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BANVILLE, Théodore de

Odelettes

Paris, Michel Lévy, 1856

ENVOI DE THÉODORE DE BANVILLE À NADAR, SOUS FORME DE POÈME.

EXEMPLAIRE DE NADAR, RELIÉ POUR LUI À SON CHIFFRE

ÉDITION ORIGINALE

In-12 (182 x 110mm)
ENVOI autographe signé, sous forme d’un poème de douze vers
RELIURE DE L'ÉPOQUE réalisée pour Nadar. Dos et coins de percaline brune, plats de papier marbré, filets en encadrement, dos à nerfs orné, chiffre en queue du dos, tête dorée
PROVENANCE : Paul Tournachon, dit Nadar (1820-1910 ; envoi ; ex-libris ; chiffre en queue du dos) -- J. L. R. Leroy (ex-libris) -- L. L. R. Leroy fils (ex-libris)

Rousseur à deux feuillets

Nadar (1820-1910) et Théodore de Banville (1823-1891) se connaissent depuis leurs vingt ans. Ils rencontrèrent Baudelaire probablement en même temps, à l’été 1842 : “À l’origine il y eut une camaraderie, peut-être née de la commune fréquentation de Jeanne [Duval]… une camaraderie dont le tutoiement, l’horrible tutoiement, est caractéristique”, écrit Claude Pichois. Nadar aurait présenté Jeanne Duval - qui fut sa maitresse - à Baudelaire. Pichois rappelle que les deux hommes se tutoyaient : “À l’exception de Théophile Gautier, qui aimait et sans doute exigeait le tutoiement, Baudelaire vouvoie ses plus grands amis : Charles Asselineau, Champfleury, Auguste Poulet-Malassis, Édouard Manet. Il vouvoyait ses camarades de la pension Bailly, alors qu’ils étaient étudiants (1838-1841)”. Nadar échappe à la règle.

Nadar et Banville se rendirent ensemble à l’hôtel Pimodan où Baudelaire louait un célèbre appartement dont Banville donna la seule description connue :

“la première fois que je fus reçu chez Baudelaire, il habitait un petit logement dans l’hôtel Pimodan, sur le quai d’Anjou, à l’île Saint-Louis… Il était bizarrement composé d’une toute petite antichambre, d’une grande et belle pièce à alcôve, dont l’unique fenêtre donnait sur la rivière, et de plusieurs cabinets tout petits, avec des fenêtres mais sans cheminées, qui se groupaient autour de la chambre, comme des boutons autour d’une fleur” (“Charles Baudelaire”, in La Renaissance littéraire et artistique, n° 1, 27 avril 1872).

L‘amitié de Banville et Nadar s’inscrit donc dans ce plus ancien cercle baudelairien qui restera fidèle au poète au-delà de sa mort. Cependant l’amitié de Baudelaire et Nadar est ambigüe. Quand ils se rencontrent, Nadar s’appelle encore Gaspard Félix Tournachon. Ses amis le surnomment Tournadar à cause de son tic de langage consistant à ajouter à certains mots la terminaison “dar”. Nadar préfère au dandysme de Baudelaire “la simplesse |sic] à la bonne franquette de mon autre bande de Bohème, “la bande à Murger” et de notre “Société des buveurs d’eau”, dont je ne méritai d’ailleurs que le titre de membre correspondant, sans doute parce que d’eux tous alors, j’étais le seul à ne pas boire de vin”. (Nadar, Charles Baudelaire intime. Le Poète vierge). Nadar souffre d’être considéré comme un touche-à-tout par les amis du poète, et considère Baudelaire comme un “dilettante” de l’art. Nadar ne partage la vision de Baudelaire de “l’art pour l’art” héritée de Théophile Gautier. Il s’adonne alors au dessin et collabore à plusieurs journaux, écrit des romans, publie des caricatures - dont certaines de Baudelaire, ce qui déplait au poète -, et fonde, à dix-neuf ans, une revue, Le Livre d’Or dont ne paraîtront que quelques numéros. À partir de 1850, Nadar entreprend le projet de dessiner plus de trois cent personnalités de son époque. Cette galerie de portraits sera publiée en 1854 sous le titre de Panthéon Nadar. Baudelaire y figure.

En 1854, Nadar se lance officiellement dans la photographie. Il ouvre un premier atelier au 113 rue Saint-Lazare et acquiert rapidement une grande renommée pour ses portraits. En 1860, il emménage dans un atelier plus vaste au 25 boulevard des Capucines à Paris où s’ouvrira le 15 mai 1874 la première exposition des peintres impressionnistes. Tous les grands noms des Lettres et des Arts, de la Justice et des Sciences défilent devant son objectif. Baudelaire méprise “l'industrie photographique” qu’il considère être “un refuge de tous les peintres manqués, trop mal doués ou trop paresseux pour achever leurs études” (Salon de 1859). Il posera cependant à sept reprises pour Nadar entre le milieu des années 1850 et le début des années 1860. C’est en partie grâce aux photographies de Nadar que l’on connaît le visage de Baudelaire.

Cette amitié de Baudelaire et Nadar, faite d’une certaine brusquerie, dissimulait une admiration véritable. Lorsque Baudelaire fait allusion à Nadar, c’est toujours d’une énergie, d’une force brute qu’il parle. Dans Mon cœur mis à nu, Baudelaire note : “Nadar, c’est la plus étonnante expression de vitalité. Adrien [Nadar] me disait que son frère Félix avait tous les viscères en double. J’ai été jaloux de lui à le voir si bien réussir dans tout ce qui n’est pas l’abstrait”.

BIBLIOGRAPHIE : 

Théodore de Banville, Petites études, mes souvenirs, Paris, Charpentier, 1882 -- pour l’amitié de Baudelaire et Nadar : Nadar, Charles Baudelaire intime. Le Poète vierge, Paris, 1911 -- Ida Merello, “Nadar et Baudelaire : deux compagnons à l’amitié tortueuse”, Studi Francesi, 194 (LXV | II) | 2021, 279-286.
EXPOSITION : Nadar : Les années créatrices 1854-1860 Paris, Musée d’Orsay, 1994 -- Les Nadar, une légende photographique, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2018-2019
WEBOGRAPHIE : pour l’ouvrage de Nadar sur Baudelaire : https://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k22909f -- pour l’article de Merello : https://doi.org/10.4000/studifrancesi.44525