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MALLARMÉ, Stéphane

Je reçois votre billet

Avignon, 1 mars 1871

LETTRE AUTOGRAPHE SIGNÉE DE STÉPHANE MALLARMÉ À CATULLE MENDÈS SUR SES TALENTS DE TRADUCTEURS EN ANGLAIS

[12 pp. in-12 numérotées, encre noire :]

“Cher ami
Je reçois votre billet, et, bien que votre amicale influence demeure, je crois, étrangère à ce qui peut se passer de quelques jours, je ne résiste pas au désir de prendre de suite une feuille de papier à votre intention. Il flotte, sur tout le projet qui m’environne en ce moment, pour en tempérer le contentement, une ombre si mélancoliquement chère, (vous savez de qui, mon ami !) que je ne sais comment arriver à dire une chose essentielle sans, peut-être, vous faire sourire.
Je ne connais de l’Anglais que les mots employés dans le volume des poésies de Poë, et je les prononce, certes, bien - pour ne pas manquer au vers.
Je puis, le dictionnaire et la divination aidant, faire un bon traducteur, surtout de poëtes, ce qui est rare. Mais je ne crois pas que cela constitue une place dans la maison Hachette, à moins d’un arrangement par lequel je livrerais, à un prix indulgent, un volume, je suppose, par année. En un mot, croyez-vous que cette entreprise, dont je vous parlais récemment (et qui est une sorte de petit monument) pourrait suffire à la bienveillance que m’accorde la maison Hachette ?
Comprenez-moi bien. M’étant remis résolument au travail, je vois les difficultés particulières que j’éprouve, et par quelles ruses régulières triompher de l’empêchement qui m’a accablé ces dernières années.
J’ai peur, par instants, que l’occupation d’une maison de commerce, qui doit n’employer que des personnes d’une présence effective, et très-réalisable, soit moins favorable même que le bureau (m’étais-je trompé ?) entrevu à la faveur de votre dernière lettre, à des projets certains qui, en somme, forment ce que vous attendez de moi.
Voilà pourquoi, sans doute, en omettant tout l’appel à laquelle une partie de votre lettre fait allusion, et qui ne doit trouver place en ce billet, votre première lettre s’était davantage adaptée chez moi à de secrètes sympathies.

Toutefois, comme après tout on a pas d’excuse, à mon âge, de travailler difficilement, et que cela ne regarde ni Marie, ni Geneviève, ni… , j’accepte ce qui, seul, se présentera, avec empressement. Il faudrait donc, puisque c’est l’Anglais qui est en jeu, accepter d’abord la place de Londres, qui me permettra de le rapprendre - sauf à revenir vers cet hiver à Paris.
Qui sait, cependant, si deux ou trois correspondances de journaux ne me permettraient pas là-bas d’atteindre le même but, d’une façon qui concorderait peut-être mieux avec l’avenir ?
J’attends le commis-scrutateur*. Merci de vos recommandations. Je me munis de témoignages, notables et décisifs.
Maintenant, cher ami, votre main, afin que je ne croie pas que je me parle à moi-même en tout ceci, tant nous nous confondons aisément.
Si vous rencontrez quelqu’une des personnes qui ont eu cette bonté de s’occuper d’un absent et d’un inconnu, remerciez-les à ce double titre encore maintenant, en attendant que je le fasse plus tard de vive voix.
Amitiés à Madame Judith.
Stéphane Mallarmé

Un mot confus à votre adresse a été jeté par moi, hier, dans la boîte d’Avignon. Vous arrivera-t-il encore cité Trévise ? Il annonçait les fruits -

*Je saurai, du reste, de lui si je pourrais, en prolongeant la présence pendant l’après-midi, conserver les matinées. Mais j’y songe, ce ne serait jamais qu’au retour de Londres, où il faut séjourner de toutes façons en commençant, si je veux entrer dans cette voie.

BIBLIOGRAPHIE : 

Correspondance de Mallarmé, éd. B. Marchal, 2019, 232 p. 266)