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VIVIEN, Renée

Cendres et Poussières

Paris, Alphonse Lemerre, 1902

“IS THIS THE END OF LOVING ?”.

LA POÉSIE RÉPOND À LA POÉSIE.

EXTRAORDINAIRE EXEMPLAIRE DE NATALIE CLIFFORD BARNEY, ANNOTÉ PAR ELLE PUIS OFFERT À RENÉE VIVIEN.

REMARQUES, RÉFLEXIONS, COMMENTAIRES, ÉVOCATIONS ET POÈMES, MÊLANT FRANÇAIS ET ANGLAIS, LARGEMENT INÉDITS.

“THOU WHO DIDST TAKE WILD SAPPHO TO THY BREAST”.

“TA VOIX TENDRE ET DOUCE QUE J’ENTENDS ENCORE – QUE J’ENTENDRAI TOUJOURS”.

ANCIENNE COLLECTION PIERRE BERGÉ

ÉDITION ORIGINALE

In-12 (181 x 120 mm)
COLLATION : (4) ff., 120 pp., (2) ff.

ANNOTATIONS AUTOGRAPHES INÉDITES DE NATALIE CLIFFORD BARNEY À L’INTENTION DE RENÉE VIVIEN : 4 poèmes autographes (dont 2 en anglais et 2 en français), 11 annotations, 24 marques de lecture, à l’encre ou au crayon :

– p. 1 : “P. S. Je puis un peu me séparer de ce livre de toi maintenant que celui que tu m’as envoyé – trop loin – m’est revenu… Celui-ci, je l’ai eu. Je suis allée le chercher tout de suite en arrivant à Paris ce triste Vendredi du treize mai – et je crains de l’avoir un peu trop alourdi de sincérités, de retours et de tout le reste – mais au moins tu y trouveras, en guise de petits lauriers sur presque chaque page toutes mes appréciations ! – impressions, critiques… louanges… et bien d’autres choses qui ne savent s’écrire… ni se montrer… mais qui y sont cependant et profondément senties ! mais ne cherche pas tu pourrai [sic] trouver… et pourtant ne pas comprendre… ”

– p. 2 : [1er poème, 16 vers]

“… tu passas auprès de moi sans me voir
Is this the end of loving, this the fate
of things “eternal”, this the sum complete
of joys [ ???] spent, there idle feet
the feet on which love went articulate ?
And are there viewless eyes the eyes once great
with memories and sorrows ? Are all sweet
[reiterations ?] voiceless ? Is it ment
that friends should tread the sterile pathes of hate ?
The pale Forgetfulness so love the spell
of sorrow ? And of love’s large utterance ?
Lead us in ways perplexed with asphodel –
to drink of poppied sleep or kiss a rhyme
with broken heart to court Indifference
and beg of death to break the length of time
Is this the end of loving this the fate
of things eternal ?

N.C.B, Paris 16 mai 1902”

– p. 3 : “beau, mais j’aime mieux celle de ton premier volume, par préjugé… par souvenir ?”
– p. 9 : “but not the living !”
– p. 16 : [un trait marginal]
– p. 21 : [un soulignement, une accolade]
– pp. 39-40 : [trois traits marginaux]
– p. 43 : [un soulignement] ; “de jadis ceci, et je l’aime – à part, et à cause !”

– p. 47 : “oui, jolies tes nouvelles chansons, mais je ne puis bien les écouter… ou à peine… ou à cause de celles que j’entends encore me venir d’autre fois [sic]… Et hésitante entre deux musiques jouant dans mes oreilles en même temps, je m’incline vers celle du passé, car ses vibrations quoique plus lointaines semblent plus près de mon cœur” ; [un trait marginal]

– p. 48 : [une grande accolade]
– p. 51 : [un soulignement]
– p. 58 : [un double trait marginal]
– p. 67 : [un soulignement]

– p. 70 : “peut-être je ne comprends pas, mais pour moi elles n’ont pas de sang : elles sont trop pâles trop douces trop infinies. Elles sont des vies non vécues, des rêves sans souvenirs !… Et le soleil, ce feu que rien ne peut éteindre a brûlé dans leurs veines. Le sang, le sang vermeil, le conseiller des haines. L’arbitre des amours… ” ; [une flèche]

– p. 71 : [une biffure]
– p. 72 : [une accolade]
– p. 75 : [un soulignement]
– p. 80 : [une accolade, une flèche]

– p. 81 : “pleurer… ? pourquoi ? puisque : “Even she that fled, shall follow for thy sake” ! – Il ne faut pleurer que lorsque la douleur même de sa perte est morte ! ;

[2e poème, 4 vers]

[une flèche] O nuit auguste nuit, ouvrant, aux morts ta porte
Laisse passer mon songe… En gémissant j’offense
Ta paix, mais en chantant ?… Faut-il qu’elle soit morte ?
J’implore ton silence !

(t’en es-tu souvenue ?)”

– p. 82 : [3e poème, 15 vers]

“Locusta…
(et j’ai appris à l’aimer)…
Thou who didst take wild Sappho to thy breast
and smooth her glorious hair to maiden mistress,
and kiss her cool pale lids to lovely rest –
[ ?] into her handmaids, strong with weakness
to crave of the [swears ?], thou wouldn’t be [ ?] [mind ?] ?
[ ?] the least of thou, even into me
O sure magician of [ ?] souls and blind

(and in the same poem “get Eva to say it [is ?] she must be in Paris you [ ?]”)

To me wholy dark sorrow are beguiled
from all things [loved ?]… Nor in [ ???]
Let thou the passionate Lesbian flame [ ???]
Very [ ?] with eyes that recollect delight,
[ ?] I am one of those who at the most
Desire no memories ? [ ?] sleep and night
Wrap me in quietude as in a shroud
and lay me where thine organ voice swells not too loud.”

– pp. 84-85 : [deux accolades]
– p. 89 : [un double soulignement] ; “ceci me plaît et me peine infiniment car ceci me semble très vrai, très vécu. Très senti, très compris – très complet, portrait d’une qui ne l’est pas – qui est-elle ?”
– p. 90 : [deux accolades]
– p. 97 : “que ceci est beau, peut-être plus stablement beau et plus soutenu que tout le reste ! (Pardon je n’aurai [sic] pas dû mettre cette écriture si près… Cela froisse ! ou n’en prends pas garde, pas plus que d’une fleur posée sur un cercueil”
– pp. 104-105 : “( ?) je ne sais pas.”

– p. 110 : “enfin le voilà ce poème que j’aime depuis si longtemps… Car tu me l’as dit le premier soir au bois, de ta voix tendre et douce que j’entends encore – que j’entendrai toujours – ah ! ce petit – je ne t’ai pas “laissée dormir de la mort la plus belle” !… “mais que meure et s’éteigne au seuil des portes closes, l’écho triste et lointain des sanglots de jadis !”… ”

– pp. 116-117 : [4e poème, 14 vers]

“Comme un roi mendiant, comme un spectre effronté
Je pèse sur ta vie, et t’offre ma prière,
Car je souffre beaucoup !… Et je vais solitaire
Immolant mes désirs devant ta volonté…

Et lorsque je cherchais sans trouver ta bonté
J’entendis un gros rire émaner de la terre :
“L’on se souvient de vous sans souffle et sans lumière… ”
… Mais de mon cœur obscur un sanglot est monté :

O vivants, comme moi, fouillez dans les décombres,
Voyez la douce morte heureuse entre ses ombres,
Voyez la douce morte une auréole au front !…
Regarde on a pleuré sur cette paix livide ;
Enviez ses yeux clos de ton regard profond
Enviez ces fleurs toi qui va [sic] les mains vides !”

RELIURE DE L’ÉPOQUE POUR RENÉE VIVIEN. Dos à nerfs et coins de maroquin violet, tête dorée, non rogné
PROVENANCE : Natalie Clifford Barney (1876-1972), annotations destinées à -- Renée Vivien (1877-1909 ; reliure) -- Pierre Bergé (1930-2017 ; ex-libris ; Sotheby’s Paris, vente online, 28 octobre 2024, n° 227, €19.376)

Petite déchirure sans manque aux pp. 83-84, quelques-unes des notes ont très légèrement déchargé. Très légers frottements à la reliure, dos fané

Natalie Clifford Barney ne reçut pas tout de suite l’exemplaire dédicacé (voir livre n° 1). Entre-temps, elle était déjà rentrée en France. Aussitôt arrivée à Paris, en mai 1902, elle s’empressa d’aller acheter un autre exemplaire de Cendres et Poussières, celui-ci :

“je puis un peu me séparer de ce livre de toi maintenant que celui que tu m’as envoyé – trop loin – m’est revenu… Celui-ci, je l’ai eu. Je suis allée le chercher tout de suite en arrivant à Paris… ” (annotation p. 1).

Désireuse de reconquérir Renée Vivien, cette dernière refusant de la voir, Natalie Barney décida alors de lui faire parvenir le présent exemplaire, enrichi de notes et de poèmes à son intention, dans un ample geste scriptural de repentir amoureux :

“je crains de l’avoir un peu trop alourdi de sincérités, de retours et de tout le reste – mais au moins tu y trouveras, en guise de petits lauriers sur presque chaque page toutes mes appréciations ! – impressions, critiques… louanges… et bien d’autres choses qui ne savent s’écrire… ni se montrer… mais qui y sont cependant et profondément senties ! mais ne cherche pas tu pourrai [sic] trouver… et pourtant ne pas comprendre… ” (annotation p. 1).

Les nombreuses marques de lecture témoignent aussi de l’émotion avec laquelle Barney lut et apprécia les poèmes. Cela permit une très brève reconquête, avant la rupture définitive qui ne tarda pas.

On trouve dans ce recueil le poème “Lassitude”, composé environ trois ans plus tôt. En novembre 1899, lors de leur première rencontre au bois de Boulogne, ce sont les vers de ce poème que Renée Vivien lui avait récités et dont les mots devaient allumer la première étincelle d’une intense passion :

“enfin le voilà ce poème que j’aime depuis si longtemps… Car tu me l’as dit le premier soir au bois, de ta voix tendre et douce que j’entends encore – que j’entendrai toujours” (annotation p. 110).

L’exemplaire fut offert broché à Renée Vivien, qui le fit relier en violet. Son obsession pour cette couleur – elle qu’on surnommait la “muse des violettes” (ou la “muse aux violettes”) – venait à la fois de son amour pour la fleur et du souvenir entêtant et irremplaçable d’une amie d’enfance, Violet Shillito (1877-1901). La preuve de cet attachement est matérialisée par le livre suivant : Du Vert au Violet.

BIBLIOGRAPHIE : 

N. Clifford Barney, Aventures de l’esprit, Paris, 1983 -- N. Clifford Barney, Souvenirs indiscrets, Paris, 1983 -- J.-P. Goujon, Tes Blessures sont plus douces que leurs caresses. Vie de Renée Vivien, Paris, 1986 -- M.-A. Bartholomot Bessou, L’Imaginaire du féminin dans l’œuvre de Renée Vivien. De mémoires en Mémoire, Clermont-Ferrand, 2004 -- D. Holmes et C. Tarr (dirs.), A ‘Belle Époque’ ? Women in French Society and Culture. 1890-1914, New York-Oxford, 2007, pp. 225 et suiv.-- N. G. Albert (dir.), Renée Vivien à rebours, Paris, 2009