comme Voltaire l’indique dans une lettre de 1732, en anglais, à son ami Thieriot : “I never go out of doors. I see nobody but at home. I hope to enjoy such a studious leisure with Eriphyle, the English Letters, and the Age of Lewis the Fourtheenth.”

En 1751, Voltaire se trouve à la cour de Frédéric II de Prusse. Henning, imprimeur du roi, fut chargé d’imprimer l’ouvrage. Dufresne de Francheville, un Français que Frédéric avait appelé à Berlin vers 1742, offrit de financer une partie des frais de cette édition. Son nom apparaît sur les deux pages de titre. Voltaire évoque cette prudence dans une lettre à Walther du 28 décembre 1751 : “On sait assez dans l’Europe que j’en suis l’auteur mais je ne veux pas m’exposer à ce que l’on peut essuyer en France de désagréable, quand on dit la vérité”.

On a souvent affirmé que Voltaire louait le siècle de Louis XIV pour dénigrer celui de Louis XV. Cependant l’admiration de Voltaire pour Louis XIV fut durable et sincère. Voltaire ne se départit jamais de l’idée d’avoir élevé un monument à la gloire d’un siècle qui “approche le plus de la perfection” : “Le monarque se trouve au centre de tout, animant par sa présence les grands écrivains et artistes qui illustrent son règne”. Cette admiration de Voltaire paraît singulière, venant de la part du représentant le plus brillant des Lumières qui ne cessa de dénoncer l’arbitraire du pouvoir absolu de son propre siècle. Condorcet souligna ce paradoxe : “Voltaire lui reproche ses crimes, mais il laisse en paix reposer entre ses mains royales le pouvoir de les commettre”. Voltaire affirme pour sa défense, dès la première page de son livre, que ce n’est pas tant la personne du roi qui l’intéresse que l’esprit de son époque : “Ce n’est pas seulement la vie de Louis XIV qu’on prétend écrire ; on se propose un plus grand objet. On veut essayer de peindre à la postérité, non les actions d’un seul homme, mais l’esprit des hommes dans le siècle le plus éclairé qui fut jamais” (Introduction). Voltaire présenta donc son entreprise comme étant celle d’un historien, enquêtant dans les archives publiques et privées, interrogeant les témoins encore vivants, travaillant au nom de la vérité historique : “Dans un siècle aussi philosophe que le nôtre, et au milieu de tant de nations éclairées, l’on doit au public ce respect de ne dire que l’exacte vérité”. Voltaire s’appuie sur des faits en prenant soin “de ne mettre jamais son imagination à la place des réalités”. Son esprit, pourtant, emplit chaque page. On lit par exemple, à propos des guerres de Religion : “Il est affreux sans doute que l’église chrétienne ait toujours été déchirée par ses querelles, et que le sang ait coulé pendant tant de siècles par des mains qui portaient le dieu de la paix”. Quelques pages plus loin, Voltaire s’étonne que Richelieu ait pu croire à une paix après le siège de La Rochelle : “il est plus difficile d’accorder des théologiens que de faire des digues sur l’océan” (Du calvinisme).

On a remarqué depuis longtemps une étrange absence de lettre capitale dans tout l’ouvrage, excepté en tête des paragraphes : “je vois avec déplaisir, écrivait déjà à ce sujet Lord Chesterfield à son fils, Rome, Paris, La France, César, Henri IV etc. en lettres minuscules”. Voltaire renonça par la suite à cette coquetterie.

Les rares exemplaires présentés à la vente sont toujours reliés en veau ou en reliure moderne. Le fichier Berès ne signale que celui-ci, l’exemplaire Guérin, en maroquin d’époque. On ne connaît, excepté cet exemplaire-ci, aucun exemplaire relié en maroquin de l’époque à décor de dentelle. Le seul exemplaire en maroquin d’époque présenté à la vente selon RBH fut celui de la vente André Tissot-Dupont (Paris, 19 octobre 2016, lot 553). Il était relié aux armes mais en maroquin sobre. L’exemplaire de la collection Jean Bonna (cat XVIIIes, n° 175), en reliure allemande, n’a pas de provenance clairement établie. L’exemplaire proposé par la librairie Patrick Sourget (1999, n° 127) était en maroquin rouge sans décor, et sans mention de cartons.

BIBLIOGRAPHIE : 

Bengesco, I, n° 1178, p. 340 -- En français dans le texte, 154 -- François Moureau, “Voltaire, Frédéric et Le Siècle de Louis XIV” in Bulletin du bibliophile, 1994, n° 1, pp. 56-81 -- John Campbell, “Entre le ‘siècle de Louis XIV’ et le siècle des Lumières : la rhétorique voltairienne à l'œuvre”, in Littératures classiques, vol. 76, no. 3, 2011, pp. 85-97.