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Les Provinciales... Huitième édition, dans laquelle on a ajouté la Lettre d'un avocat du Parlement à un de ses amis
BEL EXEMPLAIRE RELIÉ EN MAROQUIN ROUGE DE L'ÉPOQUE POUR L’UN DES CÉLÈBRES CURIEUX, LE MARQUIS DE LA VIEUVILLE
In-12 (137 x 74mm)
COLLATION : π1 *12 A-S12 a-e12 f2
COLLATION : π1r titre, *1r : au lecteur, *10r : Lettre écrite à un provincial, S12r : Advis de Messieurs les curés de Paris, e1r : Lettre écrite par Jacques Boonen évêque de Malines, f2v : Jugement de la faculté de théologie de Louvain
RELIURE DE L'ÉPOQUE. Maroquin rouge, décor doré, armes au centre des plats, encadrement d'un triple filet doré, dos à nerfs orné, tranches dorées sur marbrure
PROVENANCE : René-François marquis de La Vieuville (1652-1719), gouverneur du Poitou, frère aîné de Jean Evangéliste, bailly de La Vieuville, éminent bibliophile
La sixième vente du fonds de la librairie Pierre Berès (Paris, 17 décembre 2007, n° 155) présentait un exemplaire de la même édition des Provinciales, également relié en maroquin rouge mais pour Louis Phélypeaux de Pontchartrain, chancelier de France. Nicolas Schouten s’était fait une spécialité des Provinciales et on connaît plusieurs éditions imprimées en 1685. L’intérêt principal et évident de cet exemplaire est de porter les armes de l’un des principaux “curieux” de son temps, pour reprendre une expression désormais consacrée, et proposer ainsi une approbation de lecture évidente et strictement contemporaine de l’édition. On se souvient de l’exemplaire des Provinciales en quatre langues (1684) reliées plus tardivement pour le comte d’Hoym de la vente Ortiz-Patino (Paris, 14 décembre 2022, n° 58, €9.450)
Ce texte de Blaise Pascal, à la fois classique et capital, comprend dix-huit pièces, suivies d'une dix-neuvième touchant l’inquisition qu’on veut établir en France à l’occasion de la nouvelle bulle du pape Alexandre VII, due à Lemaistre de Sacy et Pascal. Ces lettres anonymes, imprimées au fur et à mesure de leur composition, ont été publiées entre le 23 janvier 1656 et le 24 mai 1657, puis réunies en recueil probablement par les soins de Nicole. Sous cette forme, elles reçurent un titre d'ensemble et le nom d'un auteur imaginaire, Louis de Montalte. En quelques années, il en parut non seulement des éditions complètes mais aussi des traductions latine et anglaise. Les éditions se multiplièrent au long du XVIIe siècle faisant de ce joyau de langue un immense succès éditorial.
C'est après la célèbre nuit du 23 novembre 1654, dont Pascal a conservé le souvenir dans le Mémorial, que l'écrivain, entré en janvier 1655 à Port Royal, apporte aux "solitaires" sa culture profane nourrie des philosophes plus que des théologiens, et tout son génie, comme en témoigne l'Entretien avec M. de Sacy. Sa culture laïque permet à Pascal, pour le plus grand bénéfice des messieurs de Port Royal, de s'adresser au monde en général, de l'émouvoir et de le convaincre, et d'exposer à un vaste public les problèmes qui semblaient par leur nature n'être qu'affaire de spécialistes.
En 1655, le duc de Liancourt, connu pour sa grande piété, se vit refuser la confession par le prêtre de Saint-Sulpice à cause de ses attaches avec la communauté de Port Royal. Arnaud fut chargé de rédiger une lettre publique, qui parut en février 1655, pour stigmatiser la conduite du prêtre et où il réfutait les raisons données par les ennemis de Port Royal pour tenter d'exclure ce mouvement de l'Église.
La protestation d'Arnaud fut attaquée par des pamphlets injurieux et une querelle s'ensuivit autour de l'Augustinus de Jansenius, condamné à Rome en 1653 ; Arnaud, déféré en Sorbonne devant la Faculté de Théologie, fut condamné tant sur la question de fait que sur celle de droit, ayant été censuré par une assemblée régulièrement constituée composée de plus de quarante docteurs des ordres mendiants au lieu des huit qui avaient droit d'y assister. Ces messieurs de Port Royal passèrent dès lors pour être hérétiques. Arnaud composa une réponse qui ne parut pas satisfaisante et se tourna alors vers le jeune Pascal qui connaissait, mieux que lui, les moyens d'atteindre le public.
Un succès prodigieux salua la première Lettre écrite par un provincial à un de ses amis sur le sujet des disputes présentes de la Sorbonne. Pascal y raillait la Sorbonne et le texte fut censuré. Pour chercher noise à Port Royal, tous les prétextes étaient bons. Le 29 janvier, Pascal, installé en face du collège de Clermont, avec tous les documents d'Arnaud, achevait sa seconde Provinciale. Le propos de la grâce et la lecture de l'Évangile donnaient lieu à toutes les confusions et la censure prononcée contre Arnaud était injuste et absurde, puisqu'on lui reprochait d'avancer une proposition tirée de l'Église et appuyée par les Pères de l'Église.
Pascal arrêta la polémique après la dix-huitième lettre. La lutte avait duré deux années et les Provinciales, définitivement condamnées par le parlement de Provence, furent mises à l'index. En 1660, un rapport d'une commission ecclésiastique au Conseil d'État faisait brûler la traduction latine du livre faite par Nicole, où l'on craignait de trouver une note de celui-ci injurieuse pour la mémoire de Louis XIII.
Mais les jansénistes triomphaient cependant de leurs adversaires jésuites. Ils avaient mis au jour les ressorts de leur politique et exposé devant un immense public leurs "chicaneries" ; c'était cela qui comptait et cela était l'œuvre personnelle de Pascal. Les autorités ecclésiastiques ne pouvaient que condamner la morale relâchée des casuistes, donc des jésuites.
Cette œuvre, qui exprime la polémique d'une époque, n'a pas eu le sort des pamphlets de son temps, sans doute parce que Pascal, avec son génie, s'est posé les problèmes essentiels et a élevé le débat au point qu'il intéresse l'homme de tous les temps. C'est surtout parce que les Provinciales sont un des plus purs chefs-d'œuvre de la langue française. Voltaire, dans Le Siècle de Louis XIV, les a appelées le premier livre de génie qu'on vit en prose, ajoutant que les premières lettres, valent les meilleures comédies de Molière.
J. H. Basse, Monographie des éditions des Lettres provinciales par Blaise Pascal, Paris, Téchener, 1878, p. 30, n° 47, qualifiée d’“édition française” -- voir aussi sur les La Vieuville bibliophiles : Reliures françaises du XVIIe siècle. Chefs-d’œvres du Musée Condé, Paris, 2002