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Fantômes parisiens. - [Sept vieillards]. [Manuscrit autographe]
SUPERBE MANUSCRIT AUTOGRAPHE D’UN DES PLUS BEAUX ET PLUS LONGS POÈMES DE CHARLES BAUDELAIRE.
SEUL POÈME DE BAUDELAIRE, AUJOURD’HUI CONNU ET EN MAINS PRIVÉES, “ENLUMINÉ” (CLAUDE PICHOIS) D’UN DESSIN ORIGINAL DU POÈTE.
LÀ OÙ L’IMAGE ET LE DESSIN PROLONGENT LE VERBE ET LA POÉSIE
3 pages sur 2 feuillets in-folio (271 x 210mm). Un titre, 14 strophes de 4 alexandrins, soit 56 vers, à l’encre brune, 9 ratures dont une strophe de quatre alexandrins barrée.
DESSIN ORIGINAL DE CHARLES BAUDELAIRE. Dessin à l’encre d’un trois-mâts voguant dans les vagues (70 x 170mm)
CORRECTIONS autographes : “spectre” pour “fantômes” (v. 2), “allongeait” pour “augmentait” (v. 6), “aspect” pour “habit” (v. 15), “sinistre vieillard” pour “vieillard” monstrueux” et “néfaste vieillard” (v. 36), “Ces sept monstres” pour “tous ces monstres” (v. 40), “vainement” barré (v. 49), et l’avant-dernière strophe également barrée
PREMIÈRE ANNOTATION autographe de Baudelaire à l’encre, sous le dessin, adressée à Alphonse de Calonne : “Gardez les différentes versions. Je ferai la bonne chez vous.”
DEUXIÈME ANNOTATION autographe de Baudelaire au crayon à papier, sous la précédente, adressée à Alphonse de Calonne : “Merci pour vos bons arrangements. Si vous n’avez pas reçu de copie hier, c’était parce qu’il fallait que je susse d’abord s’il y avait lieu de recommencer pour boucher une lacune”
EN FEUILLES. Chemise-étui en maroquin brun de Maylander
PROVENANCE : Alphonse de Calonne (1818-1902), directeur de la Revue contemporaine (attribution quasi certaine donnée par Claude Pichois) -- [Collection anonyme]. Autographes d’écrivains, peintres [… ], Paris, 21 janvier 1878, exp. Charavay, n° 14 : “Fantômes parisiens, pièce de vers autographe, avec ratures et corrections… terminée par un dessin représentant un navire battu par les flots” (provenance citée dans L’Atelier des Fleurs du Mal, 2005, p. 473) -- Londres, Sotheby’s, 27 avril 1971, n° 299, avec illustration, £4.000 -- Pierre Berès -- “La localisation de ce manuscrit est indéterminée” (Pichois, 2003), mais : acquis chez Pierre Berès
Le manuscrit de Fantômes parisiens
Les deux séjours de Charles Baudelaire à Honfleur de la fin janvier à la mi-juin 1859 furent l’une des périodes les plus fructueuses de sa vie de poète. Il publia Le Voyage et L’Albatros dans un placard imprimé à Honfleur, en février, et composa deux longs poèmes, Les Sept Vieillards et Les Petites Vieilles. Il envisagea un temps de rassembler ces deux derniers poèmes sous un titre générique, Fantômes parisiens, en y intégrant peut-être un troisième poème, Le Cygne. Les trois poèmes seront dédicacés à Victor Hugo dont Baudelaire espérait obtenir une préface pour sa plaquette sur Théophile Gautier (1859). L’idée d’une série est rapidement abandonnée. Ils seront intégrés à la section des Tableaux parisiens de l’édition des Fleurs du Mal de 1861. Les poèmes parurent d’abord le 15 septembre 1859 dans la Revue contemporaine, dirigée par Alphonse de Calonne.
On connaît quatre manuscrits autographes de Fantômes parisiens-Sept vieillards :
1. Manuscrit coté “A” par Pichois et Dupont (2005). Envoyé au directeur de la Revue française, Jean Morel, en juin 1859. Il a été amputé du début et de la fin. Vendu dans une vente du 11 novembre 1974, au château de Béranger, à Sassenage -- acquis en 1975 par la Lilly Library de l’Université d’Indiana (Bloomington, cote : LMC 1391)
2. Manuscrit coté “B” par Pichois et Dupont (2005). Envoyé au directeur de la Revue contemporaine, Alphonse de Calonne. Le manuscrit a ensuite appartenu à Philippe Burty (9-14 mars 1891) : “2 pp. petit in-4”. Sa localisation actuelle est aujourd’hui inconnue. Très peu de modifications par rapport à “A”.
3. Manuscrit coté “C” par Pichois et Dupont (2005, le présent autographe). Il porte encore le titre générique Fantômes parisiens (coté “Z” par Pichois dans les Œuvres complètes, 1975)
4. Manuscrit coté “D” par Pichois et Dupont (2005). Envoyé à Victor Hugo. Ancienne collection Stefan Zweig (manuscrit coté “ZA” par Pichois dans les Œuvres complètes, 1975), conservé à la British Library (cote : Zweig Ms. 136)
L’annotation au crayon de Baudelaire à la fin du manuscrit (“C”) permet de comprendre qu’il l’adressa à Alphonse de Calonne, le directeur de la Revue contemporaine :
Cette version du poème étant très proche de celle que publiera le 15 septembre 1859 la Revue contemporaine, on peut supposer que c’est à Calonne que fut adressé le manuscrit, aussi bien que les versions antérieures [Manuscrit “B”] auxquelles fait allusion la première des deux notes “explicatives” de la
fin (“Gardez les différentes versions. Je ferai la bonne chez vous”) ; ces divers envois ont dû être faits entre le 20 juillet et le milieu d’août. Quant à la seconde note autographe - séparée de la première par un trait, et écrite au crayon (donc ajoutée à un autre moment que celui où fut copié le poème) -, elle pourrait concerner le manuscrit d’Un mangeur d’opium, que devait publier Calonne les 15 et 31 janvier 1860… Par rapport au manuscrit antérieur, le travail est ici beaucoup plus poussé” (Leakey et Pichois, 1973).
Le dessin du navire : Baudelaire dessinateur
Ce manuscrit de Fantômes parisiens, l’un des deux en mains privées, est assurément le plus beau des quatre manuscrits recensés. Pichois rappelle qu’il est le “seul manuscrit enluminé de ce vaisseau qui sombre, image de sa raison [celle de Baudelaire] en perdition”. Il fut très tôt reproduit, l’année même de la mort de Baudelaire, en 1867, dans l’Album autographique, mais seulement en partie, et de façon fautive : “il n’a longtemps été connu que par des reproductions partielles des deux dernières strophes, du dessin à la plume, et d’une des deux notes écrites par Baudelaire au bas de la dernière page” (Pichois et Dupont, 2005). Une signature de Baudelaire, qui n’existe pas dans l’autographe original, a été rajoutée dans la reproduction de la revue, et répercutée dans les publications postérieures. Pichois put consulter l’autographe ou sa reproduction lors de sa vente à Londres en 1971 - près de cent ans après sa disparition - puisqu’il le reproduit correctement (bien que toujours la seule page du dessin) dans l’Album
Baudelaire de la Pléiade (1974).
Quand on parcourt l’œuvre dessinée de Baudelaire, il ne fait aucun doute que le poète des Fleurs du Mal se doublait d’un grand dessinateur. Parmi la trentaine de dessins et croquis réalisés par Baudelaire, aujourd’hui connus, que recensent Pichois et Avice, seuls deux accompagnent des poèmes : le portrait épigraphique d’une femme au-dessus d’un poème intitulé Les Yeux de Berthe (Bibliothèque
Jacques Doucet) et celui-ci. Ce manuscrit de Fantômes parisiens est donc le seul aujourd’hui connu, et en mains privées, d’un poème que Baudelaire prolongea d’un dessin. Prolongea et non pas illustra : Baudelaire parlera même de “dépassement” à Victor Hugo (voir infra). Les lignes du dessin découlent - ou dérivent - naturellement des derniers vers du poème, dans une rêverie ou une “fièvre” de Baudelaire que Pichois attribue à l’opium :
“la fièvre du vers 50 devient une “tempête”… Sans cette amplification nouvelle donnée à l’image finale, Baudelaire aurait-il pensé à ajouter, à la fin de sa transcription du poème, ce petit dessin si robuste et vigoureux, du navire battu par les flots ?” (Pichois et Leakey, 2005).
Le poème devient dessin et le dessin devient poème : dans son format même et son emplacement sur la page, le “navire battu par les flots” occupe exactement l’espace d’une strophe.
Le poème
Ce poème, l’un des plus longs de Baudelaire, est aussi l’un des plus extraordinaires et des plus ambitieux qu’il ait jamais écrits : Baudelaire confie à Victor Hugo, qui en est le dédicataire dans l’édition de 1861, que ces vers “se jouaient depuis longtemps dans [s]on cerveau” et qu’il a “réussi à dépasser les limites assignées à la Poésie”. Quelles sont ces limites dépassées ? Victor Hugo lui répond par une formule devenue célèbre : “Que faites-vous ? Vous marchez. Vous allez en avant. Vous dotez le ciel de l’art d’on ne sait quel rayon macabre. Vous créez un frisson nouveau” (6 octobre 1859).
Le fantastique conduit ce poème. Le poète – ou le locuteur – déambule dans une ville fantomatique. À la quatrième strophe surgit “tout à coup” un vieillard, puis six autres “spectres” semblables, vision infernale conduisant l’âme du poète à la dérive. Baudelaire se tient, avec ce poème, entre Gérard de Nerval, Edgar Poe et Arthur Rimbaud, au seuil d’un espace nouveau, “vers un but inconnu” (huitième strophe). On entend en plusieurs endroits de Fantômes parisiens des résonances avec la dérive du futur Bateau ivre : les “sèves” (v. 3) qui seront des “sèves inouïes” chez Rimbaud, la rivière (v. 7) qui deviendra un “fleuve”. Le vers final - celui qu’illustre le dessin - est le plus explicite : “Sans mâts, sur une mer noire, énorme et sans bords”. Claude Pichois note cette parenté entre le poème de Baudelaire et le grand poème de Rimbaud :
“C’est une hallucination – non une allégorie – que ce poème nous livre, comme le prouvent aussi bien le titre collectif et la première strophe que la dernière strophe, où prend naissance Le Bateau ivre de Rimbaud… Peut-être cette hallucination fut-elle provoquée par l’opium ou par le souvenir de l’opium : la
couleur jaune (v. 9 et 13) tend à le suggérer. Peut-être aussi par le seul effet d’une solitude angoissée : “Le meilleur commentaire des Sept vieillards, ce sont, dans les Cahiers de MalteLaurids Brigge, certaines images où Rilke a décrit, de façon saisissante, l’angoisse hallucinée de l’homme seul”
Ce manuscrit ne figure pas au répertoire des Biens spoliés ni dans son Supplément.
Felix W. Leakey et Claude Pichois. “Les sept versions des Sept vieillards”, in Études baudelairiennes, vol. 3, 1973, pp. 262 et suiv. : www.jstor.org/stable/45074201 -- Baudelaire, Œuvres complètes, Paris, 1975, I, pp. 87 et 1009 -- Claude Pichois, Jacques Dupont, L’Atelier de Baudelaire-Les Fleurs du mal, Paris, 2005, p. 465 et suiv.
WEBOGRAPHIE : pour le manuscrit envoyé à Victor Hugo, ayant ensuite appartenu à Stefan Zweig et aujourd’hui conservé à la British Library : https://www.bl.uk/manuscripts/Viewer.aspx ?ref=zweig_ms_136_f001r#
ICONOGRAPHIE : Première reproduction : Album autographique, l’Art à Paris en 1867, 14e livraison : https://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k1508807h/f141.item -- Claude Pichois et François Ruchon, Iconographie de Charles Baudelaire, Genève, Pierre Cailler, 1960, pl. 200 -- Album Baudelaire, Paris, Gallimard, coll. de la Pléiade, 1974, n° 279 (avec la signature de Baudelaire indûment ajoutée par l’éditeur), p. 197 -- Claude Pichois, Jean-Paul Avice, Les Dessins de Baudelaire, Paris, 2003, n° 39, p. 53
Nous remercions M. André Guyaux pour ses conseils