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[HOMÈRE]. EUSTATHIUS (Archevêque de Thessalonique, dernière moitié du XIIe siècle)

Commentarii in Homeri Iliadem et Odysseam, en Grec. Édité par Nicolaus Majoranus

Rome, [Antonio Blado], 1542-1550

L’ILIADE ET L’ODYSSÉE COMMENTÉS PAR EUSTATHE : CHEF-D’ŒUVRE DES GRANDES IMPRESSIONS EN GREC.

BEL EXEMPLAIRE DES DUCS DE LUYNES À DAMPIERRE, DANS UNE CONDITION DE RELIURE REMARQUABLE DE FRAÎCHEUR : PAR THOUVENIN.

ÉDITION PRINCEPS des commentaires de Homère, imprimés avec le texte de l’Iliade et de l’Odyssée

4 volumes in-folio (320 x 216mm). Deux caractères grecs différents. Caractères romains, italiques. 4 pages de titre, 3 diagrammes dans le texte au tome I
COLLATION : (vol. 1) : π2 α-ω62α-ρ62σ82τ-ω63α-β63γ8 : 312 feuillets dont 2σ8 et 2τ1 blancs, α1r-3γ8v paginés 1-620 ; (vol. 2) : π1 2α-ω63α-ω64α-ο6, 2α1r-4o5v paginés 621-1376, le dernier feuillet est blanc, avec omission sans manque des numéros de page 1027-1028 (l’exemplaire de Northwestern University digitalisé sur Hathitrust ne présente pas de page de titre) ; (vol. 3) : Α-Ω62A-Ω63A63B4, A2r-3B3v paginés 1379-1970 [en réalité 1968 suite à l’omission précédente], sans le dernier feuillet blanc, mais avec la page de titre en A1r qui porte un privilège de Jules III daté de 1550 ; (vol. 4) : π1 +6 1-34⁶, avec le dernier feuillet blanc mais sans le cahier + en 6 feuillets présentant les privilèges donnés par Charles Quint et Henri II, et la dédicace de Nicolaus Maioranus à Jules II, au verso de la page de titre figure ici le privilège de Jules III daté de 1550
CONTENU : π1r : titre daté 1542 avec marque typographique, π1v : blanc, π2r : avis “aux studieux” (Legrand) : Studiosis…., α1r
RELIURES SIGNÉES DE THOUVENIN. Veau fauve, décor doré d’un triple encadrement de filets sur les plats, dos à nerfs ornés et dorés, tranches marbrées
PROVENANCE : ducs de Luynes à Dampierre (étiquette bleue datable des années 1820, dans l’angle des contreplats, portant une cote à l’encre : “1777/1-4”) -- par descendance familiale

Feuillets 3θ3.4 légèrement plus courts en pied sans être pour autant réinsérés, sans le cahier + de privilèges et dédicace au quatrième volume. Certaines charnières affaiblies

Cet exemplaire présente la particularité de posséder quatre pages de titres alors que l’on en rencontre habituellement que trois comme pour les exemplaires passés chez Sotheby’s (Londres, 7 juin 2017, lot 151) et Christie’s (Londres, 13 juin 2002, lot 30). Mais il lui manque les six feuillets de privilèges et dédicace au volume IV. En cela, il reproduit la structure de l’exemplaire de la librairie Hesketh and Ward présenté dans un catalogue de 1978 (fichier Berès). Le volume 2 digitalisé sur Hathitrust n’offre pas de page de titre (cf. https://babel.hathitrust.org/cgi/pt ?id=ien.35552000250349&seq=5) alors qu’ici elle est imprimée sur un feuillet isolé en π1. Le splendide exemplaire des quatre volumes en reliure à la grecque réalisée pour Henri II et conservé à la BnF ne présente qu’une seule page de titre, celle de l’index (cf. https://catalogue.bnf.fr/ark :/12148/cb304107544). Hormis le corps de texte lui-même qui est ici complet, les pièces supplémentaires présentées par les feuillets de titre, dédicace ou privilège peuvent donc varier d’un exemplaire à l’autre.

Ce livre célèbre est le plus bel exemple de la translation réussie à Rome de la tradition vénitienne des imprimeurs humanistes comme Alde Manuce et Zacharias Calliergis. L’activité concertée du cardinal Marcello Cervini (futur pape Marcel) et de l’imprimeur Antoine Blado aboutira à la création de la typographie vaticane.

Le texte d’Eustathe (v. 1150), connu comme l’homme le plus savant de son siècle et immense commentateur de Homère, était très attendu des amateurs. À chaque génération d’humanistes on annonçait sa publication. Il avait en effet réussi à faire entrer dans son commentaire sur Homère toute la matière élaborée par les grammairiens et commentateurs plus anciens. Érasme (1466-1536) le connaissait par un manuscrit qu’il avait utilisé à Venise. Après diverses tentatives, c’est Mathieu Devaris (1501-1570), élève de Jean Lascaris (1445-1535) et secrétaire du cardinal Ridolfi (1501-1550), qui mena à bien cette édition. Il utilisa les travaux préparatoires d’Arsenios Apostolis (1468-1535) pour le texte, et il compila les index du volume IV.

Ces quatre tomes sont imprimés dans un nouveau caractère grec inspiré de celui d’Alde Manuce. En réalité, il y eut deux gravures de caractères grecs tant la tâche était énorme et dura longtemps. Il y eut un grec 1. pour le volume I, gravé par Nicolà Sofiano, et un grec 2. pour les autres volumes, dessiné par Giovanni Onorio da Maglie qui était scriptor græcus, on dirait conservateur des manuscrits, à la Bibliothèque vaticane (cf. son manuscrit du commentaire d’Eustathe sur la Périégèse de Denys relié pour François Ier : https://archivesetmanuscrits.bnf.fr/ark :/12148/cc96510z). Les caractères furent gravés en deux tailles, une grande pour le texte et une plus petite pour le commentaire.

Notre ami René de Niclolaÿ nous écrit le présent texte :

"Né en 1115, mort en 1195, Eustathe est le principal acteur de la Renaissance byzantine sous la dynastie des Comnènes (1081-1185). Moine, puis diacre à Sainte-Sophie, il y enseigne la rhétorique. À partir de 1175 il est archevêque de Thessalonique, deuxième ville de l’Empire. Son oeuvre offre un témoignage de premier plan sur Byzance à son époque : il rédige notamment le discours funèbre pour l’empereur Manuel Ier Comnène, qui régna de 1143 à 1180, rétablissant l’Empire dans les Balkans, en Anatolie et face aux Croisés, ainsi qu’un récit de la prise de Thessalonique par les Normands en 1185. Les sources mentionnent sa grande popularité à Thessalonique, dans ces circonstances difficiles.

Très pieux, il est également le plus grand lettré de son temps. Selon une oraison funèbre, « tous les jeunes étudiant la littérature cherchaient sa compagnie, et sa maison était un temple des Muses, une Académie, un Portique et un Péripatos ».[1] À la demande de ses étudiants, il rassemble la somme des connaissances de son temps sur Homère et Pindare dans ses « Commentaires » (parekbolai). Ses Commentaires sur Aristophane ont été perdus.

Aujourd’hui encore, les Commentaires d’Eustathe renseignent sur des expressions, des réalités, des allusions qu’on trouve dans la littérature grecque. Un exemple suffira : le récent livre d’André Laks sur les Lois de Platon (Plato’s Second Republic, Princeton University Press, 2023) utilise Eustathe pour comprendre l’expression « ligne sacrée » que Platon utilise dans son dialogue.

Les Commentaires d’Eustathe sont aussi révélateurs d’une façon de lire le Poète. Dans ses Commentaires à l’Odyssée, Eustathe défend Homère : ses récits sur Éole, les Cimmériens et Calypso ont, dit-il, un fondement réel. Éole, par exemple, est un marin expert : Homère n’a fait qu’exagérer en le représentant capturant les vents. L’Odyssée enseigne la vertu : Pénélope est récompensée pour sa fidélité, les prétendants punis pour leur injustice."

[1] N. Wilson, Scholars of Byzantium, 1983, p. 197.

BIBLIOGRAPHIE : 

J.-C. Brunet, Manuel, III, col. 277 -- USTC 828521 -- Adams E-1107 -- Mortimer, Italian, n° 176 -- E. Legrand, Bibliographie hellénique, Paris, Leroux, 1885, vol. 1, pp. 237-238, n° 101
WEBOGRAPHIE : pour un exemplaire digitalisé du quatrième volume : https://babel.hathitrust.org/cgi/pt ?id=ien.35552000250448&seq=16 -- Legrand disponible sur : https://anemi.lib.uoc.gr/metadata/7/a/e/metadata-01-0000763.tkl