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[BAUDELAIRE, Charles]. MOLÈNES, Paul de

Lettre autographe signée à Charles Baudelaire

[Paris], 14 mai [1860]

REMARQUABLE LETTRE DE PAUL DE MOLÈNES, POÈTE SOLDAT, ADMIRATEUR ET AMI DE CHARLES BAUDELAIRE :

“VOUS AVEZ CE DON DU NOUVEAU QUI M’A TOUJOURS PARU CHOSE PRÉCIEUSE ET JE DIRAIS PRESQUE SACRÉE”.

4 pp. in-8 (214 x 136mm), à l’encre noire

“Mon cher ami
J’ai reçu votre lettre et je n’ai pas besoin de vous dire que votre protégé sera le bienvenu auprès de moi. Je crains seulement de ne pas lui être bien utile. Le jour où je deviendrai chef d’escadron, je cesserai probablement d’appartenir au 6e Lancier, et même si je reste à ce régiment, je ne pourrai pas enlever à votre poète les aspérités de la vie militaire à ses débuts. Enfin, je vous le répète, il sera le bienvenu, et s’il a une intelligence digne de votre amitié, je lui donnerai quelques conseils, non point littéraires mais guerriers, dont il pourra faire profit.
Je vous remercie de vos bonnes intentions à mon endroit, ce que vous direz sur moi me sera agréable j’en suis sûr. Vous êtes touché par les choses qui me remuent ; [ ?] dans ce grand labyrinthe de la vie nous prenons parfois les mêmes fils entre nos mains. J’attends donc avec confiance votre critique, et vous en remercie dès aujourd’hui.
Je vais publier mes Commentaires d’un soldat sous peu. Le mois prochain probablement je ferai paraître L’Italie dans la Revue des deux mondes ; puis je livrerai le tout à l’impression du volume.
Envoyez moi le plus promptement possible le livre dont vous me parlez. Tout le temps que je ne passe pas à cheval dans cette garnison excentrique de Maubeuge, je l’emploie à la lecture. Vous savez combien j’aime votre tour d’esprit. Vous avez ce don du nouveau qui m’a toujours paru chose précieuse et je dirais presque sacrée. À ce sujet, j’ai conservé toutes les passions de ma jeunesse, toutes les ardeurs dont sont nés Valpéri et Briolan. Je corrige en ce moment même les épreuves de ce dernier livre qui reparaît avec Tréfleur sous le nom d’Aventures du temps passé. Dîtes je vous prie à Lévy de vous donner ce volume aussitôt qu’il sera paru, vous y trouverez les choses qui vous plaisent.
Adieu, mon cher ami, ou à revoir bientôt, je l’espère. Nous nous retrouverons dans cette grande vallée de Josaphat qui s’appelle Paris. Si je dois y passer un mois de suite l’automne ou l’hiver prochain, je vous le ferai savoir. Je jouirais avec d’autant plus de plaisir de votre entretien que je vois à l’horizon bien des choses.
Si votre lancier est animé des sentiments que je lui souhaite, et donc il trouvera le foyer en moi, j’espère qu’il pourra faire un bon usage de sa lance.
Mille amitiés,
Paul de Molènes
14 mai”

Paul Gaschon de Molènes (1821-1862), poète soldat, répondait à lui seul à deux des ordres que Baudelaire plaçait au sommet du corps social : “il n’existe que trois êtres respectables : le prêtre, le guerrier, le poète”. On suppose que Barbey d’Aurevilly les mit en relation. Baudelaire écrivit un article qui parut anonyme, à sa mort, en 1862 :

“M. de Molènes appartenait, dans l’ordre de la littérature, à la classe des raffinés et des dandys ; il en avait toutes les grandeurs natives, et quant aux légers travers, aux tics amusants que cette grandeur implique souvent, il les portait légèrement et avec plus de franchise qu’aucun autre. Tout en lui, même le défaut, devenait grâce et ornement. Certainement il n’avait pas une réputation égale à son mérite [… ] l’auteur qui écrit ces lignes a longtemps connu M. de Molènes ; il l’a beaucoup aimé autant qu’admiré, et il se flatte d’avoir su lui inspirer quelque affection” (Revue anecdotique, mars 1862).

Dans cette lettre, Paul de Molènes répond à une demande que lui a faite Baudelaire deux jours plus tôt : “Je vous adresse un poète qui veut être lancier ; - c’est-à-dire que ce poète, contraint par le hasard de devenir soldat, veut être lancier pour être près de vous”. Le poète dont il est question s’appelle Albert Glatigny (1839-1873), “comédien, vagabond et poète maudit” selon Claude Pichois. Il se vit refuser d’entrer dans l’armée.

BIBLIOGRAPHIE : 

Baudelaire, Correspondance, II, Paris, 1973, p. 42 (pour la lettre de Baudelaire) et 1022 -- Andrea Schellino, “Baudelaire et Paul de Molènes”, in Revue italienne d’études françaises, 2, 2012
WEBOGRAPHIE : http://journals.openedition.org/rief/794