



Acheter
Estimation d'un livre ou d'un manuscrit
Lettre autographe signée à Alcide Pierre Grandguillot
REMARQUABLE REDÉCOUVERTE DE LA LETTRE DE CHARLES BAUDELAIRE À ALCIDE PIERRE GRANDGUILLOT : ELLE ACCOMPAGNAIT L’EXEMPLAIRE AVEC ENVOI RELIÉ PAR LORTIC ADRESSÉ PAR BAUDELAIRE AU JOURNALISTE.
CET EXEMPLAIRE APPARTENAIT AUX ANCIENNES COLLECTIONS DE BERNARD MALLE ET DE PIERRE BERGÉ.
CETTE LETTRE EST INÉDITE ET PORTE À DEUX SEULEMENT LE NOMBRE DES LETTRES DE BAUDELAIRE AUJOURD’HUI CONNUES ADRESSÉES À GRANDGUILLOT.
IL ÉTAIT LE DIRECTEUR DU CONSTITUTIONNEL, UNE IMPORTANTE REVUE DU PARIS LITTÉRAIRE, DANS LAQUELLE PUBLIA BAUDELAIRE.
1 p. in-8 (195 x 155 mm) avec au verso du second feuillet blanc, au crayon, la mention autographe : “Monsieur Grandguillot”
“Monsieur,
je vous remercie de ne m’avoir pas averti déjà que j’étais votre débiteur. J’ai eu de très grands chagrins. Voilà tout ce que j’ai à dire pour mes excuses. Cela va finir, et je vais vous donner de mes nouvelles autrement que par des promesses.
Je devais partir pour Honfleur le 15. C’est vous dire que je vous verrai avant cette époque.
Le hasard vient de jeter entre mes mains trois exemplaires de Fleurs du Mal, intacts. Le livre est aujourd’hui, et depuis longtemps, une rareté. J’ai pensé que peut-être vous ne l’aviez pas, et j’ai voulu vous témoigner de mon mieux ma reconnaissance pour votre obligeance.
- La 2e édition, qui sera incomparablement meilleure, sera moins recherchée, à cause de cette infirmité qui pousse les gens à désirer ce qui est défendu.
Je vous prie d’agréer l’assurance de mes bien dévoués sentiments
Charles Baudelaire
Et M. Zimmer a-t-il publié chez vous son travail sur les Paradis artificiels ?”
PIÈCE JOINTE : portrait photographique d’Alcide Pierre en tirage d’époque par Pierre Petit, tampon au verso, cachet de signature sous la photographie (105 x 62mm)
Cette lettre se place chronologiquement dans l’une des rares périodes où Baudelaire est relativement heureux, c’est-à-dire les moments où il est entre deux Fleurs, celles de 1857 et celles de 1861. Dans les mois qui précèdent la publication de la seconde édition des Fleurs du mal, soit la seconde semaine de février 1861, Baudelaire se montre très actif. La Correspondance raconte ses engagements à publier dans les revues d’Alphonse de Calonne (1818-1902), la Revue contemporaine, ou dans Le Constitutionnel d’Alcide Pierre Grandguillot (1829-1891). Calonne, par exemple, avance au poète de fortes sommes d’argent contre la promesse de manuscrits qui, après leur publication dans les revues, finiront en volume sous les presses normandes de Poulet-Malassis. C’est la fameuse navette dont Baudelaire est le centre. Il encaisse l’argent en premier, le dépense pour payer d’autres dettes, et Malassis est le dernier maillon. D’où ce mot de “promesse” utilisé par le poète dans cette lettre.
Grandguillot fut un journaliste influent dont le nom reste attaché au journal LeConstitutionnel. En 1857, au moment de la parution et du procès des Fleurs du mal, Grandguillot se trouve à l’ambassade de Saint-Pétersbourg, auprès du duc de Morny, demi-frère de Napoléon III. À son retour en France, en 1858, il travaille au Constitutionnel, journal bonapartiste, proche du pouvoir. L’année suivante, il en devient rédacteur en chef. La première lettre connue de Baudelaire le mentionnant date du 20 novembre 1859. Le poète demande à Eugène de Broise d’adresser à Grandguillot un exemplaire de son Théophile Gautier qui vient de paraître : “il est convenable que M. Grandguillot reçoive un exemplaire” (lettre du 29 novembre 1859).
La relation de Baudelaire avec Grandguillot est donc celle que le poète entretient avec la presse. Baudelaire a besoin d’y publier des articles, pour gagner sa vie. Surtout, il cherche dans la presse un appui alors qu’il prépare une nouvelle édition des Fleurs du mal. Grandguillot, comme Alphonse de Calonne, lui avancent souvent de l’argent quand il leur remet ou promet des articles. D’où cette phrase étrange de Baudelaire qui, ici, remercie Grandguillot de ne pas l’avoir “averti déjà que j’étais votre débiteur”. Les “très grands chagrins” auxquels le poète fait allusion sont sans doute une excuse mais la force des mots n’est pas gratuite. Ils évoquent sans grand doute les difficultés entretenues par la paralysie de Jeanne Duval que Baudelaire installe à Neuilly durant l’été 1860. “Ce qui me retient depuis dix-huit mois [nous : de mourir], c’est Jeanne. (Comment vivra-t-elle après ma mort ?)” écrit-il à sa mère le 11 octobre 1860. La lettre se clôt sur une formule toute baudelairienne, pleine de morgue pour ce grand contempteur des défauts de la nature humaine. Elle renvoie comme à une sorte de maxime du poète qui dépasse de loin le simple don d’un exemplaire : “à cause de cette infirmité qui pousse les gens à désirer ce qui est défendu”.
Quand paraissent Les Paradis artificiels, à la mi-mai 1860, Baudelaire se plaint à Poulet-Malassis deux fois de suite, de ne pouvoir offrir un exemplaire de tête (qu’il appelle “sur fil”) au rédacteur en chef du Constitutionnel : “Et Grandguillot !” (Corr., II, p. 44) ou encore le 18 mai 1860 : “Mais Janin, et surtout Grandguillot” (Corr., II, p. 47). La survie financière et poétique de Baudelaire dépend de quelques grands éditeurs de revues auxquels il fournit des exemplaires dédicacés de ses œuvres. Comme le prouve la redécouverte de cette lettre, c’est le 7 août 1860 qu’il lui donne un exemplaire des Fleurs du mal de 1857, retrouvé intact sans doute chez Malassis et maintenant relié par Lortic, comme l’a déjà fait le poète quand il veut marquer la qualité du don et l’importance du destinataire. Baudelaire prend soin d’y inscrire le titre des six pièces condamnées, et la date de leur condamnation sur la page de garde. On sent dans cette lettre du 7 août que Baudelaire est d’une bienveillance extrême à l’égard du journaliste. Il le “bichonne”, car il en dépend. Il lui annonce la prochaine publication de la seconde édition. Et, en effet, le poète se rend souvent à Honfleur dans la “maison-joujou” pour aller chercher les manuscrits de ces nouvelles Fleurs qu’il publiera en février 1861.
La dette du 7 août semble réglée le 13. Baudelaire reçoit des avances de Grandguillot qu’il rembourse en donnant des manuscrits à publier, en sorte qu’il peut alors redemander une nouvelle avance. “Je ne dois plus rien au Constitutionnel et comme j’ai mis du temps à m’acquitter, je n’ose réclamer un nouveau service. D’ailleurs ce Grandguillot est presque introuvable. La moindre affaire dure quatre jours avec lui” (13 août 1860). Le don de l’exemplaire avec envoi est ainsi réparateur d’un tort que Baudelaire sait avoir commis : “je sais qu’il m’en veut un peu d’avoir fait attendre l’argent (maintenant fait et livré) représentant le premier acompte” (16 août 1860). De même, le 27 septembre 1860, Baudelaire doit rembourser Grandguillot d’une avance : “c’est lundi que j’aurai à voir Grandguillot, pour les 500 francs”. Mais le journaliste ne cède pas à Baudelaire. Il esquive : “figurez-vous que M. Grandguillot est actuellement une des causes de mes embarras, après m’avoir bourré d’offres et de promesses, il est devenu pour moi gazéiforme” (à Arsène Houssaye, 18 octobre 1860, Corr. II, p. 102)
Au-delà d’une simple relation utilitaire, on perçoit, à travers la dizaine de lettres aujourd’hui connues de Baudelaire mentionnant le nom de Grandguillot, une estime et même une amitié certaine du poète pour le grand journaliste. Baudelaire utilisera ce terme d’“ami” dans sa Correspondance : “étant d’ailleurs, je le crois, de ses amis” (2 décembre 1863).
À quelques temps d’une nouvelle édition augmentée, Baudelaire redoute d’avoir encore à frayer avec la censure. Il rappelle implicitement à Grandguillot qu’il le considère comme un ami. Le 17 janvier 1861, Baudelaire inscrit le nom de Grandguillot sur la “liste de distribution” d’exemplaires de la nouvelle édition sous presses qu’il adresse à Poulet-Malassis (Corr. II, p. 125). Un article remarquable paraît dans Le Constitutionnel le 10 février, rédigé par une collaboratrice talentueuse de Grandguillot, la comtesse Dash. Cet article important replace Baudelaire dans la lignée d’un romantisme remontant aux années 1830. En 1862, Grandguillot quitte la direction du Constitutionnel pour prendre celle du Pays, journal auquel collabore régulièrement Jules Barbey d’Aurevilly, autre ami de Baudelaire.
cette lettre est inédite. Elle est absente de la Correspondance publiée en Pléiade comme des soixante-quinze Nouvelles lettres publiées chez Fayard par Claude Pichois en 2000