8 000 €
Acheter
Estimation d'un livre ou d'un manuscrit
PASCAL, Blaise

Les Provinciales ou les lettres escrites par Louis de Montalte à un Provincial de se amis & aux RR. PP. Jésuites : sur le sujet de la Morale, & de la Politique de ces Pères

Cologne, Pierre Vallée, 1657

UN CHEF-D'ŒUVRE DE LA LANGUE FRANÇAISE : L’ÉDITION ORIGINALE DES PROVINCIALES AVEC LA LETTRE AU R. P. ANNAT DE PASCAL ÉGALEMENT EN ORIGINALE ET HUIT AUTRES PIÈCES DE LA GRANDE POLÉMIQUE ENTRE JANSÉNISTES ET JÉSUITES.

REMARQUABLE EXEMPLAIRE RELIÉ À L’ÉPOQUE EN VEAU MOUCHETÉ

ÉDITION ORIGINALE, PREMIER ÉTAT

In-4 (242 x 170mm). Fleuron gravé et imprimé sur la page de titre, initiales gravées sur bois
PREMIER ÉTAT : Advertissement écrit comme tel et non Avertissement, avec mention de “XVII. lettres” seulement et non XVIII, avec la Réfutation de la réponse à la douzième lettre (reliée après la Douzième lettre), avec la Dix-septième lettre en 8 pages et non 12 ce qui correspond à l’état le “plus recherché” (cf. Tchemerzine-Scheler et ill.)
COLLATION et CONTENU : 1 f. de titre, 3 ff. n. ch. pour l’Advertissement et le Rondeau aux RR. PP. Jésuites, [Première Lettre :] 23 janvier 1656, A4 : 8 pp. ; Seconde lettre… 29 février 1656 : 8 pp. ; Response du provincial aux deux premières Lettres et au verso Troisième Lettre… 9 février 1656, 8 pp. ; Quatrième Lettre… le 25 février 1656 : 8 pp. ; Cinquième lettre… le 20 mars 1656 : 8 pp. ; Sixième lettre… ce 10 avril 1656 : 8 pp. ; Septième lettre… ce 25 avril 1656 : 8 pp. ; Huitième lettre… ce 28 mai 1656 : 8 pp. ; Neuvième lettre… ce 3 juillet 1656 : 8 pp. ; Dixième lettre… ce 2 août 1656 ; Onzième lettre… du 18 août 1656 : 8 pp. ; Douzième lettre… du 9 septembre 1656 : 8 pp. : Réfutation de la réponse à la douzième lettre : 8 pp. ; Treizième lettre… du 30 septembre 1656 : 8 pp. ; Quatorzième lettre… du 23 octobre 1656 : 8 pp. ; Quinzième lettre… du 25 novembre 1656 : 8 pp. ; Seizième lettre… du 4 décembre 1656 : 12 pp. ; Dix-septième lettre… ce 23 janvier 1657 : 8 pp. en PREMIER ÉTAT ; Dix-huitième lettre… le 24 mars 1657

PIÈCES JOINTES :
1. Blaise PASCAL, Lettre au R. P. Annat sur son escrit qui a pour titre, La bonne foy des Jansenistes, s. d. [1657]. ÉDITION ORIGINALE. 8 pp. Une édition en 4 pp. est datée du 15 janvier 1657 à la dernière page. Maire décrit une édition en 8 pp. sans date (II., I., p. 123). Tchemerzine, V, p. 65, n° 7 ;
2. Antoine ARNAULD et Pierre NICOLE. Advis de Messieurs les Curez de Paris à Messieurs les Curez des autres Diocèses de France sur les mauvaises maximes de quelques nouveaux casuistes. Paris, 1656. ÉDITION ORIGINALE. [1]-8-[4]-20 pp. Aux 20 dernières pp. : "Extrait de quelques-unes des plus dangereuses propositions de la morale de plusieurs nouveaux casuistes, fidelement tirées de leurs ouvrages". Tchemerzine, V, p. 64, n° 4
3. Jean ROUSSE et Antoine DUPUY. Suite de l’extrait de plusieurs mauvaises propositions des nouveaux casuistes recueillies par Messieurs les Curez de Paris et présentées à Nosseigneurs de l’Assemblée générale du Clergé de France le 14 novembre 1656. Paris, 1656. 1 f. n. ch. 8 pp.
4. [Juan de CARAMUEL y LOBKOWITZ]. Principes et suites de la probabilité expliquez par Caramouel, l’un des plus célèbres entre les Casuistes nouveaux, dans un livre imprimé en 1652, intitulé Theologia fundamentalis. Bruxelles, M. de Bossuyt, 1655. 18 pp.
5. [Antoine ESCOBAR y MENDOZA]. Extrait de plusieurs dangereuses propositions tirées… du premier tome… de la "Nouvelle théologie morale" d'Escobar… [s. l., 1652-1656 ?].14 pp. 1 f. n. ch. d’errata
6. Jean ROUSSE. Sommaire de la harangue de Messieurs les Curez de Paris prononcée par M. Rousse curé de Saint Roch… sur leur Advis envoyé aux Curés des autres diocèses contre la pernicieuse morale des quelques nouveaux casuistes. Paris, 1656. ÉDITION ORIGINALE. 1 f. n. ch. 6 pp.
7. Jacob BOONEN. Epistola illustrissimi… D. D. Jacobi Boonen… ad Eminentissimos Cardinales Inquisitionis Romanae praefectos, à Jesuitis adversus eumdem interpellatos. 1 f. n. ch. 6 pp.
8. Charles DUFOUR. Lettre d’un ecclésiastique de Rouen à un de ses amis sur ce qui s’est passé au jugement du procès d’entre M. Dufour, abbé d’Aulney, cy-devant curé de Saint Maclou à Rouen et le P. Brisacier jésuite. [Rouen, 10 mars 1657]. 4 pp.
9. Charles DUFOUR. Lettre d’un curé de Rouen à un curé de la campagne sur le procédé des Curés de la dite ville contre la doctrine de quelques casuistes… Contre les P. Brisacier, Berard, & de La Brière. Paris, 1656. 1 f. n. ch [6 pp.]

RELIURE DE L'ÉPOQUE. Veau marbré, dos à nerfs orné et doré, tranches mouchetées
PROVENANCE : Galhault, ex-libris manuscrit du XVIIe siècle, à l’encre, sur un feuillet de garde

Quelques lettres sont légèrement brunies. Reliure restaurée

Cette œuvre, qui exprime la polémique d'une époque, n'a pas eu le sort des pamphlets de son temps. Sans doute parce que Pascal, avec son génie, s'est posé les problèmes essentiels et a élevé le débat à un point qui intéresse l'homme de tous les temps. C'est surtout parce que les Provinciales sont un des plus purs chefs-d'œuvre de la langue française. Voltaire, dans Le Siècle de Louis XIV, les a appelées le premier livre de génie qu'on vit en prose, ajoutant que les premières lettres, valent les meilleures comédies de Molière. Madame de Sévigné elle-même écrit à Gilles Ménage le 12 septembre 1656 : “J’ai lu avec plaisir la onzième lettre des jansénistes. Il me semble qu’elle est fort belle (…) Cela divertit extrêmement en tous lieux, mais particulièrement à la campagne”. Ce premier chef-d'œuvre classique avait l’apparence parfaite de l’objectivité, l'auteur disparaissant derrière son sujet en présentant un pur objet de pensée.

Comme introduction au temps polémique des Provinciales, on lira dans cet exemplaire, avec profit et délice, la cinquième pièce jointe à ce recueil. Elle est faite d’extraits d’Antoine Escobar y Mendoza, le célèbre jésuite espagnol, le P. Escobar, que Pascal cite plus de soixante fois dans les Provinciales. Dans l’Extrait de plusieurs dangereuses propositions tirées… du premier tome… de la "Nouvelle théologie morale" d'Escobar, on trouvera la transformation orientée du fameux laxisme des jésuites. Ce retournement par les jansénistes des propositions jésuites est à l’origine des ridicules que trouveront Molière, Boileau et La Fontaine : “Qu’il est permis pour conserver sa voix de se faire Eunuque”… , “En combien de manières les valets peuvent servir aux débauches de leurs maîtres”… , “Qu’il est permis de louer sa maison à des femmes perdues, que l’on sait en devoir faire un lieu de débauche”… , “Qu’un homme qui est en réputation d’être fort débauché, ne pêche pas mortellement en sollicitant une femme sans intention d’exécuter ce qu’il propose” etc. De nos jours, le meilleur exposé de ce moment polémique de l’histoire intellectuelle de la France se trouve dans les pages du catalogue de l’exposition Blaise Pascal. Le cœur et la raison tenue à la BnF en 2016-2017.

Le texte capital des Provinciales, que les contemporains du grand penseur appelaient Les Petites Lettres, comprend dix-huit pièces, dont les dix premières portent, comme suscription, Lettre écrite par un provincial à un de ses amis. L'ouvrage est suivi d’une autre lettre authentique de Pascal, la Lettre au R. P. Annat, sur son écrit qui a pour titre, La bonne foy des jansenistes.

Ces lettres anonymes, imprimées au fur et à mesure de leur composition, ont été publiées entre le 23 janvier 1656 et le 24 mai 1657, puis réunies en recueil probablement par les soins de Nicole. Sous cette forme, elles reçurent un titre d'ensemble et le nom d'un auteur imaginaire, Louis de Montalte, célèbre pseudonyme anagramme de Pascal qu’il retournera de diverses manières, dont A. Dettonville. En quelques années, il en parut non seulement des éditions complètes des Provinciales mais aussi des traductions latine et anglaise.

En 1655, le duc de Liancourt, connu pour sa grande piété, s’était vu refuser la confession par le curé de Saint-Sulpice en raison de ses attaches avec Port Royal. Antoine Arnaud fut chargé de rédiger une lettre publique, qui parut en février 1655, pour stigmatiser la conduite du prêtre et où il s'opposait aux raisons que donnaient les ennemis de Port Royal pour tenter d'exclure ce mouvement de l'Église.

La protestation d'Arnaud fut attaquée par des pamphlets injurieux et une querelle s'ensuivit autour de l'Augustinus de Jansénius, condamné à Rome en 1653. Arnaud, déféré en Sorbonne devant la Faculté de Théologie, fut condamné tant sur la question de fait que sur celle de droit, ayant été censuré par une assemblée régulièrement constituée jusqu'à plus de quarante docteurs des ordres mendiants au lieu des huit qui avaient droit d'y assister. Les Messieurs de Port Royal passèrent dès lors pour être hérétiques. Arnaud composa une réponse qui ne parut pas satisfaisante et se tourna alors vers le jeune Pascal qui connaissait, mieux que lui, les moyens d'atteindre le public.

C'est en effet après la célèbre nuit du 23 novembre 1654, dont Pascal a conservé le souvenir dans le Mémorial, que l'écrivain, entré en janvier 1655 à Port Royal, apporte aux "solitaires" sa culture profane nourrie de grandes lectures, et tout son génie, comme en témoigne l'Entretien avec M. de Sacy. Sa finesse d’esprit permet à Pascal de s'adresser au "monde", de l'émouvoir et de le convaincre, et d'exposer à un vaste public les problèmes qui semblaient par leur nature n'être qu'affaire de théologiens. Cette révélation par la langue sera tout au bénéfice des Messieurs de Port Royal. La pieuse communauté avait grand besoin d'un défenseur qui pût s'adresser au monde et le faire juge de sa cause.

La Lettre écrite par un provincial à un de ses amis sur le sujet des disputes présentes de la Sorbonne eut un succès prodigieux. Pascal y raillait la Sorbonne et la lettre fut censurée. Pour chercher noise à Port Royal, tous les prétextes étaient bons. Le 29 janvier, Pascal, installé en face du collège de Clermont, avec toutes les sources documentaires fournies par Arnaud, achevait sa seconde Provinciale. Pascal cessa la polémique après la dix-huitième lettre. La lutte dura ainsi deux années et les Provinciales, définitivement condamnées par le parlement de Provence, furent mises à l'index. En 1660, un rapport d'une commission ecclésiastique au Conseil d'État faisait brûler la traduction latine du livre faite par Nicole, où l'on craignait de trouver une note du traducteur injurieuse pour la mémoire de Louis XIII. Mais les jansénistes triomphaient de leurs adversaires jésuites. Ils avaient mis au grand jour les ressorts de leur politique et exposé devant un immense public leurs "chicaneries" ; c'était cela qui comptait et c'était cela qui était l'œuvre personnelle de Pascal.

“Ainsi la bataille que les Provinciales allaient rapidement perdre sur le terrain des idées qu’elles entendaient défendre serait en revanche un triomphe sur celui du goût : l’échec des libelles devait s’effacer devant la réalité de l’œuvre littéraire ? Le champion de la grâce efficace serait racheté par la grâce du monde.” (Jean-Marc Chatelain)

BIBLIOGRAPHIE : 

PMM 140 -- En français dans le texte, p. 120-121, n° 96 A. Tchemerzine, Bibliographie des éditions originales et rares d'auteurs français, V 62 -- Jean-Marc Chatelain, Pascal. Le cœur et la raison, 2016, n° 139 et les pp. 118-139 -- A. Maire, Bibliographie générale des œuvres de Blaise Pascal, t. II. Pascal pamphlétaire, I, pp. 106-168