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Odes funambulesques
L’EXEMPLAIRE DE BAUDELAIRE, IMPRIMÉ POUR LUI SUR PAPIER DE HOLLANDE ET RELIÉ PAR LORTIC À SON CHIFFRE : UN MOMENT DE PERFECTION.
ANCIENNE COLLECTION BERNARD MALLE.
THÉODORE DE BANVILLE COMPTE PARMI LES PLUS VIEILLES AMITIÉS DE BAUDELAIRE, DEPUIS LEUR JEUNESSE DANS L’APPARTEMENT DE L’ÎLE SAINT LOUIS, JUSQU’À L’ÉDITION COLLECTIVE DES ŒUVRES POSTHUMES QUE BANVILLE ORCHESTRA À LA MORT DE SON AMI
ÉDITION ORIGINALE. Titre en rouge et noir. Bandeaux, initiales et culs-de-lampe imprimés en rouge. La Chanson de Catinette n’a pas été remplacée, comme dans certains exemplaires, et se trouve bien à la page 41
In-12 (178 x 113mm)
COLLATION : xx-243 pp.
ILLUSTRATION : frontispice gravé à l'eau-forte par Bracquemond d'après un dessin de Charles Voillemot
TIRAGE : “cet exemplaire a été imprimé pour M. Charles Baudelaire” (feuillet imprimé en rouge et noir, en tête du volume)
RELIURE STRICTEMENT DE L’ÉPOQUE SIGNÉE DE LORTIC, en queue du dos. Dos de maroquin brun à cinq nerfs, chiffre ‘”C.B.” en queue du dos, plats de papier marbré, tranche supérieure dorée
PROVENANCE : Charles Baudelaire (feuillet imprimé en tête du volume ; chiffre en queue du dos) -- Jules Le Petit (Paris, 10-15 décembre 1917, lot 164 : “exemplaire imprimé sur papier de Hollande pour Charles Baudelaire") -- -- Jacques Guérin (Paris, 20 mars 1985, n° 10, 120.000FF sans les frais -- Bernard Malle (cachet)
Dans une lettre à Eugène de Broise, coéditeur des Fleurs du mal, Baudelaire suggère d’imprimer de grandes affiches “dont la composition typographique et la couleur seraient faites pour attirer vivement les yeux”. Sur la partie gauche de l’affiche serait imprimé : “Chez MM. Malassis et de Broise. En vente : Les Fleurs du Mal par Ch. Baudelaire. Odes funambulesques”. Et de commenter : “Ainsi nous nous appuierions les uns sur les autres, ce qui est très utile. - Pensez-y ; cela en vaut la peine” (13 juin 1857). L’affiche, hélas, ne fut pas imprimée.
Charles Baudelaire et Théodore de Banville publièrent la même année 1857 leurs chefs-d’œuvre, chez le même éditeur, Poulet-Malassis. Ils ont le même relieur, Lortic, et le même graveur, Bracquemond. Baudelaire adressa à Banville un des précieux exemplaires des Fleurs du mal imprimé sur hollande. Banville, offrit à Baudelaire cet exemplaire des Odes funambulesques, avec une dédicace imprimée. Baudelaire, dans un second geste d’appropriation qu’il réserve à ses exemplaires les plus précieux, le fit relier à son chiffre par Lortic.
Le nom de Lortic frappé en queue d’une demi-reliure janséniste évoque immédiatement Baudelaire et son cénacle et constitue une modernité inégalée en matière d’exemplaire de littérature française : “Lortic [fut le] relieur attitré de Baudelaire et du cénacle qui l’entourait” (catalogue Jacques Guérin).
Banville appartient au tout premier cercle de Baudelaire, avec Charles Asselineau. Leur amitié remonte à leurs vingt ans. Théodore de Banville et Charles Baudelaire sont de la même génération et leurs influences réciproques sont incontestables : “étudier Baudelaire sans lire Banville est un non-sens”, rappelle Jean-Marc Hovasse. On connaît l’heureuse formule de Baudelaire à propos de Banville : “la poésie de Banville représente les plus belles heures de la vie, c’est-à-dire les heures où l’on se sent heureux de penser et de vivre”. Banville fut, pour Baudelaire, le poète du bonheur. Leur amitié remonte à leur jeunesse, et dura jusqu’à la mort de Baudelaire et même au-delà :
“J’ai eu la joie, l’inestimable fortune de rencontrer Baudelaire et de l’aimer, lorsqu’il venait d’avoir vingt ans” (Banville, Mes souvenirs, 1883).
Théodore de Banville donna la plus ancienne description de l’appartement de Baudelaire que l’on connaisse, quai d’Anjou, quand il était jeune (avant de migrer quai d’Orléans). On sait, par Banville, que Baudelaire possédait très peu de livres. Ils étaient rangés dans un placard, près des bouteilles :
“la première fois que je fus reçu chez Baudelaire, il habitait un petit logement dans l’hôtel Pimodan, sur le quai d’Anjou, à l’île Saint-Louis. Il était alors ce beau jeune homme de vingt ans à la lèvre écarlate, aux yeux profonds et clairs, à la barbe soyeuse et vierge, à la longue chevelure noire frisée naturellement et assez pareille à celle de Paganini, dont Émile Deroy a laissé le portrait, que Bracquemond a gravé et que possède aujourd’hui Charles Asselineau.
En entrant chez Baudelaire, mes yeux furent invinciblement attirés par une tête de femme qui, très sombre et lumineuse pourtant, souffrait, vivait dans un large cadre d’or flamboyant, aux gorges profondes et aux plans divers et variés, qui, par de savantes inflexions, se succédaient sans secousse et de façon à produire une belle ligne harmonieuse. Pris et subjugué au premier instant par l’irrésistible séduction de cette peinture, je n’en pus détacher mes yeux, et à vrai dire, je ne vis pas autre chose.
Ce n’est pas pourtant que le logis du poète fût dénudé de ce qui peut exciter l’intérêt et la curiosité, car il lui ressemblait parfaitement ! Il était bizarrement composé d’une toute petite antichambre, d’une grande et belle pièce à alcôve, dont l’unique fenêtre donnait sur la rivière, et de plusieurs cabinets tout petits, avec des fenêtres mais sans cheminées, qui se groupaient autour de la chambre, comme des boutons autour d’une fleur. Chacun de ces cabinets contenait un de ces meubles anciens à tiroirs, en ébène ou en écaille, qu’on nomme aussi des cabinets. Au milieu de la grande chambre, il y avait une énorme table en noyer du XVIIIe siècle, dont l’ovale découpée, ces insensibles ondulations dont les ébénistes d’alors ont emporté le secret, permettait de s’asseoir partout commodément, le corps entré et comme incrusté dans la table.
Quant aux meubles pour s’asseoir, ils étaient très grands, très larges et couverts de housses d’étoffe grise. Sur la cheminée était placée, entre deux chandeliers de cuivre à deux branches très anciens, une terre cuite, un groupe de deux femmes nues, modelé par Feuchères, représentant la nymphe Callisto dans les bras de Zeus qui a emprunté la figure d’Arthémis, et dédié par l’artiste à Baudelaire.
Dans un placard dont la porte était ouverte, je vis quelques livres très peu nombreux, fastueusement habillés de reliures pleines, en veau fauve pour la plupart. C’étaient des poètes du XVIe siècle, dans les éditions originales. Sur les mêmes rayons étincelaient quelques bouteilles de vin du Rhin et des verres couleur d’émeraude.
Les murs de toutes les pièces étaient uniformément couverts d’un papier glacé à d’énormes ramages, de couleur alternativement pourpre et noire. Sur ces murs, il y avait les lithographies de Delacroix sur Hamlet, simplement mises sous verre, et la tête de femme dont j’ai parlé” (“Charles Baudelaire”, in La Renaissance littéraire et artistique, n° 1, 27 avril 1872).
Une autre description de l’appartement de Baudelaire corrobore le témoignage de Théodore de Banville :
“les verreries et les vaisselles restaient cachées dans de profonds placards qui servaient également de refuge aux livres. Dans l’épaisseur des murailles de Pimodan, les vieux poètes français et latins, surtout ceux de la décadence, la plupart dans des éditions anciennes magnifiquement reliées, voisinaient avec des verres de Bohême multicolores, des assiettes, des plats en vieilles faïences, des coupes de cristal taillé et des bouteilles de vin du Rhin. Si un ami venait quai d’Anjou, le grand plaisir du maître de céans était de lui faire entrevoir, négligemment et sans avoir l’air d’insister, un livre précieux, un bibelot rarissime ou une verrerie de choix, qui semblaient délaissés dans le fond d’un placard” (P. Guilly).
Cette description de l’appartement de Baudelaire par Banville date d’avant la rencontre de Baudelaire et de Lortic. Les exemplaires “en veau fauve” ne sont hélas pas identifiables puisque Baudelaire, ne possédait pas d’ex-libris. C’est à partir de sa rencontre avec Pierre-Marcellin Lortic que Baudelaire s’approprie, en quelque sorte, quelques rares exemplaires. Il fait alors frapper, par Lortic, son chiffre “C. B.” en queue de leur dos. Théodore de Banville fera de même, pour les exemplaires de ses propres livres en les faisant relier par Lortic.
Banville défendra toujours Les Fleurs du mal et leur auteur, tant par des articles que dans sa correspondance. Il décrit le recueil de Baudelaire comme étant “le plus romantique et le plus moderne de tous les livres de ces temps, le merveilleux livre intitulé Les Fleurs du Mal… où l’on sentira la flamme et le souffle du génie”.
Banville et Baudelaire eurent successivement la même maîtresse, Marie Daubrun. Ultime signe de confiance, Baudelaire avait adressé ses manuscrits à Banville quelques jours avant sa tentative de suicide (1846). À la mort de Baudelaire, Banville composera un panégyrique complet de son ami, faisant l’apologie de l’homme et de l’œuvre, protestant contre les attaques dont la réputation du poète avait eu tant à souffrir. Banville dirigera conjointement avec Charles Asselineau, Théophile Gautier et Poulet-Malassis, l’édition posthume des Œuvres complètes de Baudelaire (1868), monument et véritable tombeau qu’avait tant désiré leur ami.
Clouzot, p. 33 -- Vicaire, I, 262 -- Carteret I, p. 94-95