



Rechercher / Vendre ce livre
Estimation d'un livre ou d'un manuscrit
Je ne vous écris pas, mais les oreilles doivent vous tinter
LETTRE AUTOGRAPHE SIGNÉE DE STÉPHANE MALLARMÉ À ARTHUR O’SHAUGHNESSY
[6 pp. in-8, encre brune :]
“Mon cher ami,
Je ne vous écris pas, mais les oreilles doivent vous tinter, chaque fois que nous parlons de vous à la maison : c’est-à-dire aussi fréquemment qu’un timbre télégraphique. Il n’y a de lettres selon moi que les lettres d’affaires ; car sont seuls nos amis ceux-là sur la confiance de qui nous pouvons compter, même parmi le silence le plus complet, c’est-à-dire celui où l’on aime à vivre pour travailler. Tel est le secret de mon mutisme ; non que j’écrive d’autre part des lettres d’affaires, car de ce côté ma vie va horriblement mal (comme cela a lieu pour tout homme qui s’isole et prépare son œuvre) : mais j’ai cette consolation que mon labeur avance et que l’avenir, au point de vue de la réussite intellectuelle, s’éclaircit. Atteindrai-je vivant et point mort de faim, le but que je me suis tracé ? Ténèbres.
Autour de moi tout le monde se demande : “Et O’Shaughnessy ?” Vous rappelez-vous des projets de campagne que vous faisiez l’an dernier ? Nous allons partir, nous autres, pour les environs de Fontainebleau ; dans de bien piètres conditions, mais enfin pour y respirer l’air, ce qui est un peu vivre. Je ne vois personne que Manet qui ne vous oublie pas. Madame Manet, quand je la rencontre, me parle de vous amicalement. L’autre jour, j’ai poussé jusque chez Cladel, qui habite maintenant sur le bord du chemin de fer de Paris à Versailles, dans la verdure : là encore votre nom a été souvent prononcé. Je me rappelle même que cet ami m’a chargé pour vous d’une petite commission, la voici. William Ludlow, Paternoster square, je crois, éditeur anglais, devait lui faire traduire un volume, les Va-nu-pieds ou le Bouscassié : il a fait, paraît-il, des affaires telles qu’il ne peut donner suite à ce projet entamé…
Connaîtriez-vous un autre éditeur qui pût tenter une opération du même genre ? Sur un mot de réponse j’aviserais Cladel, qui se mettrait à ce propos en correspondance avec vous.
Maintenant donnez-moi signe de vie, dites-moi ce que vous faites, quand on vous verra et surtout quand on verra Madame O’Shaughnessy, pour qui l’hiver a dû être clément et ce tranquille été sera bienfaisant, nous le souhaitons tous.
Votre ami,
Stéphane Mallarmé”
Correspondance de Mallarmé, éd. B. Marchal, 2019, 414 p. 411