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MALLARMÉ, Stéphane

L'Après-midi d'un Faune

Paris, Alphonse Derenne, 1876

RARE EXEMPLAIRE DE L’APRÈS-MIDI D’UN FAUNE AVEC UN ENVOI DU POÈTE À SON FILS ANATOLE MALLARMÉ.

LA MORT PRÉMATURÉE DE “TOLE” FUT UN CHOC IMMENSE DANS L’EXISTENCE DE STÉPHANE MALLARMÉ.

BROCHÉ, TEL QUE PARU

ÉDITION ORIGINALE

In-4 (298 x 205 mm pour les feuillets ; 310 x 223 mm pour la couverture)
ILLUSTRATION : quatre gravures sur bois d’après Édouard Manet et rehaussées d'aquarelle rose par Manet lui-même
TIRAGE : un des 195 exemplaires sur Hollande, second papier, celui-ci numéroté à l’encre rouge 65 par l’auteur
ENVOI autographe de Mallarmé, à l'encre rouge sous la mention imprimée "EX-LIBRIS" :

de Tole

BROCHÉ, couverture d'origine en feutre blanc du Japon, cordons de soie rose et noire, étiquette de prix. PORTEFEUILLE SIGNÉ DE PIERRE-LUCIEN MARTIN. Plats en bois contreplaqué, encadrement de maroquin noir, dos long, titre et auteur dorés. Chemise et étui
PROVENANCE : Bernard Malle (cachet)

Quelques rousseurs éparses

L’usage par Mallarmé du surnom affectif “de Tole”, dans la dédicace qu’il adresse à son fils, Anatole Mallarmé (1871-1879), souligne l’importance du cercle familial dans l’imaginaire mallarméen. Anatole Mallarmé est mort doucement, sans le savoir comme le note son père d’une lésion au cœur. Il était alité depuis début avril 1879 et des lettres déchirantes étaient envoyées entre les parents et le fils. Début juillet, l’enfant de huit ans subit une première crise aiguë, une syncope quasi fatale. Robert de Montesquiou qui avait été touché par l’infortune du jeune garçon dès le début se rend fréquemment au chevet d’Anatole. Le 15 octobre 1879, Stéphane Mallarmé s’absente pour aller poster une lettre à Montesquiou. Le poète y écrit une phrase bouleversante : “mon petit malade vous sourit de son lit, comme une fleur blanche qui se rappelle au soleil parti.”

Lorsqu’il revient, son fils est mort. Le néant le surprend. Le chagrin le terrasse et on comprend dès lors qu’il y ait un avant et un après la mort d’Anatole dans la création du poète. La mort prématurée d’Anatole pour Stéphane Mallarmé est aussi tragique que la noyade de Léopoldine pour Victor Hugo. Stéphane Mallarmé écrit le jour même, dans la matinée, une lettre à John Payne le 7octobre à ce sujet :

“ tu juges de notre douleur sachant combien je vis en famille ; puis cet enfant, charmant et exquis, m’avait captivé au point que je le mêle encore à tous mes projets d’avenir et à mes plus chers rêves.”

Les exemplaires de L’Après-midi d’un faune qui sont dédiés par le poète à ses enfants, revêtent une immense charge émotionnelle dans l’œuvre de Mallarmé. Encore plus lorsqu’il s’agit de “Tole” qui n’a qu’un seul exemplaire dédié. Le poète réserva le numéro 10, un des exemplaires de tête sur Japon, à sa fille Geneviève (Sotheby’s Paris, De la bibliothèque Stéphane Mallarmé, 2015, n°110). Celui-ci, quoique sur Hollande, reflète une importance primordiale pour cerner les liens familiaux entretenus entre Mallarmé et ses enfants. Le poète mourra entouré de son épouse et de sa fille en septembre 1898. Juste après sa mort, à Paris et à Valvins, ces dernières recueilleront deux cents feuillets inédits dont la presque entièreté est liée à la mort d’Anatole. Ce texte intitulé Pour un tombeau d’Anatole témoigne de l’amour et de la fascination du père pour son fils. La sépulture de Stéphane et d’Anatole se joignent au cimetière de Samoreau.

L'Après-midi d'un Faune marque un tournant dans l'histoire de la poésie. Il avait été refusé par l'éditeur des Parnassiens, Lemerre, sur l'avis peu clairvoyant de Coppée et d’Anatole France, et ne figura pas dans la troisième anthologie du Parnasse contemporain. Mallarmé se trouvait, du coup, logé à la prestigieuse enseigne des auteurs refusés, comme Verlaine (tout juste sorti de prison) et Charles Cros. Le rejet de L'Après-midi d'un faune (encore nommé Improvisation d’un Faune) provoqua de la part des fidèles une réplique immédiate. Cladel, Dierx et Mendès, les très proches amis poètes de Mallarmé, menacèrent de retirer leurs poèmes du prochain Parnasse si le sien n’y était pas inséré, ce qu'ils firent. Ce soutien leur valut d’être tous trois dédicataires du Faune.

Le refus de Lemerre de publier L'Après-midi d'un faune allait rendre sa maison d’édition ringarde et signer le glas des Parnassiens : "ce trait de censure fut moins éclatant certes, mais non moins scandaleux, que la condamnation quasi annuelle faite par le jury du Salon des toiles de Manet" (Steinmetz, p. 175). Mallarmé, Léon Cladel, Dierx et Mendès, prophètes d'un nouvel art, se mirent en quête d’un éditeur. Malgré l’échec du Corbeau, ils demandèrent de nouveau à Manet d’illustrer la future plaquette. Leurs efforts furent récompensés puisque Mallarmé annonce à O'Shaughnessy, le 27 novembre 1875 : "J'ai mis la main sur un homme neuf, imprimeur, et qui veut devenir éditeur" (7 novembre 1875). Alphonse Derenne lança sa maison d'édition avec ce premier livre qu'il publia le 27 avril 1876. L'Après-midi d'un faune, devint l'étendard poétique de la nouvelle avant-garde. Derenne créa en même temps une nouvelle revue, La République des Lettres, en remplacement de "l’enseigne un peu rouillée du Parnasse contemporain" (ibid.). Cette revue réunit les maîtres de l'avenir : Flaubert, Goncourt, Leconte de Lisle ou Banville, comme les talents plus jeunes, Zola, Cladel, Alphonse Daudet et Swinburne.

L'Après-midi d'un faune fut en grande partie financée par Mallarmé lui-même pour être "offert aux bibliophiles". L'illustration fut gravée sur bois par Manet. Le peintre se chargea d'étaler ou de faire étaler la couleur sur les épreuves volantes de ses planches. La rareté et la qualité du papier justifient la différence de prix à l'émission : 15 fr. pour les exemplaires sur Hollande et 25 fr. pour ceux sur Japon. Aujourd’hui, rares sont les exemplaires encore brochés.

Le poète avait donc surveillé de très près la confection du livre qui fut le seul poème qu'il conçut et publia. L’exigence poétique de Mallarmé était en effet si contraignante que très peu de ses projets de livres aboutirent à une publication réelle. Ainsi, du vivant du poète, le Coup de dés ne vit-il jamais le jour sous la forme d’un livre mais bien seulement comme un poème isolé dans la célèbre revue Cosmopolis du 3 mars 1897. Les traductions de Poe, les conférences ou les œuvres en prose (Pages, Divagations, etc.) n’appartiennent pas à l’œuvre proprement poétique de Mallarmé. Celle-ci comprend quatre œuvres, soit dans l’ordre chronologique : L’Après-midi d’un faune, les Poésies photolithographiées, le Coup de dés et Hérodiade. Les deux derniers poèmes ayant été publiés de manière posthume, cette chronologie suit le cours de l’abandon progressif de la typographie, car L’Après-midi d’un faune est bien le seul livre de poésie versifiée publié de son vivant par Mallarmé.

BIBLIOGRAPHIE : 

Stéphane Mallarmé Correspondance II, N.R.F., p.201- 203 ; L. Carteret II, Le Trésor du bibliophile, pp. 94-95 -- Jean-Luc Steinmetz, Stéphane Mallarmé, Paris, 1998 -- Jacques Scherrer, Le Livre de Mallarmé, Paris, 1977 -- Édouard Graham, Passages d’encre, n°80, p. 386 -- Stéphane Mallarmé, à A hymen père et fils 1879, édition de Pierre Magnier, Otrante, 2019