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RIMBAUD, Arthur

L’Éternité Manuscrit autographe.

[Paris probablement], Mai 1872

IL EST RETROUVÉ : SEUL MANUSCRIT AUTOGRAPHE AUJOURD’HUI CONNU DE L’ÉTERNITÉ.

UN DES SEPT POÈMES IMPRIMÉS DANS UNE SAISON EN ENFER.

SOMMET DE LA POÉSIE

Manuscrit autographe.

Une page in-8 pliée en deux (213 x 155 mm). Encre brune. Titre, vingt-quatre vers, date

“L'Éternité

Elle est retrouvée.
Quoi ? — L'Éternité.
C'est la mer allée
Avec le soleil
Âme sentinelle,
Murmurons l'aveu
De la nuit si nulle
Et du jour en feu.
Des humains suffrages,
Des communs élans
Là tu te dégages
Et voles selon.
Puisque de vous seules,
Braises de satin,
Le Devoir s'exhale
Sans qu'on dise : enfin.
Là pas d'espérance,
Nul orietur.
Science avec patience,
Le supplice est sûr.
Elle est retrouvée.
Quoi ? — L'éternité.
C'est la mer allée
Avec le soleil.
Mai 1872”

PROVENANCE : Jean Richepin (1849-1926)

Trace d’onglet à la pliure au verso

Le poème L’Éternité fait partie des sept poèmes qu’Arthur Rimbaud fit imprimer dans Une saison en enfer, dans la partie centrale du livre, Alchimie du verbe, moment où il dresse le bilan de ses expériences de dérèglement et d’hallucination. L’Éternité en constitue le point d’orgue : poème du présent éternel (“elle est retrouvée”), de la résolution des contraires (la mer et le soleil), du dégagement et de l’élévation (“Là tu te dégages/Et voles selon”).

Rimbaud annonçait au début d’Alchimie du verbe aimer les “refrains niais, rhythmes [sic] naïfs”. Il emprunte au “modèle de la chanson… ses formes les plus traditionnelles, le mètre court, le vers impair, le refrain” (André Guyaux). La première strophe du poème revient à la fin et se fixe dans la mémoire. Paul Verlaine, le premier, parle de ce poème dans Les Poètes maudits (1884) en citant la seule première strophe comme représentative des vers nouveaux de Rimbaud :

“Rimbaud vira de bord et travailla (lui !) dans le naïf, le très et l’exprès trop simple, n’usant plus que d’assonances, de mots vagues, de phrases enfantines ou populaires. Il accomplit ainsi des prodiges de ténuité, de flou vrai, de charmant presque inappréciable à force d’être grêle et fluet”.

Cette simplicité n’est qu’apparente. Les rimes sont inexactes - éternité/soleil, sentinelle/nulle, élans/selon, seules/s’exhale - et la construction des strophes inverse les propositions principales et subordonnées. Dans le court dialogue de la première strophe, léger, presque ludique, est posée de façon radicale (trois mots, cinq syllabes) la question essentielle - et sa réponse - de la métaphysique : “Quoi ? - L’Éternité.”

Ce manuscrit autographe de L’Éternité est le seul aujourd’hui connu. Il avait disparu depuis plus de cent ans. On ne le connaissait que par un fac-similé publié en 1919 par Albert Messein, successeur de Léon Vanier, et Paterne Berrichon, et sans cesse reproduit depuis. Si l’on ne connaît pas aujourd’hui d’autre manuscrit de L’Éternité, il existe deux autres versions imprimées du poème, hormis la strophe citée par Verlaine dans Les Poètes maudits :

1. La version d’Une saison en enfer (1873). Le poème est sans titre. On lit “mêlée au soleil” à la place d’“allée avec le soleil” et “allée avec les soleils” dans Les Poètes maudits.
2. La version publiée dans la revue La Vogue (7 juin 1886), puis en volume, à partir d’un probable manuscrit prêté par Verlaine, et jamais retrouvé. Selon Steve Murphy, le manuscrit aurait appartenu à Pierre Berès (il ne figurait en tout cas pas dans sa vente de 2006). On remarque dans cette version de La Vogue une interversion des strophes 4 et 5, un changement de quelques mots et la suppression des tirets. Le poème est intitulé Éternité, sans article.

La majorité des éditions privilégient la version de cet autographe de L’Éternité. Elle est la seule à porter un titre avec article – celui par lequel on désigne habituellement le poème – et une date autographe, “mai 1872”.

Arthur Rimbaud offrit ou confia ce manuscrit de L’Éternité à Jean Richepin, poète (La Chanson des gueux, 1876) et figure de la bohème parisienne qu’il rencontra au début de l’année 1872, dans l’entourage du peintre Louis Forain. Richepin aurait séparé Rimbaud et Étienne Carjat lors de la rixe du dîner des Vilains Bonshommes (2 mars 1872). Après cet incident et pour ne pas finir de détruire le couple des Verlaine, Rimbaud fut renvoyé à Charleville. Au bout de deux mois, en mai il revint clandestinement à Paris et logea rue Monsieur-le-Prince puis à L’Hôtel de Cluny en juin. Le manuscrit qui porte la date de “mai 1872” a pu être écrit à l’une ou l’autre de ces deux adresses.

Le manuscrit de L’Éternité était joint à trois autres manuscrits de poèmes (Bannières de mai,Chanson de la plus haute tour et Âge d’or), tous datés par Rimbaud, comme celui-ci, de mai ou juin 1872, et formant à eux quatre un groupe intitulé Fêtes de la patience comme l’indique une petite table des matières qu’écrivit Rimbaud au verso de l’un d’eux. Rimbaud eut-il le projet de composer un recueil de poèmes dont les poèmes des Fêtes de la patience auraient formé une section ? Toujours est-il que deux de ces quatre poèmes trouvèrent place dans Une saison en enfer l’année suivante (L’Éternité et Chanson de la plus haute tour) et qu’un troisième, Âge d’or, figure dans les brouillons d’Une saison en enfer conservés à la Bibliothèque nationale de France (Cote : NAF 26500).

Après avoir appartenus à Jean Richepin, les quatre poèmes suivirent une transmission “énigmatique” (Steve Murphy). L’Éternité fut séparé des trois autres poèmes, probablement à la fin des années 1920. En 1927, la revue Le Manuscrit autographe (Librairie Blaizot, janvier-février 1927) ne reproduisait en fac-similé que trois des Fêtes de la patience, “sans L’Éternité et sans la table des matières” (ibid.). Le poème L’Éternité fut donc probablement séparé des trois autres entre sa première reproduction par Messein en 1919 et la revue Blaizot en 1927. Comme Richepin est mort en 1926, on a même supposé que la séparation de L’Éternité du reste du groupe s’était faite en 1926-1927 :

“Il est très tentant de penser que ses héritiers [ceux de Richepin] essayant de faire le tri dans ses archives, ont accidentellement séparé - ou n’ont pas su regrouper - les quatre Fêtes de la patience qui semblent avoir toujours appartenu à Richepin, d’où la séparation de L’Éternité des trois poèmes reproduits par Blaizot” (Steve Murphy, ibid.).

Les trois poèmes restés ensemble après 1927 (Bannières de mai, Chanson de la plus haute tour et Âge d’or) furent acquis par la baronne Alexandrine de Rothschild puis spoliés pendant la guerre comme l’indique le Répertoire des biens spoliés, établi par Maurice Chalvet pour Alexandrine de Rothschild. L’Éternité qui avait été séparé du groupe avant la guerre, suivit un autre cours.

BIBLIOGRAPHIE : 

Ce poème autographe d’Arthur Rimbaud ne figure pas au Répertoire des biens spoliés, ni dans son Supplément.

PREMIÈRE PUBLICATION : Paterne Berrichon, "Versions inédites d'Illuminations", Paris, Mercure de France, 1er mai 1914
PREMIÈRE REPRODUCTION : Arthur Rimbaud, Poésies. Notice de Paterne Berrichon, Paris, Albert Messein, coll. “Les Manuscrits des maîtres”, 1919, consultable sur archive.org
BIBLIOGRAPHIE : Steve Murphy (dir.), Arthur Rimbaud, Œuvres complètes I, Poésies, p. 747 et suiv. (pour la transmission du poème), p. 765 et suiv. ; reproduit in Œuvres complètes IV Fac-similés, p. 346 -- André Guyaux (dir), Arthur Rimbaud, Œuvres complètes, Paris, 2009 (réimpr. 2023) -- Bernard Meyer, “‘L’Éternité’ de Rimbaud”, in Parade Sauvage, no. 7, 1991, pp. 31-47, repris dans Sur les derniers vers - Douze lectures de Rimbaud, Paris, 1996, pp. 145-167 -- Yves Bonnefoy, Rimbaud par lui-même, Paris, 1961
WEBOGRAPHIE : pour l’article de B. Meyer : https://www.jstor.org/stable/44780115 -- Répertoire des biens spoliés, volume VII, p. 49, n° 596 : https://pop-phototeque.s3.eu-west-3.amazonaws.com/mnr/RBS/T7_Archives_manuscrits_livres_rares.pdf